Le áo dài : d’un vêtement disgracié à une identité nationale
Áo dài (prononcé « ow-zai »), tunique longue qui est un corset de soie alliant tradition et modernité, passé et avenir, pudeur et sensualité. Comme certains le disent, c’est « un vêtement qui couvre tout mais ne cache rien ». Depuis le début de son existence, il a surtout été une stratégie d’adaptation identitaire du pays face aux différentes influences culturelles étrangères que les Vietnamiens ont connues à travers leur histoire. Voici son histoire de plus de 300 ans, qui va vous raconter comment il est parvenu à cette finalité.
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Histoire du áo dài
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Le áo dài, vêtement féminin à la fois pudique et provocateur, est l’effigie de la culture vietnamienne. Ce symbole de la grâce et de la beauté a inspiré les grandes maisons de design de mode telles Richard Tyler, Claude Montana, Donna Karen, Christian Lacroix, Ralph Lauren, Calvin Klein, Roberto Vanno, Prada et Giorgio Armani (Leshkowich, Vietnam découverte, Viet Touch). Aux alentours des années 1990, il était devenu le costume national du Vietnam. Pourtant, ce vêtement a déjà été disgracié par le régime communiste vietnamien. Ainsi, comment et pourquoi a-t-il été élevé au rang de statut d’une identité nationale? Regardons à travers son histoire et vous y trouverez la réponse.
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Période pré-coloniale : début du áo dài
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Le áo dài est une évolution moderne des anciens costumes du Vietnam. Avant le áo dài, l’« essence nationale » attribuée aux Vietnamiennes était le áo yém, porté par-dessus le váy (Nguyen 1995, p. 237). Le áo yém est un cache-seins fait d’une pièce de tissu en losange retenu au cou et dans le dos par des cordons. Le váy est une jupe, habituellement de couleur brun ou noir. Le áo yém et le váy étaient très pratiques pour travailler dans les champs et dans les rizières, car ils n’entravaient pas les mouvements. Les femmes pouvaient remonter la jupe pour l’attacher autour de la taille et laisser les jambes nues pour avoir plus de liberté de mouvement.
En ville et lors des grandes occasions, les femmes portaient un áo ngũ thân par-dessus le áo yém pour se couvrir le dos. Le áo ngũ thân est une sorte de longue chemise constituée de cinq pans de tissu (ngũ signifie « cinq »). Le áo ngũ thân est habituellement de couleur vive et s’ouvre par le devant. Il s’attache à la taille par deux pans alors que les autres pans sont laissés libres. Cependant, étant donné que peu de femmes pouvaient s’acheter cinq pans de tissus, elles se rabattaient sur le áo tứ thân, un genre de longue chemise constituée de quatre pans (tứ signifie « quatre »).
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Confucianisation’ vers le áo dài
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Au 15e siècle, le pays tombe sous la domination chinoise et traverse une période de brutale sinisation culturelle. Les Chinois accusaient le áo yém et le váy d’être « immora[ux] et immodeste[s] » pour imposer le port du pantalon chinois pour que les Vietnamiens ressemblent aux Chinois (Leshkowich 2003, p. 89).
En 1428, le Vietnam retrouve son indépendance sous la dynastie des Lê. Le áo yém et le váy revenaient au jour, mais les Lê encourageaient le port du pantalon dans le cadre de son programme de ‘confucianiser’ le pays pour mieux le gérer. La classe mandarinale adopte le pantalon pour signifier son statut social élevé alors que les paysannes conservent le váy et le yém pour la convenance de travailler dans les rizières et dans les champs. Entre temps, le áo tứ thân connaît une transformation.
Vers le 17e siècle, le Vietnam est divisé entre deux seigneurs : les Trịnh et les Nguyễn. Les Trịnh gouvernaient le Nord tandis que les Nguyễn gouvernaient le Sud. Pour les distinguer des Vietnamiens du Nord, Nguyễn Phúc Khoát de Huế obligeait ses habitants du Sud à porter le pantalon chinois sous une tunique qui se ferme par le devant (Nguyen 1995, p. 237).
La tunique imposée par les seigneurs Nguyễn était inspirée sur le costume cham. C’était une façon pour les Nguyễn de démontrer leur respect pour la culture des Cham après que les seigneurs ont absorbé les terres chams dans leurs conquêtes du Nam tiến (descente vers le sud). Ce nouvel accoutrement servait à affirmer l’indépendance du Sud par rapport au Nord. C’était sous les Nguyễn que le nom de áo dài a commencé à être employé pour désigner la tunique longue vietnamienne.
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Période coloniale : émancipation de la femme par le áo dài
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Le áo dài, un costume traditionnel, est devenu un outil d’émancipation pour la femme moderne.
C’est sous la colonisation de la France au tournant du 19e siècle que le vêtement débute une évolution plus proche du áo dài d’aujourd’hui. Sous l’influence française, une nouvelle mode de vie émerge pour la classe moyenne, celle de la culture urbaine et occidentale. Pour répondre à la demande du développement de la classe moyenne de la nouvelle bourgeoisie, le Hanoïen Nguyễn Cát Tường Lemur (« Lemur » est la traduction française de son prénom Tường, qui signifie un « mur » en vietnamien) crée la tunique áo dài Lemur dans les années de 1930 (Nguyen 1995, p. 249). Cette nouvelle création Lemur était naturellement destiné aux femmes vietnamiennes. Le áo dài Lemur, ou simplement áo Lemur, était associé à la « femme occidentale et moderne » et à la « mode parisienne ». Il était l’effigie de la « nouvelle femme » privilégiée, qui a été en contact avec les Européens (Leshkowich, 2003, p. 91).
