Par Carl Alexandre Guercin
Fondée depuis près de 104 ans, la Malaisie a obtenu son indépendance des Britanniques grâce à des négociations, sans avoir recours à des luttes armées, ce qui lui a valu d’être initialement considéré comme un pays ayant des institutions démocratiques fortes (Chin 2015). Par contre, le pays est vu de nos jours comme étant une semi-démocratie (Case 2001). En effet, les gouvernements malaisiens tolèrent les partis de l’opposition et des élections y sont tenues de manière régulière. En revanche, la question des libertés civiles continue d’être un enjeu majeur dans le pays, d’où l’appellation d’un système semi-démocratique (Case 2001, 43). Comment expliquer que la Malaisie soit aujourd’hui considérée comme une semi-démocratie, malgré un système en apparence démocratique ? Au cours de ce billet, nous analyserons les restrictions qui pèsent sur la presse malaisienne et les irrégularités des élections.
La presse malaisienne
Premièrement, la presse malaisienne n’est pas libre alors qu’une presse libre est un élément important d’une véritable démocratie. En effet, la presse évolue dans contexte où elle doit systématiquement recevoir un permis du gouvernement afin de pouvoir publier et le ministère qui en est responsable détient une discrétion absolue quant à l’octroi de ces licences (Chin 2015, 400). Dans un climat comme celui-là, il est évident que les médias qui sont critiques vis-à-vis du régime auraient énormément de difficultés à obtenir les licences nécessaires afin de pouvoir fonctionner. Subséquemment, une raison citée par le gouvernement qui explique ce système est sa volonté de vouloir éviter à toute confusion à la population si ce domaine n’est pas fortement surveillé et règlementé (Chin 2015, 400). Il devient évident que ce pays n’est pas une démocratie complète si sa presse, qui par la restriction dont elle est victime, n’est pas en mesure d’exprimer aucune opposition. Cela représente une première manifestation d’un régime semi-démocratique.
Les élections
Deuxièmement, une autre caractéristique d’une véritable démocratie est la tenue d’élections libres et justes de manière régulière. Ceci a pour but d’assurer la légitimité des représentants qui sont en fonctions. Comme prévu dans la constitution malaisienne, des élections ont lieu périodiquement et elles sont libres. Par contre, là où réside le problème est que ces élections ne sont pas juste (Chin 2015, 401). Cette nuance est très importante quand il est question d’analyser la situation démocratique du pays. D’un côté, il y a des élections qui sont libres, mais d’un autre côté, elles ne sont pas justes et par le fait même, anti démocratique. La nuance vient du fait que la commission électorale du pays n’est pas impartiale et accorde son soutien au parti au pouvoir (Mietzner,2015). Les autres partis politiques, bien que libre pour prendre part au processus électoral sont énormément désavantagés.
Inévitablement, cela réduit les chances des autres partis qui ne se battent pas à armes égales contre le parti qui est favorisé, le UMNO (United Malays National Organisation). Le système électoral malaisien, hérité des Britanniques est uninominal à un tour et à de multiples reprises, la commission électorale, avec le découpage électoral, s’assure que le parti puisse être en mesure de gagner les élections même s’il ne gagne pas le vote populaire (Chin 2015, 402). Les paris de l’opposition obtiennent régulièrement entre 40 et 45 % du suffrage, en revanche cela ne leur donne pas une influence proportionnelle au niveau des affaires de l’État et leur progression ne semble pouvoir dépasser ce cap. (Case 2001, 50). Dans le contexte actuel, les partis de l’opposition ne remplaceront jamais le gouvernement en place, encore moins avec le support de la commission électorale que reçoit le UMNO.
La liberté de la presse, qui est limitée, ainsi que les élections qui ne sont pas justes sont en fait des variables démontrant le caractère semi-démocratique du pays. Par contre, il est tout aussi important d’en connaître la cause exacte. Serait-ce la diversité ethnique et les conflits qui peuvent en découdre qui représente un contexte idéal pour un tel régime ? Les études démontrent que ce n’est pas la pluralité ethnique en soi qui empêche la mise en place d’un système démocratique, mais bien la volonté des élites et du parti UMNO d’exploiter cette pluralité à leurs avantages en disant qu’ils sont les seuls capables à prévenir les confrontations et les tensions ethniques qui avaient lieu en 1969 (Case 1993, 201).
En conclusion, la Malaisie n’a jamais changé de gouvernement depuis son indépendance. Un seul parti fut une mesure de contrôler la vie politique du pays à travers des décennies. Ce n’est pas parce qu’il obtient le support de la majorité, mais bien parce qu’il est en mesure de contrôler les règles et qu’il instrumentalise la diversité ethnique de la population à son avantage si bien que depuis les dernières élections, le pays se dirige de plus en plus vers un régime complètement autoritaire (Chin 2015,407).
Bibliographie
Chin, James et William Case, dir. 2015. Routledge Handbook of Southeast Asian Democratization. London and New Yorl : Routledge , 2015
Wah, Francis Loh Kok et Öjendal, Joakim, Southeast Asian Response to Globalization, Singapore : Nia Press , 2005
Case, William. 1993. « Semi-Democracy in Malaysia : Withstanding the Pressures for Regime Change ». Pacific Affairs 66 (2) : 183-205
Case, William. 2001. « Malaysia’ Resilient Pseudodemocracy». Journal of Democracy 12 (1) : 43-57.