Par Clara Florensa
Considéré comme l’un des pays les plus pauvres au monde dans une région en plein développement, le Cambodge fait effet de paradoxe économique. Il faut dire que le régime des Khmers Rouges et la guerre civile y sont pour beaucoup : en 1980, au sortir des années noires, l’industrie cambodgienne est dévastée et le secteur primaire ne produit plus qu’à un dixième de sa capacité d’avant-guerre (1). Une reconstruction totale du pays et de son économie sont nécessaires. Or, avec l’occupation vietnamienne, et la persistante menace communiste, le Cambodge est mis à l’écart de la communauté internationale pendant dix années, ne bénéficiant donc pas de l’aide au développement ou du commerce extérieur qui auraient pu favoriser le rétablissement de l’économie. Ce n’est qu’avec les Accords de Paris en 1991 et la mise en place de l’APRONUC (Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge) que le développement du Cambodge va devenir une priorité au sein des instances internationales. Passant ainsi d’une économie communiste très réglementée à un libéralisme mondialisé, l’économie cambodgienne va subir un changement drastique. Ce bouleversement va signifier une privatisation de la plus grande majorité des secteurs et endommager le système de services publics, qui deviendra par la suite quasiment inexistant.
Le climat économique actuel au Cambodge est un parfait reflet de son histoire récente, et chaque étape de la reconstruction encore en cours est une conséquence des choix passés. Ainsi peut-on dire que le panorama économique cambodgien actuel est source d’espoirs ? Quelles sont les clefs vers le plein développement dans un contexte de mondialisation ?
Avec une croissance élevée et constante ces dernières années (soit de 7,1% en 2011 selon la Banque Mondiale) (2) le Cambodge est indiscutablement en cours de développement. Mais cette croissance reste fragile et dépendante de bon nombre de facteurs externes.
L’économie cambodgienne est principalement basée sur son agriculture, représentant 57,6% du PIB en 2009 et 80% des emplois (3). Cependant, les infrastructures agraires sont dépassées, la production est peu diversifiée, spécialisée (principalement basée sur la production de riz) et les ressources naturelles menacent de s’épuiser à cause d’une gestion inefficace. Ces facteurs sont la cause de rendements insuffisants qui ne peuvent faire face à la concurrence des pays voisins (notamment du Vietnam et de la Thaïlande). L’industrie textile a pris un rôle particulièrement important dans l’économie cambodgienne ces dernières années. À l’égal de ces voisins, le Cambodge est en passe de devenir l’un des ateliers de confection des pays plus riches de la région, où le coût de la main d’œuvre devient trop important (Chine, Taïwan, Malaisie…). Mais l’apport de l’industrie textile reste précaire : la compétitivité du Cambodge réside dans les accords de l’OMC qui permettent d’effacer les barrières tarifaires dans les échanges avec l’occident et la qualité des productions est contestée. Le secteur des services est porté par le tourisme qui atteint 15% du PIB en 2005 (4). Mais ce secteur, ainsi que celui de la construction, est caractérisé par un développement peu contrôlé, largement sujet à la spéculation et à la corruption (selon le principal parti de l’opposition, plus de 1/3 des ressources générées par les Temples d’Angkor disparaîtraient chaque année).
Le marché cambodgien est donc trop peu diversifié, faiblement concurrentiel dans une région en plein essor et peu fiable dans le sens où la corruption et les lenteurs administratives font obstacles aux investissements. De ce fait, les investisseurs internationaux ne se bousculent pas au Cambodge, l’investissement est de nature régional (Asie de l’Est) et il bénéficie plus la spéculation que le développement des infrastructures. L’ouverture au marché mondial se fait plus lentement que dans la plupart des pays asiatiques.
La reconstruction économique du Cambodge sous la tutelle de l’ONU s’est donc fortement basée sur l’aide internationale. Le pays a reçu 6,947 milliards de dollars entre 1992 et 2006 (5) de la part de la communauté internationale. Bien qu’aillant permis de développer des infrastructures basiques pour la reconstruction dans les premiers temps, l’aide a par la suite souvent été détournée, mal redistribuée ou utilisée à des fins logistiques par les ONG et les institutions internationales elles-mêmes. Ainsi, on peut juger inefficace l’injection de capitaux dans le développement récent du pays. De plus, un questionnement émerge sur les répercussions négatives de ces aides : la dette et la dépendance générées vont-elles permettre au Cambodge de se développer seul ?
L’intégration à l’économie mondiale était une question de survie pour le Cambodge. D’abord régionale avec l’adhésion à l’ASEAN, puis mondiale avec l’OMC, cette intégration s’est faite de façon trop rapide et peu mesurée. Au point que l’on en vient à questionner la pertinence de l’adhésion du Cambodge à l’OMC dans l’optique développementale.
La croissance économique a tout de même permis le recul global de la pauvreté, ce qui justifie l’optimisme de la communauté internationale quant au développement du Cambodge. On observe d’ailleurs l’essor d’une classe moyenne avec un meilleur accès à l’éducation et la santé dans les villes. Néanmoins, le revenu moyen par habitant reste inférieur à 2$ par jour (6), les inégalités ne cessent d’augmenter et l’abîme se creuse entre le niveau de vie en ville et en milieu rural, poussant ainsi à un exode rural mal géré par le gouvernement. De plus, l’absence quasi-totale d’un État de bien-être qui favoriserait l’expansion de services publics universels (éducation, santé…) ne fait qu’accentuer ces différences.
En conclusion, l’intégration au commerce mondial et l’aide internationale ont favorisé la reconstruction et le développement d’une économie en ruines ; le Cambodge est désormais un pays enregistrant des taux de croissances élevés. Mais la fragilité de ces ressources économiques, la dépendance face à l’international et l’absence de redistribution des richesses maintiennent le Cambodge dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA). Seuls les choix futurs et les répercussions des diverses politiques économiques menées laisseront entrevoir les possibilités d’émergence du Cambodge.
(1) Cambodge contemporain, p.189
(2) Présentation du Cambodge, France Diplomatie
(3) Ibid
(4) Cambodge soir, 9-10-11 septembre 2005
(5) Le développement socio-économique au Cambodge, p.268
(6) Présentation du Cambodge, France Diplomatie
Références :
Gerles, François. 2008. «L’économie cambodgienne». Dans Alain Forestier dir., Cambodge contemporain. Paris : Les Indes savantes, p 189-256.
Buntong, Peh. 2013. Le développement socio-économique au Cambodge. Paris: L’Harmattan.
France. France Diplomatie. Présentation du Cambodge. En ligne : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/cambodge/presentation-du-cambodge/ (page consultée le 29 octobre 2013)
“Birmanie, Cambodge et Laos: de bons risques économiques.” Les Échos. 2013. En ligne : http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/international/asie/221182162/birmanie-cambodge-et-laos-bons-risques-economiques-1 (page consultée le 30 octobre 2013)