Droit international
Selon l’UNICEF, la prostitution enfantine est une forme contemporaine d’esclavage et constitue le « fait d’utiliser un enfant aux fins d’activités sexuelles contre rémunération ou toute forme d’avantages », selon l’article 2 du Protocole de la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. L’outil de base en matière de protection des droits de l’enfant, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, adresse la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle à l’article 34 :
Les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher : a) Que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale; b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales; c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique.
La ratification de la Convention par la République des Philippines engage le gouvernement à défendre et garantir le respect effectif des droits de l’enfant, dont la protection contre l’exploitation sexuelle. Cependant, il est pertinent de se questionner sur le rôle que joue le gouvernement dans la perpétuation de la prostitution enfantine philippine. Ce phénomène qu’est la prostitution reste toutefois encore tabou aux Philippines, selon les dires de Mme Ofreneo de la Commission des droits humains aux Philippines.
En ce qui concerne la répression de la prostitution en général, le texte fondamental est la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, ratifiée par les Philippines en 1952.
Le tourisme sexuel aux Philippines
Les Philippines représentent une destination internationale de tourisme sexuel avec 300 000 Japonais qui vont en profiter sur place. Les principales destinations touristiques sont Pagsanjan, Laguna, Boracaym Aklan, Baguio, Olongapo, Angeles, Metro Manila, Bacolod, Cebu, Davao et Zamboanga. Des revues de pornographie enfantine vendues à l’étranger font également la promotion du pays et insistent sur la facilité d’accès au sexe avec des enfants. La pédopornographie (pornographie pédophile) prend des proportions considérables à Manille, d’où proviennent plusieurs photos et vidéos vendues sur Internet. L’UNICEF dénote, en 2001, environ 100 000 enfants prostitués dans la région du Pacifique et de l’Asie de l’Est, dont 10% seraient des garçons. Aux Philippines, 300 000 à 500 000 femmes se prostituent, principalement autour des bases militaires américaines, mais aussi en grande partie dans des hôtels appartenant à des Japonais et profitant aux hommes d’affaires japonais en vacances. Selon une étude présentée en 1989 à ECPAT, un réseau international d’organisations nommé End Child Prostitution, Child Pornography and the Trafficking of Children for Sexual Purposes (anciennement End Child Prostitution in Asian Tourism), environ 60% des victimes de la prostitution enfantine aux Philippines étaient des garçons.
Le tourisme représente la plus grosse industrie mondiale. Le tourisme de masse a connu son émergence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’afflux de touristes vers les destinations du tiers-monde a augmenté, en raison du laxisme des mœurs et des facilités offertes par les pays. « Sun, sand, sex » était un slogan publicitaire pour vendre des forfaits touristiques. C’est surtout la guerre du Vietnam qui a entraîné un boom de la prostitution. En effet, les militaires américains ont développé dans quelques pays d’Asie ce qu’on appelle des « recreation and rest centers », subventionnés par le gouvernement, afin de permettre aux hommes de service américains d’avoir du « bon temps » et du repos… On associe généralement ces sites à des bordels remplis de prostitués. Aux Philippines, on remarque en effet que la prostitution enfantine atteint des niveaux encore plus alarmants autour des bases militaires où les autorités ne cherchent pas à contrôler l’âge du « personnel » de plaisir. Le tourisme est le deuxième secteur économique le plus important du pays. L’UNICEF « estime que deux millions d’enfants dans le monde sont les victimes de l’industrie prostitutionnelle et que le tourisme est en partie responsable de cette situation. Le tourisme est un des facteurs du développement de la prostitution des mineurs ainsi que de leur traite à l’échelle mondiale ». L’épidémie du sida menace leur vie. De plus, pour ces enfants, aller à l’école ne les attire pas puisque la vente de leur corps est une activité beaucoup plus payante.
La prostitution locale est parfois inscrite dans les habitudes, surtout comme en Thaïlande ou même à Manille où il y a beaucoup de clients autochtones. On peut aussi questionner le rôle du comportement sexuel des Philippins eux-mêmes, en sachant que les Thaïs ont des mœurs et pratiques favorisant la prostitution. Un rapport de l’UNICEF note la valorisation de l’innocence, de la douceur et de la virginité des filles dans la culture philippine. Le tourisme en provenance de l’Occident n’a pas amené la prostitution en Asie du Sud-Est, mais l’a plutôt développée, aggravée. Il est à noter qu’il existe différentes catégories de clients qui sont attirés par ces lieux de prostitution, du plus pervers pédophile au simple curieux qui est répugné par ce phénomène dans son propre pays. Des réseaux de prostitution et des connexions se sont développés, engendrant une sorte de « mafia de la prostitution ».
Les victimes
Les séquelles des victimes de la prostitution sont graves et les affectent toute leur vie. Les enfants provenant des régions pauvres, souvent rurales, migrent vers les centres urbains en espérant y trouver un moyen de subvenir à leurs besoins essentiels. Les problèmes familiaux constituent souvent un élément déclencheur poussant à la fuite des jeunes. Certains parents envoient eux-mêmes leurs enfants, illusionnés par des trafiquants qui promettent de trouver un travail qui rapportera de l’argent à la famille. La prévention est réduite à cause de l’absence de mots pour aborder le thème de la sexualité dans les sociétés traditionnelles. Au cours de leurs activités dans la prostitution, certains enfants sont victimes d’agressions sexuelles et subissent des conséquences physiques, telles que des maux de tête, des brûlures, des maladies vénériennes, le sida, des déchirures des parties génitales, des coups, et psychologiques, comme la dépression, l’agressivité, le dédoublement de la personnalité, le retard du développement affectif et intellectuel, etc. . L’affaire Rosario démontre bien les conséquences vécues par une petite fille victime de l’industrie prostitutionnelle.
