Par Alex Chartrand
Que ce soit par le changement de capitale de Rangoon vers Naypyidaw ou la libération d’Aung San Suu Kyi, la sphère politique birmane a été témoin de nombreux développements dans les dernières années. Or, ce processus ayant débuté en 2008, une nouvelle constitution a été écrite et a fait du régime une république présidentielle, ce qui a mené à la création de nouvelles élections en 2010 et à l’ouverture d’un parlement en 2011 [1]. De ce fait, ces changements au sein du système politique birman sont pour plusieurs une source de nouvelles opportunités, puisqu’ils permettent la mise en place de groupes d’opposition en plus de rouvrir la porte à d’anciens acteurs politiques longtemps marginalisés, tels Aung San Suu Kyi [2].
Toutefois, malgré ces développements majeurs, les élections de 2010 ont été à maintes reprises critiquées et caractérisées comme n’étant ni inclusives ni démocratiques [3]. Un doute s’est donc installé quant à la réelle portée des réformes birmanes et de leur véritable intention. En fait, certains avancent qu’elles représentent seulement un moyen de consolider le pouvoir du gouvernement en place [4]. Face à cette situation, il est ainsi pertinent de se demander si les réformes proposées par le régime birman se concrétiseront véritablement lors des prochaines élections prévues en 2015, dissipant par le fait même le scepticisme régnant tant au sein de la population qu’à l’intérieur de la communauté internationale.
Les élections de 2015 : promesses d’un régime en transition
Du côté du régime au pouvoir, il est assuré que les prochaines élections seront justes et démocratiques [5]. Également, le gouvernement confirme qu’un temps raisonnable sera accordé pour effectuer une campagne électorale et que des règles claires et transparentes seront utilisées [6].
Ces promesses faites à ce sujet s’inscrivent dans la lignée des observations ayant été élaborées par David L. Steinberg au moment où il a étudié les élections partielles ayant eu lieu en 2012. Bien qu’il y ait encore un besoin important de changement pour 2015, Steinberg a remarqué qu’il semblait y avoir déjà moins de censure au sein de la campagne. De plus, le débat entre les différents partis était plus ouvert et une transparence accrue a été remarquée. Finalement, une innovation majeure de ces élections a été la présence d’observateurs étrangers, ce qui n’avait pas été permis depuis de nombreuses années [7]. Ainsi, ces changements pourraient donc laisser croire que les promesses faites par le régime soient bel et bien en voie de se matérialiser lors des prochaines élections, du moins partiellement. Également, il est possible que les capacités de l’État actuellement ne soient pas totalement adaptées au travail demandé par les réformes et qu’alors, une période de transition s’impose. Cela expliquerait pourquoi certains problèmes sont toujours rencontrés lors des élections sans toutefois témoigner de l’impossibilité de la réalisation des mesures développées.
La réforme des élections est-elle un résultat de pressions extérieures?
En regardant les évènements politiques récents survenus en Birmanie, il est possible de remarquer que les réformes effectuées ont permis au pays de se rapprocher de la communauté internationale, notamment des États-Unis et autres membres de l’ASEAN [8]. Ces nouveaux contacts ont d’ailleurs mené à la levée de nombreuses sanctions auxquelles devait répondre le pays et représentent aussi un moyen pour le régime de se moderniser à différents niveaux, économiques par exemple. Par contre, ces nouveaux échanges créent de nouvelles responsabilités pour la Birmanie en plus d’augmenter les demandes de changements au sein du régime. En effet, ce rapport plus constant avec les autres l’oblige désormais à écouter plus attentivement leurs inquiétudes et recommandations et non pas seulement en ce qui concerne les élections. Effectivement, lors d’une rencontre avec Barack Obama, la question délicate de la protection des minorités a été soulevée par le président et alors, il est possible de déduire que pour approfondir ces liens diplomatiques, la Birmanie devra calmer les multiples inquiétudes de ses nouveaux partenaires. [9]
Conséquemment, ces développements récents au niveau diplomatique feront en sorte que les élections de 2015 seront suivies de près à l’échelle internationale, augmentant ainsi les attentes envers le régime. Donc, bien que le dessein du gouvernement ait pu avoir des visées de consolidation du pouvoir à l’origine, il sera inévitable que les réformes soient concrètement développées et que les élections de 2015 soient bel et bien plus démocratiques. En cas contraire, de nouvelles sanctions pourraient être dirigées contre le régime en plus de mener à la perte de l’appui récemment trouvé sur la scène internationale.
