État de la situation
La communauté autochtone philippine représente 3,4 millions de personnes qui vivent principalement sur l’île de Mindanao, dans le sud du pays, et se bat depuis de nombreuses années afin qu’on lui reconnaisse son droit à l’autodétermination comme peuple indépendant apte à s’autogérer. Bien que ce droit semble d’emblée reconnu et protégé par la Constitution philippine de 1987 et par trois principaux traités internationaux (Projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2006, Pacte international relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels)[1], il semble que leurs effets ne soient pas ressentis par les membres de cette communauté, et ce, suite à plusieurs actes de violence sur son territoire et de non-respect de ses rites, coutumes et pratiques. En effet, certaines entreprises minières, majoritairement canadiennes, ont vu le potentiel que recelait le territoire de Mindanao comme lieu d’exploitation par excellence, surtout en ce qui a trait à ses ressources minérales, telles que l’or, l’argent, le cuivre, le nickel, le zinc et la chromite. De cette réalité est né un problème de taille entre population indigène et compagnies minières, ces dernières étant le plus souvent soutenues par le gouvernement philippin qui voit ces investissements étrangers comme une façon inouïe de se sortir de ses dettes, tant intérieures qu’extérieures[2]. Si l’on se réfère au dernier recensement en matière fiscale, la dette globale des Philippines s’élève à ce jour au-delà de 80 milliards de dollars US. Cela explique bien la raison pour laquelle ce gouvernement a créé, en 1995, une ouverture à même ses lois permettant une plus grande exploitation minière. Au total, le gouvernement philippin ouvre ses portes à l’investissement étranger en lui concédant désormais 30% de l’ensemble de son territoire[3]. Voyant leurs terres ancestrales et leurs montagnes non seulement convoitées, mais en partie déjà achetées ou détruites, les autochtones réagissent de plus en plus fortement afin de conserver intacts les lots qui leur restent. Cette lutte n’est pas gagnée d’avance, si l’on considère l’argent investi massivement par les multinationales dans l’économie du pays et les moyens qu’elles utilisent pour parvenir à leurs fins. Actuellement, à titre d’exemple, une entreprise a engagé des hommes de l’armée philippine pour contrôler les parties de territoire où elle est déjà établie et où le travail est amorcé, et ce, afin d’empêcher les habitants de faire contrepoids aux projets en cours. Ces soldats sont postés à différents points stratégiques sur l’île et procèdent à des actes d’intimidation sur la communauté.
Droits de propriété
Les domaines ancestraux appartenant d’office aux indigènes de par leurs pratiques religieuses, leurs coutumes et le culte qui leur est voué ne leur confèrent pas pour autant un quelconque droit de propriété, à moins que ce dernier ne soit attesté sur papier. Ainsi, on peut rapidement en arriver à la conclusion que cette passation générationnelle des terres présente un danger, soit celui de ne pas contenir de papiers officiels certifiant ladite propriété des lieux et les droits qui s’y rattachent. Partant de ce constat, nous sommes à même de réaliser la complexité de la situation, à savoir que juridiquement la preuve est faite que ces terres n’appartiennent pas en totalité aux autochtones, mais qu’historiquement et en vertu de la pratique continue qu’ils exercent à cet endroit, elles leurs reviennent d’office. Les compagnies minières ont donc vite fait de réaliser cette carence juridique et ont entamé les démarches qui leur permettaient de valider aux yeux de tous que ces terres étaient désormais leurs propriétés et qu’elles pouvaient exercer les droits afférents. Bien entendu, ces travaux miniers se font en concurrence avec certaines ententes bilatérales avec la communauté en place, dont une redevance de 1% sur les revenus bruts générés par la mine étant donné les droits ancestraux toujours en vigueur de la communauté[5]. Malgré cette obligation de négociation, certaines preuves récemment observées par plusieurs ONG, dont Droit et Démocratie, révèlent que les autochtones ne sont pas consultés, ni même informés de plusieurs activités minières, et n’ont souvent d’autre choix que d’accepter le fait accompli, sans obtenir de compensation financière[6]. À titre d’exemple, prenons le mont Canatuan, lieu sacré pour la collectivité des Subanons, exploité actuellement par la compagnie minière canadienne TVI Pacific Inc. Cette montagne culte porte le nom de Boklog et permet aux Subanons de célébrer le rituel de l’Action de grâces ainsi que de s’y recueillir. Cette collectivité a toujours insisté sur le fait qu’elle refusait que des activités lucratives soient pratiquées à son sommet, qu’elles proviennent de la sphère locale (mineurs artisanaux autochtones) ou de la sphère internationale (grandes firmes multinationales). Constatant le mécontentement et prévoyant les possibles représailles des Subanons suite à la destruction de leur montagne, TVI Pacific inc. a embauché et payé des soldats auxiliaires issus du gouvernement pour lui prêter main forte et défendre le chantier mis en place. Tel que le décrit Droits et Démocratie dans son rapport suite à des entrevues menées à Mindanao, des exactions au sein de leur collectivité ont été commises non seulement par les soldats, mais également par la police nationale : expulsion des Subanons de leurs maisons et expropriation de leurs terres ancestrales, destruction de jardins procurant la nourriture à une trentaine de familles Subanons. De plus, des participants de cette communauté ont été battus et d’autres tués parce qu’ils empêchaient, par une chaîne humaine, que des investisseurs étrangers n’entrent sur leur territoire avec de la machinerie lourde pour procéder aux travaux miniers.[7] Ces actions violent donc largement les droits humains que leur confèrent les traités, conventions et constitutions portant sur le sujet. De plus, ces agissements contreviennent aux obligations de responsabilité sociale qui incombent aux entreprises en vertu des règles établies par Industrie Canada[8], tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, et où elles doivent prôner un développement durable et prospère de l’environnement et des communautés.
