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Immolation d’une mère désespérée
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Le 30 juillet 2012, à Bạc Liêu (sud du Vietnam), vers 4h00 de l’après-midi, madame Ðặng Thị Kim Liêng, 64 ans, s’est immolée par le feu devant l’édifice du gouvernement local de Bạc Liêu. Selon le prêtre catholique proche de la famille de Mme Đặng, cette dernière était décédée pendant qu’elle a été acheminée vers l’hôpital. L’acte d’immolation de Mme Ðặng était une réponse au désespoir qu’elle ressentait pour sa fille Tạ Phong Tần, emprisonnée depuis septembre 2011.
Tạ Phong Tần, ancienne membre du Parti communiste vietnamien et une ex-policière, s’est convertie en journaliste indépendant depuis 2004. Ses écrits apparaissent dans plusieurs publications hebdomadaires au Vietnam. À cause de sa grande popularité, le Parti révoque son adhésion au Parti. Depuis 2006, elle tient un blog intitulé Công lý-Sự thật (justice-vérité), où elle est très prolifique. Elle a publié plus de 700 articles sur maltraitance des enfants, corruption des officielles et des hauts fonctionnaires, lourdeur fiscale pour les plus pauvres et les griefs des paysans face aux confiscations illégales de leurs terres. Elle utilise les connaissances qu’elle a acquises lorsqu’elle était policière pour faire ses observations sur l’abus du pouvoir de la police du Vietnam. À cause de ses « écrits diffamatoires », elle a été arrêtée le 5 septembre 2008, où elle est détenue depuis. Avec Tạ Phong Tần sont arrêtés Phan Thanh Hải et Nguyễn Văn Hải. Les trois accusés sont des cofondateurs du Club des journalistes libres en 2007.
Phan Thanh Hải tient un blog nommé AnhbaSG, ou Anh Ba Saigon. Dans son blog, il promeut la transparence du gouvernement, la liberté d’expression et la liberté d’association. Il est avocat de formation, mais sa pratique lui a été refusé à cause de ses écrits et de sa participation à diverses manifestations. Il est placé sous surveillance intrusive par la police à cause de sa protestation aux Jeux Olympiques de 2008 à Beijing, et des problèmes des frontières du Vietnam avec la Chine. Le 18 octobre 2010, il a été arrêté sur cause de violation de l’article 88 du Code pénal du Vietnam d’avoir fait la « propagande à l’encontre du gouvernement ». En 2011, Tạ Phong Tần et Phan Thanh Hải sont les récipiendaires du prestigieux prix Hellman-Hammett, qui reconnaît le courage des écrivains qui osent exprimer leurs opinions au nom des droits humains face aux persécutions politiques.
Nguyễn Văn Hải est plus connu sous son pseudonyme Ðiếu Cày, comme le nom du son blog Ðiếu Cày, qui signifie « la pipe d’eau du paysan ». Il a également reçu le prix Hellman-Hammett en 2009. Il a été arrêté le 28 avril 2008 pour évasions fiscales, accusations montées de toutes pièces selon Amnistie internationale. Le président américain Barack Obama, lors de la Journée pour la liberté de la presse le 3 mai 2012, avait lui-même évoqué que l’arrestation de Ðiếu Cày coïncidait étrangement avec la vague de répression contre les journalistes au Vietnam. Ðiếu Cày devait être libéré le 20 octobre 2010, mais son emprisonnement a été prolongé pour violation de l’article 88 du Code pénal.
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L’accusation
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Pour Phil Robertson, directeur adjoint de la division des affaires de l’Asie de Human Rights Watch, le gouvernement vietnamien « construit sans vergogne fausses accusations légales et des justifications de garder les détracteurs pacifiques comme Nguyen Van Hai derrière les barreaux ». La dernière accusation de Nguyen Van Hai « révèle la réalité que les autorités l’ont enfermé pour rien de plus que des raisons politiques ». Il somme les autorités vietnamiennes de « libérer Nguyen Hoang Hai immédiatement et sans condition et abandonner toutes les charges retenues contre lui ». Donna Guest, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International, appuie les propos de Phil Robertson :
« La persécution de Nguyen Hoang Hai est flagrante et injuste. Il est détenu et poursuivi uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. »
Selon le Code de procédure pénale vietnamien, les personnes accusées de « crimes particulièrement graves » sont gardées en détention provisoire pour une période maximale de 16 mois. Pourtant, Phan Thanh Hải et Tạ Phong Tần ont été retenus, de façon arbitraire au regard du droit international, pendant plus de 21 mois sur le « crime » de « bloguer » pour la justice et les droits humains. Leur période de détention provisoire est continuellement prolongée par les autorités.
« C’est un nouveau coup porté à la liberté d’expression au Vietnam. Les autorités se servent des arrestations de courte durée comme d’un moyen d’intimidation contre les personnes qui veulent manifester pacifiquement », explique Rupert Abbott, chercheur d’Amnesty International spécialiste du Vietnam.
