Par Miryam Bonin
«Presently, the Communist Party of Indonesia is the largest in the world outside the Sino-Soviet bloc »[i]. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que l’auteur Arnold C. Brackman a publié ces lignes, en 1963. Après avoir constitué l’une des forces politiques majeures dans l’immense archipel indonésien[ii], les communistes ont été décimés par milliers en 1965[iii] ; une purge qui demeure, encore aujourd’hui, un sujet tabou, autant en Indonésie que dans la communauté internationale[iv]. De sa création, au début des années 1910, à son déclin en 1965, le PKI, Partai Kommunis of Indonesia, a réussi au fil des années à survivre à deux importantes purges en développant diverses techniques pour mieux s’implanter dans la société indonésienne. Sa relation très particulière avec le président a également contribué à élargir son réseau d’influence. Après les massacres de 1965, le parti a vu son importance dans la vie politique indonésienne s’effriter comme neige au soleil. Les prochaines lignes permettront de mieux comprendre l’évolution du mouvement communiste indonésien depuis le début du XXe siècle, de souligner ses forces et surtout, d’expliquer les faiblesses qui ont mené son échec en 1965.
C’est en 1913 que naît le mouvement communiste en Indonésie, avec l’arrivée du missionnaire hollandais Hendricus Sneevliet[v]. L’ancêtre du PKI, l’Indische Sociaal-Democratische Vereniging (ISDV), était donc d’abord et avant tout un parti formé par des Hollandais, un parti occidental. Après avoir pris le nom de PKI et être devenu, « le seul mouvement politique cohérent »[vi], c’est-à-dire la seule formation politique avec une organisation stable, le parti se révolte en 1926 contre le colonisateur hollandais et subit sa première purge. Il renaîtra de ses cendres au cours de la Deuxième Guerre mondiale, en développant différentes tactiques de propagande en vue de bien positionner le parti pour la période après-guerre[vii]. Le PKI tente en 1948, une deuxième révolte, cette fois-ci pour prendre le pouvoir local à Madiun. Cette tentative, plutôt improvisée et mal organisée, décimera à nouveau la formation politique[viii]. C’est grâce à l’appui financier de la minorité chinoise indonésienne et du gouvernement maoïste chinois[ix] qu’un groupe de jeunes révolutionnaires animés par des idées d’indépendance reprendra les rênes du mouvement au cours des années 50[x]. Les conditions sont alors réunies pour un renouveau du parti. En effet, la société indonésienne vit alors une période de grande pauvreté et le PKI prendra naturellement la place de l’acteur politique capable de provoquer une révolution nationale[xi], le nombre de ses membres augmentant constamment pour se chiffrer en 1963 à environ deux millions de personnes[xii].
Photo 1. Drapeau du PKI. Source : http://thejourneyofkids.blogspot.com/2008/11/belajar-sejarah-mulai-dari-pki.html
L’histoire des communistes indonésiens démontre bien leur grande persévérance. Les nombreux défis auxquels ils ont été soumis les ont d’ailleurs poussés à développer de nombreuses tactiques de survie. Ayant d’abord infiltré un autre parti, le Sarekat Islam[xiii], le PKI mettra ensuite en place un système de patronage lui assurant la fidélité de leaders locaux. «The principal mode of entry of the parties was via patron-client relationships streamed along the lines of long-standing cultural cleavages. This was a pattern to which, as we shall see, the PKI adhered in a least some essentials»[xiv]. La classe des ouvriers prolétaires étant plutôt réduite en Indonésie, le parti communiste exploitera les thèmes de l’impérialisme et de l’indépendance de l’Indonésie pour accroître son influence[xv]. Le PKI usera également de techniques de propagande[xvi], telles que la publication d’un livre et la fondation d’un réseau d’écoles affiliées. Il minimisera à travers cette propagande son rôle dans la tentative de coup d’État raté en 1948 et il fondera un réseau d’écoles affiliées.
Vers la fin des années 50, le parti commence peu à peu à se rapprocher du président Sukarno[xvii]. Très influencé par la Chine communiste, Sukarno demande, en 1957, un système de parti unique, une « démocratie dirigée ». « To Sukarno, the key to China’s success lay not in its Communist ideology, but in its political stability, which was symbolized by the unification of the Chinese people who constituted a “single entity” »[xviii]. La proximité qui unit le président au parti communiste n’est donc pas vraiment basée sur une idéologie commune. Comme l’alliance d’Hitler et de Staline au début de la Deuxième Guerre mondiale, le lien entre Sukarno et le PKI en est un stratégique qui vise la défense de leurs intérêts communs. Pour Sukarno, ce qui importe vraiment est de disposer d’un contrôle autoritaire de la société indonésienne[xix]. De son côté, autrefois assez critique face au Président, le PKI profite de l’éloignement de ce dernier avec les autres partis politiques pour s’aligner de plus en plus aux politiques présidentielles[xx]. Durant cette période, le communisme est donc plus fort que jamais en Indonésie, et plus d’un observateur estiment que l’archipel deviendra une véritable place forte pour le communisme en Asie du Sud-est[xxi]. Pourtant, l’alliance entre Sukarno et le PKI, qui était toujours demeurée plus stratégique qu’idéologique, ne réussira pas à assurer la pérennité de la formation politique. Une tentative de coup d’État raté en 1965, attribuée officiellement au PKI, mais dont les auteurs sont aujourd’hui encore remis en question, viendra finalement mettre un terme à l’expansion des rouges au pays.
