Les Cham et le génocide cambodgien

Par Matthieu John

L’année zéro, comme la qualifie Francois Ponchaud, témoin de la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges, évoque le début d’une période sombre de l’Histoire du Cambodge. Cette année de 1975 marque l’instauration d’une nouvelle société par les révolutionnaires khmers. Le régime en place de 1975 à 1979 sera à l’origine d’environ 1,7 millions de morts. Nous allons porter notre attention sur la place des minorités ethniques et religieuses durant cette période. Plus particulièrement, nous allons étudier la population, d’environ 250 000 habitants à l’époque et principalement de confession musulmane. Le particularisme ethnique et religieux des Cham a-t-il été la source première des discriminations à leurs encontre durant la révolution khmère ?

 

            Premièrement, il semble que les Cham, bien que minoritaires, suscitent une attention particulière au sein de la société khmère. Effectivement, issu de l’État hindo-bouddhiste du Champa, les Cham avaient migré depuis plusieurs siècles vers le Cambodge en raison du commerce, ou de guerres vietnamiennes. Or, convertis à l’Islam (1700) et mélangés à des Malais, les Cham eurent une grande influence à la cours royale khmère à partir de 1642 et l’accès au pouvoir d’un prince khmer grâce à l’aide des Malais. L’influence cham grandit lorsque ce même prince se convertit à l’Islam, et elle perdure jusqu’au protectorat français (KIERNAN, 1996, p.254). C’est la raison pour laquelle la perception qu’ont les membres du Parti Communiste du Kampuchéa (CPK) envers les Cham est particulière, cela en raison de cette histoire commune entre le Cambodge et le Champa. Bien que le prince Sihanouk tente de les intégrer dans la nation khmère, où ils sont d’ailleurs nommés « khmers Islam », les Cham souffrent de leurs particularisme culturels et religieux auprès de la population cambodgienne (PONCHAUD, 2001, p.160). Cependant, il semble que cela n’est pas le cas dans l’ensemble du Cambodge. En effet, dans beaucoup d’endroits, Khmers et Cham partagent une langue, un style de vie, une histoire en commun. Par exemple, à Kampot, la moitié de la population musulmane avait adopté le khmer et l’autre moitié le parlait couramment. Dans la région d’Oudond, on pouvait noter de nombreux mariages entre Cham et autres groupes, y compris khmers (KIERNAN, 1996, p.256). Ainsi, seule la religion est un élément de séparation ; elle est d’ailleurs le « ciment de la communauté » cham.

            Ensuite, d’un point de vue général, nous pouvons constater que les minorités ethniques occupent une place particulière sous le régime khmère ; tout d’abord, car leur importance est négligée par le régime. En effet, selon les estimations officielles, 99% de la population est khmer et le 1% restant regroupe l’ensemble des minorités présentes sur le territoire. Cette représentation est en fait bien loin de la réalité. Effectivement, Cham, Chinois, Vietnamien, Thaï, Lao et les vingt autres groupes que composent les groupes ethniques au Cambodge représentent alors 20% de la population (KIERNAN, 1996, p.251). Néanmoins, nous devons rappeler que dans une certaine mesure, les minorités ont participé aux prémices de la révolution. Effectivement, si l’on prend le cas des Cham, au début des années 1970, ils sont nombreux à prendre part au mouvement révolutionnaire dans le pays (PONCHAUD, 2001, p. 160). Cela n’est pas étonnant car, dès les années 1950, de nombreux Cham intègrent les partis communistes, tel que Sos Man, l’un des plus anciens Cambodgiens à rejoindre le Parti Communiste Indochinois. Il intègre d’ailleurs en 1970 l’un des comités régionaux du CPK. Ainsi, au tout début des années 1970, les actions des khmers rouges sont bien perçues par une grande partie des Cham et des autres minorités, ces actions restent alors politiques (KIERNAN, 1996, p.258-259).

            Finalement, nous pouvons dire que les Cham ont souffert de leur particularisme religieux. Durant la révolution, ils sont en effet victimes de nombreuses discriminations : D’un côté, nous pouvons noter des discriminations connues de toute la population telles que les relocalisations ou les collectivisations, menant souvent à des situations de famine. Mais d’un autre côté, les Cham subissent aussi des discriminations suite à la prohibition de la religion en 1973. Dans ce sens, leurs particularisme religieux devient alors l’objet de discriminations: « livres sacrés déchirés, obligation d’élever des porcs près des mosquées, obligation de s’habiller à la khmère… » (PONCHAUD, 2001, p. 160). Cependant, nous pouvons nuancer la place de ce particularisme dans la révolution. En effet, il semble que ces discriminations s’appliquent en premiers lieux à ceux que l’on nomme « ennemis internes », c’est à dire, ceux qui s’opposent à l’idéologie khmère. Ainsi, ce n’est pas nécessairement l’identité cham qui est visée mais plutôt leurs différences allant en inadéquations avec les directives du régime. C’est la raison pour laquelle Pol Pot souhaite disperser les Cham afin d’éviter tout rassemblement ethnique. Cependant, la répression prend très vite un tournant de plus en plus violent. Du mois d’aout à octobre 1975, une campagne nationale vise à éliminer les dirigeant islamique du pays et l’année suivante, les évacuations et tueries se généralisent (KIERNAN, 1996, p.271). Les déplacements de populations que connait le Cambodge durant ces années, et les différentes mesures gouvernementales ont provoqués des centaines de milliers de victimes.

            Ainsi, il ressort que les Cham, de par leur identité ethnique et religieuse, ont été l’objet de nombreuses discriminations et répressions. Mais c’est en tant « qu’ennemis de la révolution » qu’ils sont visé, et non du fait de leur identité minoritaire (KIERNAN, 1996, p.260).


Références :

  • COOK, S., (2006). Genocide in Cambodia and Rwanda : New Perspectives. USA : Transaction Publishers.
  • KIERMAN, B. (1996). The Pol Pot Regime : Race, Power, and Genocide in Cambodgia under the Khmer Rouge, 1975-79. New Haven ; London : Yale Univertity Press.
  • PONCHAUD, F., (2001). Cambodge Année Zéro. Paris : Kailash.
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