Les trois blogueurs ont été détenus avec un accès limité à leur famille et leurs avocats. D’ailleurs, l’avocat Lê Công Ðịnh, un spécialiste des droits humains, qui a défendu Nguyễ Văn Hải, a été arrêté. Les membres de la famille des trois accusés étaient mis sous surveillance et subissaient représailles et répressions sévères. Certains ont été arrêtés, leur maison fouillée, les ordinateurs perquisitionnés. C’est à cause des représailles et du désespoir qu’elle ressentait pour la cause de sa fille—qu’elle sentait perdue—que Mme Dang s’est immolée une semaine avant le procès.
Le Haut-Commissariat des Nations Uniesaux droits de l’homme (HCDH) avait eu raison de s’inquiéter pour le procès des trois blogueurs, car il jugeait que ces derniers faisaient un exercice légitime de la liberté d’expression.
« Nous sommes très préoccupés par la restriction de plus en plus poussée de l’espace de la liberté d’expression au Vietnam », a déclaré la porte-parole du HCDH, Ravina Shamdasani, lors d’un point presse à Genève.
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Le procès
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Prévu pour le 7 août 2012, le procès a été repoussé jusqu’au 24 septembre. En une seule journée, à huit clos, les trois blogueurs étaient « sévèrement et injustement » condamnés pour un total de 26 ans d’emprisonnement : 4 ans pour AnhBaSG, 10 ans pour Tạ Phong Tần et 12 ans Ðiếu Cày. Reporterssans frontières qualifie ce procès expéditif d’être une parodie au cours de laquelle les droits de la défense n’ont pas été respectés :
« Les autorités cherchent à marquer les esprits et inciter à l’autocensure imposant des condamnations exemplaires. […] Ces verdicts sont symptomatiques d’une nervosité et sa détermination à sévir plus que jamais à la fois des divisions au sein du régime et les cas de corruption impliquant de hauts fonctionnaires, y compris le Premier ministre—cas clairement embarrassant—qui ont été révélés par les blogueurs et journalistes citoyens ».
« Je n’ai jamais été contre l’État », a déclaré Dieu Cay. « J’étais juste frustré par l’injustice, la corruption, la dictature, qui ne représentent pas l’État, mais seulement quelques individus. Les citoyens ont le droit à la liberté d’expression… »
Le son de la retransmission, mise en place pour les journalistes et les diplomates dans une salle voisine, a été coupé. Il n’était pas possible de connaître le reste de ses paroles.
La Presse du 24 septembre 2012, par le biais de l’Agence France-Presse à Ho Chi Minh Ville, rapporte que le juge Nguyen Phi Long a estimé que les accusés avaient « abusé de leur popularité sur Internet pour poster des articles qui sapaient, noircissaient les dirigeants, critiquaient le parti (…), détruisant la confiance du peuple en l’État. […] Leur crime est particulièrement grave, avec une claire intention contre l’État. Ils doivent être sérieusement punis ». Selon Phil Robertson, le verdict « montre la profondeur de l’intolérance du gouvernement du Vietnam vis-à-vis des opinions contraires à la sienne ».
Le lendemain du procès, le 25 septembre 2012 au siège de l’Organisation des Nations Unies aux droits de l’homme, Son Excellence madame la Haut-Commissaire Navi Pillay juge que « [l]es lourdes peines de prison infligées à des blogueurs reflètent les sévères restrictions imposées à la liberté d’expression au Vietnam ».
En 2009, en réaction à l’influence croissante de la Chine dans la région, le Vietnam a manifesté son intention d’obtenir un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies avec la promesse de « garantir pleinement le droit de recevoir, rechercher et distribuer de l’information et des idées, en conformité avec l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Le verdict des trois blogueurs remet en cause la demande la légitimité de l’adhésion du Vietnam au Conseil.
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La mobilisation Democraty for Vietnam: Triệu con tim, một tiếng nói (un million de cœurs, une seule voix)
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Pendant ce temps, les Vietnamiens à l’étranger se mobilisent pour porter la cause des trois blogueurs au Siège de l’Organisation mondiale des Droits de l’Homme à Genève. Trúc Hồ, un ancien dissident qui a été emprisonné trois fois pour les mêmes raisons que nos trois blogueurs, initie les mouvements de mobilisation aux États-Unis. Trúc Hồ est un artiste compositeur de Trung Tâm Asia Entertainment, une entreprise de production de culture et de musique populaire vietnamienne à l’étranger. Ému par la tristesse dans les yeux de Nguyễn Văn Hải Ðiếu Cày lors de son procès, et horrifié par l’acte de désespoir de Ðặng Thị Kim Liêng, il écrit en octobre 2012 la chanson Triệu con tim pour sa campagne de Triệu con tim một tiếng nói (un million de cœurs, une seule voix).