Le processus difficile du changement à venir
Comme l’illustre Steinberg, le fait que le parti d’Aung San Suu Kyi New League for Democracy (NLD) ait remporté 40 des 45 sièges contestés en 2012 démontre bien qu’un changement est également demandé au sein même de la population [10]. Ainsi, ce sentiment risque bien d’être encore très présent lors des prochaines élections et vient appuyer l’idée qu’un réel changement, bien que progressif, est en train de s’installer en Birmanie.
Évidemment, ces changements ne se concrétiseront pas tous en même temps, et bien que de nouveaux acteurs obtiendront un large appui de la population, leur rôle pourrait bien être limité et réduit par les mesures constitutionnelles en place. Ceci est d’ailleurs le cas avec Aung Saa Suu Kyi qui, bien que pressentie comme pouvant être élue présidente en 2015, fera face à des contraintes constitutionnelles à sa nomination [11].
Tout de même, les élections de 2015 et les évènements qui suivront continueront de marquer la transition, certes lente et laborieuse, du régime birman vers un système démocratique légitime. Alors, bien que de nombreux problèmes ne puissent être réglés, il semblerait que désormais il soit possible de croire en l’élaboration de solutions pour cet État.
En image : reportage sur les changements démocratiques en Birmanie
http://www.france24.com/fr/20120118-debat-Birmanie-Junte-birmane-Aung-San-Suu-Kyi
Références
[1] MacDonald, 2013, p. 21; Haacke, 2010, p. 153
[2] MacDonald, p. 27
[3] Haacke, p. 153
[4] MacDonald; Haacke.
[5] Asian News Network (ANN), 2013.
[6] Id.
[7] Steinberg, 2012
[8] MacDonald, p. 32
[9] La Presse, 2013.
[10] Steinberg
[11] Steinberg; Le Figaro, 2012.
AFP. 2012. « Birmanie: Aung San Suu Kyi présidente ? ». Le Figaro (France), 30 août. En ligne. http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/09/30/97001-20120930FILWWW00015-birmanie-aung-san-suu-kyi-presidente.php (page consultée le 23 septembre 2013).
Eleven Media Group. 2013. « Myanmar pledges free and fair election in 2015 ». Asia News Network. En ligne. http://www.asianewsnet.net/news-45306.html (page consultée le 28 octobre 2013).
Haacke, Jürgen. 2010. « The Myanmar imbroglio and ASEAN: heading towards the 2010 elections ». International Affairs, vol. 86, no 1, pp. 153-174.
Macdonald, Adam P. 2013. « From Military Rule to Electoral Authoritarianism: The Reconfiguration of Power in Myanmar and its Future ». Asian Affairs: An American Review, vol. 40, no. 1, pp. 20-36.
Steinberg, David L. 2012. « The Significance of Burma/Myanmar’s By-Elections ». Asia Pacific Bulletin, no. 156.
Tandon, Shaun et Stephen Collinson. 2013. « Birmanie : Obama salue les réformes mais s’inquiète des violences ethniques ». La Presse (Montréal), 20 mai. En ligne. http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201305/20/01-4652458-birmanie-obama-salue-les-reformes-mais-sinquiete-des-violences-ethniques.php (page consultée le 28 octobre 2013).
Source photo
Reuters