La montée du communisme de Hô Chi Minh comme résultat de la présence occidentale et japonaise au Vietnam

Par Claudia Serrano

Certains auteurs suggèrent que la Guerre froide a débuté en 1917 avec la Révolution bolchévique plutôt qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Cette proposition peut être soutenue par le cas du Vietnam où la lutte entre la gauche et la droite a débuté bien avant 1945. On dit d’ailleurs que c’est en Asie du Sud-Est que la Guerre froide a été la plus chaude. Mais en quoi est-ce que la montée de la gauche communiste au Vietnam peut être expliquée par la présence occidentale et japonaise dans le pays? Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’attarder de plus près sur les méthodes et les structures de gouvernance mises en place durant les 80 ans de colonisation française dès la fin du 19e siècle, durant l’occupation des Japonais dans les années 1940 puis durant la Seconde Guerre d’Indochine opposant le Nord communiste du Vietnam et le Sud soutenu par l’armée américaine.

Les 80 années d’Indochine française

La réunification du Vietnam en 1802 ne durera qu’un peu moins de soixante ans avant la prise de la Cochinchine au Sud par les Français en 1859 — qui deviendra plus tard la base principale du capitalisme français — puis un peu plus tard de l’Annam au Centre et du Tonkin au Nord (Owen 2005, 115, 335). La réussite de l’invasion de l’Indochine française, notamment du Vietnam, ne revient pas qu’aux armements et technologies supérieures des Français, mais surtout grâce à leur capacité de profiter des tensions déjà en places et d’en exploiter la division sociale et de leur mission civilisatrice visant la propagation du catholicisme auprès de centaines de milliers de pauvres Vietnamiens (entre autres venant du Nord), mais également de la classe élite (Owen 2005, 115-6). Toutefois, ce contrôle de la masse et cette manipulation des mentalités ne dureront pas encore longtemps. Dès 1905, suite à la victoire des Japonais sur des Russes, les Asiatiques commencent à se rendre compte qu’il est possible pour un pays asiatique avec des valeurs confucéennes d’arriver à une forme d’égalité avec les impérialistes de l’Ouest. D’ailleurs, certains étudiants vietnamiens sortiront de leur pays pour aller suivre des formations militaires et politiques auxquelles ils n’avaient pas accès en Indochine française (Owen 2005, 337).

Hô Chi Minh sur la couverture du Time Magazine en 1954

Dans la montée de l’indignation de la population face au colonialisme français qui allait s’accentuer à partir des années 1920 avec la naissance de l’intelligentsia révolutionnaire — mouvement des intellectuels conscientisés et trop souvent maintenus dans des postes où ils n’avaient d’influence sur la condition de leur population — la censure du contenu auquel pouvait avoir accès la population vietnamienne ainsi que le contrôle de la façon de penser devient de plus en plus important (Brocheux et Hémery 2001, 213-4, 296).

C’est d’ailleurs parmi ces jeunes intellectuels que se trouvait Hô Chi Minh, héros national et un des pères de la révolution vietnamienne. Le communisme apportant des réponses à la crise des intellectuels indignés, mais également à d’autres problèmes sociaux, Hô Chi Minh fonde le Parti communiste vietnamien en 1925 et plus tard le Parti communiste d’Indochine (Brocheux et Hémery 2001, 302 ; Owen 2005, 340-1).

Les Japonais au Vietnam

L’occupation japonaise, ayant eu comme effet de discréditer les Français davantage, n’a fait qu’accentuer les mouvements nationalistes, révolutionnaires et communistes (Owen 2005, 343). Le Front pour l’indépendance vietnamienne aussi connu comme le Viet Minh est créé en 1941 et étend son pouvoir suite à la capitulation des Japonais en 1945. Hô Chi Minh proclame la naissance de la République démocratique du Vietnam à Hanoï cette même année et en devient le premier président. Mais les Français de retour sur le territoire après la guerre reprennent la Cochinchine au Sud du Vietnam ce qui marquera le début de la Première Guerre d’Indochine qui dura de 1946 à 1954. Durant cette guerre, les Français se verront très surpris de la forte implication de la population dans cette guerre notamment encouragée à travers la redistribution des terres par le parti communiste aux pauvres paysans, de grosses campagnes d’alphabétisation et de la mise en place de stratégies de guérilla assez réfléchies pour être capable de repousser une armée puissante (Owen 2005, 341, 344-5).

La défaite des Américains

Dans un contexte de Guerre froide et voulant au plus haut point limiter la propagation du communisme en Asie du Sud-Est, les Américains, sachant que la victoire irait à Hô Chi Minh, refusent d’accepter la tenue d’élections prévues en 1956 selon l’Accord de Genève qu’ils auront d’ailleurs refusé de signer (Owen 2005, 345-6). Cependant, après la mobilisation de centaines de milliers de soldats américains, les États-Unis se voient contraints de quitter le Vietnam en 1975 suite à une défaite encore plus humiliante que celle de leurs anciens alliés les Français, cette fois face au Front de libération nationale aussi connu comme le Viet Cong (Owen 2005, 346).

Un guérillero Viet Cong capturé par la police militaire

Selon Owen (2005, 346-7), le trop grand nombre de promesses non tenues au Sud et le manque de mesures solides pour faire face au communisme seraient des causes de l’échec de l’intervention des Américains. Par ailleurs, comme le disent Brocheux et Hémery en citant les propos de Jaurès en parlant de la colonisation française, il y avait certainement parmi les colonisateurs des âmes philanthropes qui ne voulaient réellement que contribuer au développement des colonies pour le bien de ces dernières, mais en vérité tout ce qui a été fait dès le début a toujours été dans l’intérêt premier de la métropole française (2001, 366). Ainsi, en ne tenant pas suffisamment compte des réalités locales, en voulant effacer une culture et en opprimant une population en manque de terres, de ressources et de liberté, les colonisateurs et occupants occidentaux et japonais ont contribué à l’émergence de mouvements communistes qui ont su répondre aux indignations d’une partie influente de la population.

 

 

 

 


 

Bibliographie

Brocheux, Pierre et Daniel Hémery. 2001. Indochine, la colonisation ambiguë 1858-1954. Paris : La Découverte.

Owen, Norman G. 2005. The emergence of modern Southeast Asia : A New History. Honolulu : University of Hawaiʻi Press.

 

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