Le titre de la chanson Triệu con tim signifie « un million de cœurs ». Trúc Hồ interpelle « un million de cœurs » dans le monde pour qu’ils s’unissent « en une seule voix » pour défendre la cause des trois blogueurs. La chanson parle de la douleur du peuple vietnamien à travers les différents conflits qu’il a vécus : les litiges frontaliers avec la Chine de Ải Nam Quan, des îles Paracelse et Spratly, la souffrance des emprisonnés de justice, la douleur et le désespoir d’une mère dont l’enfant souffre d’amour pour le pays, l’amour pour le Vietnam, la fierté d’être Vietnamien et la solidarité des descendants ayant du sang de dragon Lạc Hồng.
La chanson d’appel de solidarité Triệu con tim a été largement diffusée sur Internet et dans les médias radiophoniques et télévisés vietnamiens à travers le monde. Plus de 116 communautés vietnamiennes du monde ont fait la campagne auprès de leurs membres. Tous les mobilisateurs le faisaient bénévolement. Des délégations ont été formées dans différents pays pour présenter la cause auprès de leur dirigeant politique et appeler leur aide. La campagne de Triệu con tim một tiếng nói visait à recueillir 100 000 signatures destinées à être présentées au président de l’Organisation Mondiale des Droits de l’Homme à Genève le 10 décembre 2012. Elle en a récolté 135 555 signatures provenant de 63 pays, signées autant par des Vietnamiens que des non-Vietnamiens. Même des Vietnamiens à l’intérieur du Vietnam ont pris des risques pour signer la pétition.
Le vidéoclip suivant est celui de Triệu con tim (dans lequel le guitariste est Trúc Hồ lui-même). Le clip montre cette solidarité des Vietnamiens du monde, tous unis dans « une voix » pour la liberté des trois blogueurs, mais aussi pour la liberté des Vietnamiens.
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Autre lecture suggérée: L’influence du Parti communiste vietnamien sur la corruption dans le pays, par Antoine de Blawes, Blogues de l’Asie du Sud-Est, 01 avril 2013.
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Photos de la mobilisation:
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Blogues des trois condamnés (en vietnamien) :
TA PHONG TAN. Công lý sự thật. [En ligne] http://conglysuthat.blogspot.ca/ (consulté le 7 janvier 2013).
NGUYEN HAI VAN. Điếu Cày. [En ligne] http://blogdieucay.blogspot.ca/ (consulté le 7 janvier 2013).
PHAN THANH HAI. Anhbsg. [En ligne] http://anhbasg.multiply.com/?&show_interstitial=1&u (consulté le 7 janvier 2013).
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Références
AFP. « La mère d’une bloggeuse vietnamienne s’immole par le feu », Le Point, 30 juillet 2012. [En ligne] http://www.lepoint.fr/monde/la-mere-d-une-blogueuse-vietnamienne-s-immole-par-le-feu-30-07-2012-1491024_24.php (consulté le 7 janvier 2013).
AFP. « Vietnam : la mère d’une blogueuse incarcérée s’immole par le feu », La Presse, 30 juillet 2012. [En ligne] URL : http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201207/30/01-4560641-vietnam-la-mere-dune-blogueuse-incarceree-simmole-par-le-feu.php (consulté le 07 janvier 2013).
AFP. « Vietnam: trois blogueurs dissidents écopent de lourdes peines », La Presse, 24 septembre 2012, [En ligne] http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201209/24/01-4577171-vietnam-trois-blogueurs-dissidents-ecopent-de-lourdes-peines.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4560641_article_POS1 (consulté le 07 janvier 2013).
AMNESTY INTERNATIONAL. « Le Viêt-Nam doit libérer un blogueur déjà incarcéré qui est poursuivi pour ‘propagande’ », 16 avril 2012. [En ligne] http://www.amnesty.org/fr/news/viet-nam-must-release-jailed-blogger-facing-propaganda-trial-2012-04-16 (consulté le 7 janvier 2013).
AMNESTY INTERNATIONAL. « Viêt-Nam : il faut mettre fin à la répression de la liberté d’expression », 7 août 2012. [En ligne] http://www.amnesty.org/fr/news/viet-nam-halt-crackdown-freedom-expression-2012-08-07-0 (consulté le 7 janvier 2013).
AMNESTY INTERNATIONAL. “Viet Nam: Halt crackdown on freedom of expression” August 7, 2012. [En ligne] http://www.amnesty.org/en/news/viet-nam-halt-crackdown-freedom-expression-2012-08-07-0 (consulté le 7 janvier 2013).
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CENTRE D’ACTUALITÉ DE L’ONU. « Le HCDH se dit préoccupé par la restriction de la liberté d’expression au Vietnam », 3 août 2012. [En ligne] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=28713&Cr=Vietnam&Cr1=#.UOubMtXpWMg (consulté le 7 janvier 2013).
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