Les impacts sur l’environnement, la santé et le travail
Suite à ces nombreux travaux de forage dans la région, il est à propos de se questionner sur les impacts environnementaux et humains que de telles activités peuvent entraîner. À cet effet, plusieurs organisations se sont penchées sur le sujet. Selon Greenpeace et plusieurs autres observateurs, les dommages causés à l’environnement ont des effets directs sur la santé des populations en place, ne serait-ce que par la consommation de l’eau, mais également sur le travail des pêcheurs et la survie des espèces. En effet, une augmentation de dépôts de sédiments dans l’eau des rivières (taux élevés de mercure, arsenic, cyanure et plomb) fait en sorte que celle-ci n’est plus potable et que les espèces marines se réfugient plus loin ou meurent tout simplement d’intoxication[9]. Par conséquent, les pêcheurs côtiers doivent se déplacer plus loin s’ils veulent pouvoir capturer des poissons et continuer à vivre des produits de la mer. Aussi, Greenpeace rappelle-t-elle que la compagnie australienne Lafayette Philippines inc. a été reconnue coupable de ne pas avoir respecté le Clean Water Act et le Certificat de Conformité Environnementale, alors qu’elle procédait à des tests d’extraction sur l’île de Rapu Rapu sans même s’assurer que les garde-fous soient présents afin de minimiser les impacts que de telles expériences peuvent engendrer. Ces tests ont entraîné avec eux plusieurs dommages, dont l’écoulement de substances toxiques dans les eaux du golfe d’Albay[10]. Bien que cette entreprise ait commis des méfaits importants sur l’environnement, il semble que le gouvernement philippin lui ait permis à nouveau de faire un second test de 30 jours préalable à l’évaluation des travaux à venir. Non seulement cette pollution massive de l’eau affecte les revenus des pêcheurs, mais elle affecte surtout la culture du riz, gagne-pain de plusieurs citoyens et principal produit de consommation pour environ 30 millions de Philippins à travers le pays[11]. Suite à de nombreuses dénonciations de la part d’ONG, d’organismes communautaires et d’experts sur la situation du mont Canatuan, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international presse le gouvernement du Canada de prendre la situation au sérieux et lui donne comme mission de faire la lumière sur la situation philippine et sur les actions qu’entreprend la compagnie minière canadienne TVI Pacific Inc., d’ici la fin de l’année 2007. Le Comité demande également au gouvernement de faire un rapport sur les observations 90 jours après le constat effectué sur le terrain.[12]
À titre de second exemple, prenons la Mine Marcopper[13]. Autrefois gérée par la compagnie minière canadienne Placer Dome Inc., cette mine a rejeté dans la baie de Calancan environ 200 millions de tonnes de produits toxiques en 16 ans. Ces produits se sont déposés sur les terres agricoles où se trouvaient les rizières et les maisons des villageois pour qui les revenus et la subsistance alimentaire provenaient de ces terres. À cause de cette pollution atmosphérique, 59 enfants ont dû subir une intervention médicale à Manille due à une intoxication sévère, et trois d’entre eux sont décédés des suites d’un empoisonnement lié aux sédiments de métal dans l’eau. La situation s’aggravant, les habitants de la communauté de Marinduque ont demandé à l’organisation Oxfam de leur venir en aide, ce qu’elle a fait tout de suite. L’organisation internationale a donc fait ses recherches et a publié un rapport expliquant les impacts du travail de forage sur la qualité de vie des gens et sur leur environnement. La mine fut définitivement fermée en 1996 et la compagnie Placer Dome Inc. dut procéder à un nettoyage à grande échelle afin de permettre aux habitants de retrouver un climat assaini de ces déchets toxiques ayant longtemps pollué leur environnement. Dans les faits, la compagnie refuse d’endosser toute responsabilité sociale liée à la mine et à ses effets nocifs.