Ce qui se cache derrière le sourire Thaïlandais

Par Fanny Boyard

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Les Thaïlandais sont perçus à l’étranger comme un peuple « accueillant, agréable, facile à vivre » (1), ce qui explique que la Thaïlande soit communément surnommée « le pays du sourire« . Cependant, il n’est pas rare que les visiteurs Occidentaux soient déconcertés une fois sur place face à ce sourire omniprésent qu’ils ne savent comment interpréter.

Il faut dire que si en Occident on utilise le sourire principalement pour exprimer des émotions positives, ce n’est pas forcément le cas en Thaïlande. Le sourire entre en jeu dans de multiples contextes pouvant parfois paraître incongrus aux yeux d’une personne non avertie.

La sociologue Robert Cooper et sa femme Nanthapa, d’origine Thaïlandaise, ont publié un ouvrage traitant des spécificités du « Pays du sourire », et ont consacré une section à décrypter le « sourire siamois ». Ils répertorient cinq types de sourire en Thaïlande: le sourire d’amusement, le sourire pour s’excuser, celui pour remercier, le sourire dit « to side step », soit pour contourner une situation ou pour éviter le conflit, et le sourire d’embarras (2).

d6552ed304c1fcc806e3beed322bcf2cLe sourire d’amusement est facile à comprendre, mais ce n’est pas forcément le cas des autres types de sourires. Ces derniers renvoient très largement à la communication non verbale qui occupe une place importante dans la communication Thaï. Les Thaïlandais sont généralement plus enclins que les Occidentaux à exprimer certaines émotions par un simple sourire plutôt qu’à travers des mots (3).

C’est principalement le sourire dit « to side step » qui pose le plus de problèmes de compréhension entre la population locale et les Farang (étrangers Occidentaux (4)). En Effet, dans le cas d’un conflit ou d’une situation de désaccord, le sourire « to side step » va être utilisé comme réponse au problème. Au lieu d’entrer dans le vif du sujet, de débattre et de prendre le risque de se disputer, les Thaïlandais utiliseront cet outil non-verbal afin de contourner la difficulté. Cette attitude a tendance à agacer l’interlocuteur occidental qui n’y voit en aucun cas un moyen de résoudre l’affaire. A l’inverse, elle inspire le respect au sein de la communauté Thaïlandaise qui voit en elle une forme de diplomatie (5).

En terme de communication verbale, les Thaïlandais utilisent fréquemment, au moins une fois par jour (6), et dans divers contextes, l’expression « mai pen rai », qui signifie  » de rien » , « ce n’est pas important », « ce n’est pas une problème », « inutile de s’inquiéter »(7).

Comme dans le cas du sourire, cette expression intervient dans différents cas de figure comme pour s’excuser, remercier, offrir son aide, se plaindre ou exprimer son désarroi, désapprouver quelque chose, émettre une critique ou encore pour refuser poliment quelque chose (8).

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Encore une fois, une incompréhension peut apparaître entre autochtones et étrangers, notamment en raison des multiples circonstances d’utilisation du « mai pen rai », et des difficultés à trouver une traduction exacte.

Les problèmes de traduction conduisent les étrangers à interpréter cette formule comme une forme de laisser-aller, d’indifférence, voire de négligence de la part des Thaïlandais (9). Il est vrai qu’on répondrait difficilement « ce n’est pas important » pour s’excuser, remercier ou exprimer son désaccord en Occident. Il est donc important de garder à l’esprit la diversité des interprétations, et de ne pas rester rigide face à une traduction trop étriquée du « mai pen rai ».

Le sourire Thaïlandais et le « mai pen rai » ont en commun qu’ils renvoient l’idée que la situation ou le sujet traité est « sans importance » aux yeux de l’interlocuteur. Or, il semblerait que cette tendance soit liée à certaines caractéristiques de la culture Thaïlandaise.

Le Professeur Harry C. Triandis s’est intéressé aux multiples dimensions qui définissent une culture, qu’elle soit « rigide », « tight culture », ou plutôt « souple », « loose culture ».

Pour Triandis, la Thaïlande fait sans aucun doute partie de la catégorie des cultures « souples ». Or les cultures dites « souples » possèderaient peu de normes et de règles en comparaison aux cultures « rigides », d’autant qu’il n’y aurait pas un modèle défini d’attitudes à adopter. En conséquence, les individus auraient des points de vue distincts sur la manière de se comporter. Étant conscients de ces divergences, ils seraient plus enclins à tolérer chez les autres les comportements qu’ils jugeraient eux-mêmes inappropriés (10).

Cette particularité viendrait du fait que la Thaïlande, en raison de sa situation géographique, serait influencée par les cultures chinoises et indiennes. Le mélange des cultures et des traditions engendrerait donc une variété de standards implicites auxquels les individus s’identifieraient plus ou moins (11).

Par ailleurs, le bouddhisme permettrait également d’expliquer le sourire Thaïlandais et le « mai pen rai ». Cette tendance, qualifiée de « laisser-faire » « laisser-aller » par les Occidentaux, serait étroitement reliée au concept du « Tri Lanksana ». Le Tri Lanksana regrouperait les trois caractéristiques de l’existence, à savoir sa nature éphémère, la souffrance éprouvée face à la perte des êtres aimés, et la recherche de la paix intérieure en se détachant de l’aspect matériel. La synthèse de ces trois notions rappellerait à l’Homme que « finalement, rien dans ce monde n’est réellement important et conséquent »(12).

 

(1) Browell, 2000, 109

(2) Cooper, 1990, 19

(3) Cooper, 1990, 19-20

(4) Baffie et Boonwanno, 2011, 12

(5) Cooper, 1990, 20-21

(6) Panpothong et Phakdeephasook, 2012, 99

(7) Baffie et Boonwanno, 2011, 15

(8) Panpathong et Phakdeephasook, 2012, 100

(9) Panpathong et Phakdeephasook, 2012, 105

(10) Triandis, 2004, 92

(11) Triandis, 2006, 210

(12) Panpathong et Phakdeephasook, 2012, 105

Baffie, Jean et Boonwanno, Thanida. 2011. Dictionnaire insolite de la Thaïlande. Cosmopole, Paris.

Browell, Sue. 2000.  » The land of smiles »: people issues in Thailand ». Human Resource Development International 3 (1) : 109-119.

Cooper Robert et Cooper Nanthapa. 1990. Culture Shock Thailand. Portland Or. : Graphic Arts Center.

Panpothong, Natthaporn et Phakdeephasook Siriporn. 2012 « The wide use of mai-pen-rai ‘it’s not substantial’ in Thai interactions and its relationship to the Buddhist concept of Tri Laksana ». Journal of Pragmatics 69: 99-107.

Triandis, Harry C. 2004. « The many dimensions of culture ». The Academy of Management Executive 18(1): 88-93.

Triandis, Harry C. 2006. « Cultural aspects of globalization ». Journal of International Management 12: 208-217.

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