Par Claudia Altamirano
L’archipel de l’Indonésie possédant des milliers d’îles (17 000 en 2008) séparées ou rapprochées les unes des autres est remarquablement riche en diversité culturelle. Pourtant, à la naissance du pays, la quête d’un nationalisme pour l’unification du pays a amené les leaders nationalistes à vouloir réduire cette diversité aujourd’hui tant prisée des touristes. Il permettrait une meilleure communication entre chaque île afin de parvenir à unifier le pays en émergence dans les années 1945. La même année, l’Indonésie prend son indépendance de la couronne hollandaise. La nouvelle « République » devait développer son économie pour parvenir à ses besoins. Ce n’est qu’en 1969, lors de l’inauguration du premier aéroport à Bali, que l’Indonésie connaît une croissance économique majeure avec l’arrivée de la prometteuse industrie du tourisme. De ce fait, l’État fait du développement du tourisme une priorité dans son agenda, dans le but de favoriser l’économie du pays. Le gouvernement a mis en place des politiques au bénéfice des populations locales afin de les guider dans ce domaine. À ses débuts, la concentration du tourisme se trouvait dans les zones urbaines, et les curieux venaient majoritairement du Japon. Ce n’est que plus tard que les touristes occidentaux arrivent sur les lieux, en montrant un intérêt plus particulier pour les diversités ethniques qu’offrent les régions rurales, éloignées de la « civilisation ».
Les deux régions largement favorisées par ce domaine sont Bali et Yogyakarta. En 2000, Bali représentait 30% des arrivées nationales et internationales du pays. Les recettes de cette industrie servaient à la préservation et à la promotion du tourisme. En effet, 38% des Balinais vivaient du tourisme à cette époque, et 50% de tous les revenus de la population provenaient aussi du tourisme. L’apogée de cet essor économique se situe durant les années 80, et jusqu’en 1997 avec la crise financière asiatique, qui fut suivie de nombreux incendies, de la chute du dictateur Suharto en 1998, en plus de l’instabilité économique et politique actuelle.
Les problèmes surviennent lorsque l’économie se concentre uniquement dans les deux régions Bali et Yogyakarta, et la répartition des flux monétaires crée des inégalités en marginalisant les régions les plus éloignées. Pour remédier à cette problématique, le gouvernement indonésien a encouragé la création de nouvelles routes aériennes, maritimes et terrestres afin de faciliter l’accès à des territoires excentrés. De plus, avec la nouvelle politique d’ « ouverture » qui promeut un tourisme durable, le Plan directeur du développement du tourisme visait surtout les touristes Occidentaux en diffusant l’importante diversité ethnique comme principal attrait touristique. Dans d’autres termes, l’État cherchait à « Baliniser » les autres régions offrant des ethnies toutes aussi « colorées » que « primitives », faisant des villages originels des « villages touristifiés ». Par exemple, à Kuta, le village a eu l’initiative de suivre le modèle de Bali, et accueillait les touristes dans leur demeure. Plus tard, le gouvernement prend le contrôle en centralisant l’industrie touristique dans tout le pays. Peu à peu, le gouvernement sélectionnait les peuples qui « avaient l’air plus primitifs » auprès des touristes dans le but d’améliorer l’économie du village.
Afin de protéger les populations locales, l’Administration indonésienne a mis en place différentes institutions qui encadrent, avec l’aide des experts étrangers, l’industrie du tourisme, comme le comptoir touristique Nusa Dua à Bali. Cependant, les habitants des régions s’opposent à cette idée. Ils critiquent que le gouvernement, considéré comme corrompu, protégeait plutôt les intérêts des grandes chaînes hôtelières internationales. Pour remédier à ces problèmes, les Plans quinquennaux de Développement national ont été fortement encouragés par les Nations Unies. Le générateur de revenus était centré sur la culture. Les Indonésiens ont vite compris que les touristes occidentaux ont un intérêt pour les ethnies aux traditions totalement méconnues.
À présent, la culture en Indonésie est valorisée à différents degrés. Notamment par les populations locales, qui, dans le passé, étaient discriminées et marginalisées, éprouvent aujourd’hui de la fierté grâce à la diffusion de leur culture, tout en profitant d’un développement économique.
