Par Claire Tousignant
Bouc-émissaire, tentative d’assimilation, tension ethnique, inégalités économiques, émeutes et violence raciste sont toutes des expressions qu’on rencontre fréquemment lorsqu’on s’intéresse au sort des minorités ethniques en Asie du Sud-Est. Les différentes diasporas chinoises de la région n’échappent pas à cette logique. Face à ces mêmes défis, les États de la région réagissent différemment. Par exemple, la Thaïlande, seul État du sud-est asiatique à ne pas avoir été colonisé, réagit relativement positivement à la petite communauté (3% de la population) chinoise qui participe activement à la prospérité économique du pays. L’Indonésie, quant à elle, a connu des événements traumatisants impliquant les différentes ethnies nationales. Occultant complètement les différences culturelles de la sphère publique, les autorités indonésiennes ont pendant longtemps avivé les tensions ethniques entre les Indonésiens et les Sino-Indonésiens. Qu’en est-il de la situation malaisienne ? Le gouvernement s’est-il rangé du côté autoritaire ou du côté libéral du spectre politique par rapport à sa communauté d’origine chinoise ? L’histoire des Malaisiens d’origine chinoise semble se placer au centre de cette distribution.
Effectivement, on ne parle pas véritablement de répression en Malaisie, mais plutôt de discrimination positive à l’endroit des Malais de souche. Toutefois, l’État malais s’est donné des outils législatifs effectifs pour contrôler et réprimer les mouvements contestataires potentiels. Il en a d’ailleurs usé à quelques occasions. Pour mieux comprendre ces nuances, retournons en 1948, cinq ans avant la création de la Malaisie. Encore sous l’égide de l’empire britannique, les communautés de cette colonie sont largement sectorisées. Il y a peu d’interactions entre les Chinois, les Indiens et les Malais. Ces derniers sont relayés aux classes inférieures de la société et ont donc décidé de créer un parti politique, le UMNO, pour remédier à cette situation[1]. Cet entité devient rapidement très populaire au sein de la majorité malaise. En 1957, l’indépendance est déclarée
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Douze années passent avant que les étincelles ne surviennent entre les différentes communautés. Lors des élections générales de 1969, des émeutes éclatent dans la capitale pour protester contre les gains importants faits par les Sino-Malaisiens. Ces manifestations violentes feront des centaines de morts[2]. Razak se désigne président et prend les rênes de la nation pour déclarer l’État d’urgence. Le processus parlementaire est suspendu pour une période indéterminée. La seule façon pour les députés de retourner siéger est d’accepter les conditions imposées par Razak, stipulant qu’à partir de ce moment, la constitution doit intégrer une clause favorisant une meilleure intégration des Bumiputras, les fils de la terre, dans tous les domaines de la société. C’est en fait un système de quota qui prévoit une distribution des emplois et des investissements sur une base ethnique. De plus, cette clause est protégée par le Sedition Act, loi qui empêche quiconque de contester cette répartition du pouvoir. Le Sedition Act prévoit que le gouvernement peut arrêter tous ceux qui s’opposent publiquement aux quotas favorisant les Malais, pour protéger l’unité nationale[3]. Évidemment, les politiciens n’ont d’autre choix que d’accepter cette condition pour retourner travailler. C’est une répression législative indirecte que les Sino-Malaisiens subissent.
Les Chinois ressentent vivement les inégalités qui résultent de cette loi. Leur accès au financement, aux universités et à la bureaucratie est désormais institutionnellement limité. Avec l’arrivée de Mahathir, l’État s’islamise davantage et le parti UMNO domine la scène politique[4].
Les partis chinois n’ont aucun pouvoir réel et représentent plus la bourgeoisie que les intérêts des Sino-Malaisiens. En fait, tout le gouvernement est plus attentif aux demandes des hommes d’affaires qu’au reste du peuple. En 1987, le président Mahathir promulgue 100 professeurs d’origine chinoise dans les universités du pays. Cette mesure semble favorable à l’épanouissement de cette communauté, mais c’est perçu comme une mesure d’assimilation puisqu’aucun de ces enseignants ne parle mandarin. Cette confrontation fait réagir la communauté universitaire chinoise qui manifeste publiquement contre cette décision. Mahathir utilise la clause du Sedition Act pour fermer le débat qui va à l’encontre de l’unité nationale[5]. Il en profite pour emprisonner quelques ennemis du régime en place. Cet événement illustre tout à fait le climat de bâillonnement dans lequel les Malaisiens d’origine chinoise doivent vivre. C’est l’Omerta, la loi du silence, qui règne. Cette communauté ethnique doit passivement espérer pour de meilleures conditions de vie, sous peine d’être emprisonnée. Certains soutiennent que ces mesures ont évité à la Malaisie de connaître d’autres émeutes meurtrières, mais il est évident que cette relative quiétude se construit aux dépends des Sino-Malaisiens. Ceux qui questionnent le système de discrimination positive à l’égard des Bumiputras sont marginalisés par les autorités et sont accusés d’encourager de potentiels émeutes racistes à l’égard de la communauté chinoise[6].
Aujourd’hui la discrimination positive est plus une habitude qu’une mesure spéciale. Les politiques visant à une meilleure représentation des Malais ont mené à une surreprésentation de cette population dans le secteur public. Toutefois, la croissance économique extraordinaire de cet État permet à l’ensemble de la population de s’enrichir, ce qui amenuise les tensions ethniques[7]. Depuis le début des années 90, les politiques malaisiennes tendent vers une accommodation intégrative plutôt qu’une assimilation pure et simple. Serait-ce à cause de l’ouverture du marché chinois à l’économie mondiale ? Cette hypothèse est certainement à considérer. Mahathir a mis en place la Vision 2020 durant cette décennie. Cette idéologie vise à réduire le favoritisme sur la base ethnique[8]. C’est une réorientation qui ne peut qu’être favorable à la communauté Sino-Malaisienne qui souhaite certainement se rapprocher du modèle d’intégration thaïlandais plutôt que du modèle d’exclusion indonésien.
Bibliographie
Chin, James. 2001. «Malaysian Chinese Politics in the 21st Century: Fear, Service and Marginalisation». Asian Journal of Political Science 9 (no2, décembre): 78-94.
Collins, Alan. 2005. « Securization, Frankenstein’s Monster and Malaysian Education». The Pacific Review 18 (no 4, décembre): 567-88.
Haque, Shamsul. 2003. «The Role of the State in Managing Ethnic Tensions in Malaysia». American Behavioral Scientist 47 (no 3, novembre): 240-66.
Segawa, Noriyuki. 2007. «Malaysia’s 1996 Education Act: The Impact of a Multiculturalism-type Approach on National Integration». Journal of Social Issues in Southeast Asia 22 (no 1): 30-56.
[1] Haque, 248.
[2] Chin, 82.
[3] Ibid., 83.
[4] Chin, 86.
[5] Collins, 572.
[6] Idem., 580.
[7] Haque, 253.
[8] Segawa, 35.