Les filles :
Elles sont amenées de leur village à un bordel urbain où violence et hostilité les attendent. Les plus jeunes exercent d’abord comme servantes dans les bordels et deviennent plus tard prostituées. Leur santé physique et psychologique est très précaire et elles sont souvent victimes de violence physique. Comme la prostitution est illégale, les soins de santé et les services sociaux ne peuvent les prendre en charge puisque les proxénètes les gardent enfermées. L’impossibilité de communiquer avec leurs clients étrangers augmente leur sentiment d’isolement. Si les jeunes filles ne vont pas dans un bordel dès le début et rejoignent plutôt les enfants de la rue, elles seront de toute façon violées à un moment ou un autre et verront les relations sexuelles comme un moyen de faire de l’argent pour vivre ou aider leur famille. Une fois qu’elles atteignent l’âge légal, elles réalisent qu’elles doivent continuer et le plus payant est de le faire à leur compte, en engageant d’autres petites filles. Les prostituées des bases militaires nouent parfois des relations avec les soldats et rêvent souvent de partir vivre avec eux à l’étranger. Elles ressentent souvent un sentiment de trahison quand le militaire repart.
Les garçons :
Plusieurs quittent volontairement leur famille où ils se sentaient rejetés. Ils font l’expérience conjointe de la liberté et de la prostitution. Leur survie dépend largement de l’appartenance à une bande, caractérisée par la délinquance, la prostitution, la drogue, la violence, la rivalité avec d’autres groupes et des problèmes avec la police. « Malgré les violences qu’elle comporte, la prostitution et le bénéfice qu’elle apporte représentent une illusion de sécurité, de valorisation et, parfois, aussi, l’illusion d’un lien affectif ». La drogue, comme le dissolvant inhalé, est un échappatoire à l’angoisse vécue. La « compétence » des enfants vient de la réponse à la demande.
La réinsertion dans la société des enfants des deux sexes est difficile, car ils ont plusieurs problèmes. Leur rééducation est également difficile. Comme ils sont peu scolarisés, ils sont en état de sous-développement intellectuel et recherchent toujours le bénéfice immédiat. La réintégration des filles est plus facile que celle des garçons.
La réponse des gouvernements successifs
Sous Marcos, il était dit qu’il n’existait aucun problème puisque l’exploitation sexuelle était illégale. Cette allégation montrerait la difficulté du gouvernement à admettre son inhabileté à gérer ce problème social ; il déclare donc qu’il n’existe pas afin de couper court à toute discussion. Malheureusement, le problème faisait également face à une corruption et à une complicité des officiels du gouvernement, cherchant à encourager les investissements étrangers. Dans cette perspective, il était impossible d’allouer des ressources pour venir en aide aux enfants victimes de la prostitution. Comme l’ont mentionné les participants du Programme international des droits de la personne, il fallait encourager les investissements après la déclaration de la loi martiale, mais les infrastructures nécessaires n’étaient pas en place. Les Philippines vivaient sous la supervision de l’aide de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International et allouaient principalement leur budget au remboursement des dettes étrangères. Il fallait donc trouver le moyen d’attirer le business, d’avoir une importante entrée d’argent : le tourisme fut donc la réponse puisque c’est un secteur qui génère des sommes d’argent faramineuses. On visait surtout les touristes du Japon et d’Europe et on cherchait à faire compétition aux destinations déjà reconnues comme Bali, Bangkok et Hong Kong. C’est dans ce contexte que les tours opérateurs ont commencé à organiser des forfaits présentant les meilleurs endroits pour le tourisme sexuel et faisant la promotion des enfants disponibles, notamment dans les brochures Spartacus.
Avec l’affaire Rosario, où la société rejette la responsabilité de la mort de la jeune prostituée sur le touriste étranger, le « Code de la Protection des Enfants et des Adolescents édicté par l’administration Marcos puis amendé par celle de Corazon Aquino est très explicite sur les responsabilités de la société à l’égard des mineurs ». Sous Aquino, il y a eu un engagement à respecter les droits de l’homme pour ne pas répéter la situation qui était occurrente sous Marcos. Plusieurs actions sont mises en œuvre dans cette direction. Cependant, les violations des droits civils et politiques ont continué. Juste avant de quitter la présidence, Mme Aquino a signé la loi nº7610 qui assure une plus grande protection aux enfants et augmente la répression des adultes ayant profité de la prostitution enfantine. Les étrangers sont visés par cette loi puisqu’ils peuvent purger une peine allant jusqu’à 30 ans d’incarcération aux Philippines mêmes. Aujourd’hui, une nouvelle législation est entrée en vigueur, la Republic Act 9344 : il s’agit de la Juvenile Justice and Welfare Act, signée en avril 2006 par la Présidente Arroyo. Ceci introduit un nouveau système de justice réparatrice pour les jeunes en conflit avec la justice.
Enfin, un problème important provient du fait que les prostitués sont vus comme des criminels et non comme des victimes. Selon les personnes interviewées, il est nécessaire de décriminaliser le phénomène.