Toutefois, l’industrie du tourisme a amené des changements autant positifs que négatifs. En effet, cela a initié une compétition parmi la société indonésienne pour accueillir le plus de touristes en se qualifiant de plus « primitifs » que d’autres.
De plus, les experts identifient une montée des intolérances ethniques et religieuses entre citoyens. Les premiers à avoir bénéficié de la nouvelle industrie étaient les agriculteurs et les horticulteurs. Les gens qui travaillaient directement dans l’industrie ne gagnaient pas autant que ceux qui avaient investi. Les « nouveaux riches » ont modifié leur mode de vie en favorisant la consommation des produits occidentaux imposée par la mondialisation. La nouvelle ouverture a permis la redécouverte de la culture indonésienne, mais au risque de perdre des repères culturels traditionnels, le clivage entre les générations, le consumérisme et l’occidentalisation à l’américaine. Par exemple, dans les écoles et dans les musées, l’État a fabriqué un modèle de culture que doivent suivre les ethnies traditionnelles. Comme par exemple, la croyance en un seul Dieu, ou encore changer le calendrier des fêtes religieuses pour coïncider avec la saison haute. Ceci à des fins économiques puisque plus les régions ont des traditions différentes et authentiques, plus le tourisme dans le pays s’étend. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. Les hameaux « oubliés » deviennent de plus en plus pauvres par le seul fait qu’ils n’ont pas une culture divergente, ou ne sont pas « intéressants » aux yeux des agences touristiques.
Le tourisme a été à l’origine de nombreux changements. Les changements sociaux parmi la population se regroupent en trois aspects. Premièrement, la division sexuelle qu’a créée le tourisme se reflète par la croissance des femmes dans le milieu de travail. Aujourd’hui, les femmes indonésiennes ne dépendent plus des hommes, comme dans le passé. Deuxièmement, les disparités croissantes entre villes sont alarmantes. Il y a des provinces plus riches que d’autres. Ceci s’explique par le manque de redistribution de la richesse entre provinces. Troisièmement, les clivages religieux et ethniques causent des conflits entre les individus, ce qui crée des tensions dans le pays. Ceci dit, les minorités ethniques en Indonésie doivent s’adapter aux besoins des touristes, tout en risquant leur intégrité culturelle. Les compétitions entre provinces dans la course à l’authenticité « primitive » engendrent des sentiments de jalousie et d’envie. La nouvelle classe émergente a repoussé l’autorité des ancêtres par la voie que le capitalisme prône, celle de l’accumulation des biens. Celui qui dirige la région n’est plus celui qui était assigné traditionnellement, mais par celui qui possède le plus d’argent. La tradition et la modernisation se voient confrontées dans les choix que doivent faire les habitants du pays.
Ici, le tourisme n’est pas le problème, mais l’absence de contrôle et d’encadrement de son évolution de l’État vers les autochtones.
Certes, le tourisme a amené plusieurs aspects positifs dans la région. Il a aidé à protéger la culture face au nationalisme et à la mondialisation. Mais, au plan interne, une meilleure gestion au profit des populations locales est fortement recommandée par les chercheurs dans le domaine, peu nombreux sur le sujet.
Bibliographie :
Cabasset, Christine. 2008. « La culture, comme ressort de la diffusion touristique dans l’archipel indonésien » Études caribéennes, 9-10, Avril-Août 2008, mis en ligne le 08 septembre 2008. En ligne. https://etudescaribeennes.revues.org/1132#tocto3n2 (page consultée le 20 mai)
Cabasset Christine. 2001. Indonésie : crise identitaire, développement touristique et autonomie régionale (Indonesia : identity crisis, tourist development and regional autonomy). In: Bulletin de l’Association de géographes français, 78e année, 2001-3 ( septembre). Asie du Sud-Est. Réseaux de villes en Europe. pp. 222-234. En ligne. http://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2001_num_78_3_2222 (page consultée le 20 mai)
Franck, Michel. 2002. « « Hello Mister ! » : quand les autochtones rencontrent les touristes en Indonésie. », Ethnologie française 3/2002 (Vol. 32), p. 475-487. En ligne. www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2002-3-page-475.htm. (page consultée le 20 mai)