Le tourisme : un couteau à double tranchant dans les rues du Vietnam

de Stephanie Melody Yan

Après la guerre américaine en 1975, le Vietnam figurait parmi les pays les plus pauvres du monde, ce qui a conduit au lancement du Doi Moi, une politique de rénovation en 1986 qui a transformé le Vietnam en une économie de marché. Avec son succès financier, le pays a commencé à attirer des visiteurs étrangers sur ses côtes et le gouvernement a envisagé le tourisme comme étant une industrie de pointe qui pourrait réduire la pauvreté. Selon l’Office général des statistiques du Vietnam, le pays aurait attiré 15,5 millions de visiteurs internationaux en 2018, soit 12,5 % du revenu brut domestique (General Statistics Office of Vietnam, 2018).

En 2008, le gouvernement avait mis en place une interdiction aux vendeurs de rue en vue de dégager les trottoirs à la disposition des piétons et d’améliorer l’apparence de la ville. De plus, cette loi a été renforcée en 2016 dans le cadre du plan ministériel visant à assurer un environnement touristique adéquat et à protéger les voyageurs internationaux contre l’inconfort causé par les vendeurs de rue, tel que l’escroquerie (Truong, 2017).

 


Une vendeuse traverse le marché Dong Ba, à Hue, un bazar couvert où les habitants et les touristes achètent de l’artisanat, des vêtements et des produits frais.
(crédit photo: Alice Young, 2017)

 

Qui sont-ils?

Mais qui sont ces ouvriers informels qui, selon le gouvernement, constituent une menace pour le tourisme ? Plus de 6,6 millions d’habitants ruraux défavorisés qui ont été davantage marginalisés par l’urbanisation rapide et les réformes macroéconomiques de Doi Moi, ont migré vers des zones urbaines telles que Hanoi, pour améliorer leurs situations (Kawarazuka, 2018). Certains migrants n’ont d’autre choix que de se lancer dans la vente de rue en raison des terres agricoles limitées ou du manque d’emplois, d’éducation et de capital. D’autres ont volontairement quitté leur emploi dans le secteur formel  et gagnent même plus d’argent dans la rue. Ces travailleurs proposent des produits tels que des mets cuisinés, des fruits frais, des souvenirs vietnamiens sans structure permanente à partir de laquelle vendre. Ils installent leurs étals temporaires sur le trottoir des espaces publics ou transportent leurs marchandises sur un chariot et dans des paniers.

Historiquement, au Vietnam, le commerce dans les rues était perçu négativement comme un moyen de facilement gagner de l’argent par malhonnêteté et tricherie, ayant ainsi un faible statut social (Kawarazuka, 2018). Par conséquent, les hommes laissaient ces types d’emplois à leurs épouses. Cependant, la demande de biens échangés a rapidement augmenté et a créé une opportunité pour les femmes de gérer avec succès leurs entreprises de rues et elles constituent encore la majorité de ces travailleurs.

Sécurité et salubrité

Néanmoins, du point de vue des gouvernements municipaux, ces personnes suscitent des inquiétudes concernant la sécurité alimentaire et routière, en plus de ruiner la vue des sites touristiques. En 2011, le Vietnam a adopté une loi révisée qui mentionnait spécifiquement la cuisine de rue pour la toute première fois et énumérait cinq exigences pour pouvoir continuer à exploiter un kiosque de rue. Même si ces conditions semblent évidentes, telles que l’eau potable qui doit être obligatoirement utilisée pour nettoyer les ustensiles, les marchands à faible revenu ne sont pas en mesure d’apporter des modifications à leur entreprise et continuent de vendre des aliments insalubres (World Health Organization, 2015).
Les maladies les plus courantes liées à la consommation d’aliments de rue sont les maladies intestinales et gastro-intestinales provoquant la diarrhée, directement liées à la négligence de la sécurité alimentaire (World Health Organization, 2015). Combiné avec le climat chaud du pays, l’humidité et les gaz d’échappement des motos, les normes de santé semblent être hors de portée pour les rues du Vietnam.

 

Une vendeuse à Hanoi transporte sa marchandise à l’aide d’un joug en bois, largement utilisé en Asie pour transporter et vendre ses produits.
(crédit photo: Nikki Vargas, 2018)

 

Intervention policière

Les emplacements les plus populaires de Hanoi, tels que le temple de la littérature et le mausolée de Hô Chi Minh sont désormais sous la surveillance du personnel de sécurité et de la police pour dissuader les commerçants de s’installer dans les périphéries (Truong, 2017). Les répressions policières n’ont pas encore dissuadé les vendeurs (Truong, 2017). Les marchands ont vite appris à s’enfuir dans les petites ruelles et se réinstallent en leur absence. D’autres soudoient les agents de sécurité avec des cigarettes en échange d’être informés à l’avance du moment où leur zone sera inspectée.

Le futur incertain

Bien que la plupart des vendeurs soient pauvres et peu instruits, la vente dans la rue leur a permis d’améliorer leur vie. Beaucoup retournent chez eux avec leurs profits pour construire une maison, d’autres réussissent à envoyer leurs enfants à l’université. Cependant, en raison de l’interdiction de la ville, leurs revenus ont diminué. Les marchands plus âgés n’ont aucun plan pour l’avenir avec l’état actuel de la loi et continueront leur emploi jusqu’au jour de leur mort (Truong, 2017).

Bibliographie

General Statistics Office of Vietnam. (2018) Statistical Summary Book of Vietnam 2018. https://www.gso.gov.vn/default_en.aspx?tabid=515&idmid=5&ItemID=19294 (consulté le 02/03/2020).

Kawarazuka, Nozomi et al. (2018) « Adapting to a new urbanizing environment: gendered strategies of Hanoi’s street food vendors. » Environment and Urbanization 1 (30) : 233-248.

The Culture Trip. (2018) Is it the End of Vietnam’s Street Food? https://theculturetrip.com/asia/vietnam/articles/is-it-the-end-of-vietnams-street-food/ (consulté le 03/03/2020).

Truong, Dao (2017) « Tourism, poverty alleviation, and the informal economy: the street vendors of Hanoi, Vietnam. » Tourism Recreation Research (43) : 52-67.

World Health Organization. (2015) Making street food safe in Viet Nam. https://www.who.int/features/2015/food-safety-interview/en/ (consulté le 03/03/2020).

 

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