En effet, derrière les apparences de solidité du parti se cachaient à l’époque de nombreuses déficiences. L’idéologie communiste prend appui auprès des ouvriers, à l’époque peu nombreux dans l’archipel. De plus, en Indonésie, la diversité des prolétaires, autant pour ce qui est de la langue, de la religion et de la caste, a rendu difficile la pénétration de cette idéologie occidentale qui n’a jamais vraiment réussi à «s’indonésianiser»[xxii]. «The PKI had failed to bridge vertical lines of social division, to implant a tough class consciousness in the rural poor »[xxiii]. Par ailleurs, la cohésion au sein même du parti et le manque de coordination a certainement facilité sa chute[xxiv]. La révolte de 1926 et le coup raté de 1948, initiatives peu organisées, démontrent bien cette faiblesse. En outre, l’auteur Arnold C. Brackman estime que le secrétaire du parti de l’époque, Aidit, a surestimé les forces du PKI face à ses nombreux ennemis, les militaires en tête de ligne[xxv]. La grande proximité semblant unir le président Sukarno aux communistes a peut-être contribué à la trop grande confiance du leader du parti. Il faut aussi se replacer dans le contexte de l’époque de la guerre froide où l’influence américaine cherchant à limiter le pouvoir des rouges, conjuguée à l’animosité des autres mouvements politiques de l’époque envers le PKI, notamment le mouvement islamiste, a certainement joué en la défaveur des communistes[xxvi].
L’histoire du Partai Kommunis of Indonesia rappelle que tout est fragile et peut changer rapidement en politique, particulièrement dans une société aussi diversifiée que l’Indonésie. En apparence très puissant, le PKI avait plus d’un talons d’Achille et surtout, plus d’un ennemis à affronter. D’ailleurs, le mouvement a toujours eu de la difficulté à affirmer son côté révolutionnaire : « the closer the Communists remained within Javanese cultural lifeways, the greater the strength and influence they were able to amass, but the weaker their power to convert these resources into a revolutionary force »[xxvii]. Le PKI a toutefois laissé un héritage derrière lui, celui de la « démocratie dirigée » de Sukarno, système autoritaire qu’il a fortement appuyé. Les circonstances de sa fin abrupte en 1965 ont en outre provoqué l’escalade de la paranoïa communiste au sein de la société indonésienne, sentiment dont se servira volontiers le successeur du président Sukarno, Mohammed Suharto. Quarante ans plus tard, libérée du joug du dictateur Suharto, la société indonésienne d’aujourd’hui doit donc reconstruire et revisiter son passé politique, duquel avait été exclu le mouvement communiste indonésien depuis 1965.
[i] Voir Arnold C. Brackman, vii.
[ii] Voir Justus Van der Kroef, 33.
[iii] Voir Jacques Leclerc, 880.
[iv] Voir John Gittings, 247.
[v] Voir Leslie Palmier, Leslie, 302.
[vi] Ibid, 65.
[vii] Voir Arnold C. Brackman, 33.
[viii] Voir Ann Swift.
[ix] Voir Paul Hampton.
[x] Voir Rex Mortimer, 109.
[xi] Voir Leslie.Palmier, 167.
[xii] Voir Arnold C. Brackman, 301.
[xiii] Ibid, 7.
[xiv] Voir Rex Mortimer, 105.
[xv] Voir Arnold C. Brackman, 151.
[xvi] Voir Justus Van der Kroef, 34.
[xvii] Voir M. C. Ricklefs, 314.
[xviii] Voir Hong Liu.
[xix] Ibid.
[xx] Voir Rex Mortimer, 118.
[xxi] Voir Arnold C. Brackman, xv.
[xxii] Voir Rex Mortimer, 101.
[xxiii] Ibid, 122.
[xxiv] Voir Arnold C. Brackman, 21.
[xxv] Ibid, 265.
[xxvi] Voir Justus Van der Kroef, 33.
[xxvii]Voir Rex Mortimer, 123.
Bibliographie
Brackman, Arnold C.. 1963. Indonesian Communism: a history. Greenwood Press Publishers: Westport, vii.
Gittings, John. 1999. «The Indonesian Massacre, 1965-1966 : Images and reality». The Massacre in History. Berghahn Books: New York, 247-263.
Hampton, Paul. «Communism and Stalinism in Indonesia». Worker’s Liberty, 61. En ligne. http://archive.workersliberty.org/wlmags/wl61/indonesi.htm (consulté le 4 novembre 2009).
Hindley, Donald. 1962. «President Sukarno and the Communists: The Politics of Domestication». The American Political Science Review, Vol. 56, No. 4 (décembre), 915-916.
Leclerc, Jacques. 1983. « Le déchiffrer. Note sur le marxisme, son ordre et sa traduction, en Indonésie ». Revue française de science politique, Année 1983, Volume 33, Numéro 5, 866 – 880.
Liu, Hong. 1997. «Constructing a China Metaphor: Sukarno’s Perception of the PRC and Indonesia’s Political Transformation». Journal of Southeast Asian Studies, Vol. 28, No. 1 (mars), 27-46. Published by: Cambridge University Press on behalf of Department of
History, National University of Singapore Stable. En ligne. http://www.jstor.org/stable/20071901 (consulté le 5 novembre 2009).
Mortimer, Rex. «Traditional Modes and Communist Movements: Change and Protest in Indonesia». 1974. dans Peasant Rebellion and Communist Revolution in Asia. Stanford University Press: Stanford, 109.
Palmier, Leslie. 1973. Communists in Indonesia. Anchor Books: New York, 302.
Ricklefs, M. C.. 2001. A History of modern Indonesia since c. 1200. Stanford University Press: California, 314-316.
Swift, Ann. 1989. The road to Madiun: The Indonesian Communist Uprising of 1948. Cornell Modern Indonesia Project.
Van der Kroef, Justus. 1981. Communism in South-east Asia. The Macmillan Press LTD: Londres.