Le áo Lemur est en fait le áo ngũ thân remis au goût du jour suivant l’inspiration de la mode parisienne. Au lieu d’être fait de cinq pans de tissu, le áo Lemur est fait de deux pans cousus ensemble et monté d’un col. Le áo Lemur est raccourci au mollet et les manches sont élargies pour faciliter circulation du sang. Il dessine les courbes des épaules et de la taille. À cause que le áo Lemur prend les formes du corps, les femmes qui l’adoptent abandonnent le áo yém pour adopter la brassière française.
De plus, le áo Lemur se porte avec un pantalon blanc serré à la taille pour « mieux montrer la beauté personnelle de chacune » (Nguyen 1995, p. 249). Le áo Lemur porté avec un pantalon introduit une nouvelle conception de la beauté féminine. Tandis que le áo ngũ thân, ample, dissimule les formes du corps féminin, le áo Lemur le célèbre. Avant 1930, il était mal vu de mettre en valeur la beauté du corps de la femme, voire banni. Avec le áo Lemur, le corps féminin se libère de la tradition confucianiste pour se munir d’une perception moderne et occidentale. Le corps de la femme devait être louangé comme dans la civilisation française.
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Émancipation de la femme par le ao dài
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Car porter le áo Lemur signifie pour une femme qu’elle fait son entrée dans la civilisation moderne, les progressistes félicitent celles qui l’adoptent. De l’autre côté, les conservateurs accusent ces mêmes femmes d’être des êtres de « mauvaises mœurs », car elles se détournent de la tradition (Nguyen 1995, p. 253). Non seulement elles osent s’afficher dans un vêtement qui dévoile les formes de son corps, mais en plus elles portent un pantalon blanc. En soi, c’était un scandale qu’une femme s’affiche dans un pantalon blanc, qui était jusque-là uniquement réservé aux hommes.
insi, le áo dài Lemur porté sur un pantalon blanc était devenu un outil d’émancipation de la femme vietnamienne. L’adoption d’une tenue traditionnelle (mais réformée à la modernité) a permis à la femme vietnamienne de se libérer de leur rôle traditionnel confucianiste (Nguyen 1995, p. 253). Au lieu de rester à la maison pour s’occuper de la maison, de son mari et de ses enfants, la femme sort de la maison et s’affiche en public. Les progressistes félicitent les Vietnamiennes qui se modernisent comme les Françaises. L’ironie du áo dài Lemur est que les femmes adoptent un costume traditionnel pour s’afficher comme des femmes modernes.
Toujours dans les années de 1930, un artiste prénommé Lê Phổ prend le áo Lemur pour lui apporter quelques changements. Lê Phổ épura le col et les manches dentelés pour y donner une forme plus proche du áo tứ thân traditionnel, mais en continuant de flatter le corps de la femme tel que Lemur a fait. Cette nouvelle variation s’approche plus du áo dài moderne d’aujourd’hui. Sur le plan idéologique, le áo Lê Phổ était un compromis entre la tradition et la modernité. En même temps, il passe pour un refus silencieux du colonialisme. Les femmes qui portent le áo Lê Phổ se définissent respectant encore la tradition, mais ne rejettent pas pour autant la modernité. Elles rejettent simplement une identité européenne associée au colonialisme.
Porté par des femmes ou par les hommes, le áo dài n’affiche pas le même message. Porté par les hommes, il représente l’ancien régime pré-colonial. Porté par les femmes, il représente la modernité, « l’extravagance et la futilité » associées au gaspillage capitaliste (Nhi 2011, p. 131). Dans les deux cas, porter le áo dài, un vêtement traditionnel, représente aussi un symbole silencieux du refus du colonialisme, car il affiche une identité non-européenne.
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Période post-coloniale : évolution au Sud
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À partir de 1954, avec la séparation du pays par la Conférence de Genève, il était mal vu de porter le ao dài dans le Vietnam du Nord. Cependant, il continue à être porté dans le Vietnam du Sud, où il continue à évoluer.
En 1954, avec la signature de la Conférence de Genève après la défaite des troupes françaises à Điện Biên Phủ, le Vietnam est de nouveau divisé au niveau du 17e parallèle. Le Nord était sous le gouvernement communiste de Hồ Chí Minh et le Sud, sous la République de Bao Ðài, à qui Ngô Ðình Diệm succède rapidement. Au Nord, le áo dài était tombé dans la disgrâce, car il était associé à la bourgeoisie et au colonialisme. Confectionner un áo dài exige un travail détaillé, car il doit être fait sur les mesures de la personne qui le porte. Jusque-là, seules les femmes appartenant à la bourgeoisie pouvaient se permettre de porter le áo dài. Pour cette raison, les dirigeants du Nord le voyaient comme inconvenable pour construire une nation socialiste, car le vêtement était beaucoup trop bourgeois!
Toutefois, le áo dài continuait à être porté au Sud. Grâce à la présence des Américains stationnés au Sud, Saigon connaît un boom économique phénoménal. Résultant de ce boom, le áo dài se transforme pour afficher son nouveau pouvoir économique. Dans les années 1950-1960, les couturiers saigonnais Trần Kim de Thiết Lập Taylors et Dũng de Dũng Taylors créent le áo dài avec des manches raglan (manche coupée en diagonale qui remonte jusqu’au cou). Ce style de manche élimine les lignes de plis du áo Lemur et du áo Lê Phổ. Le áo dài devient plus resserré à la taille et aux manches, souligne ainsi encore plus qu’avant les lignes du corps féminin.
Le col d’inspiration manchoue s’ajoute au áo dài. Il remonte plus haut pour restreindre les mouvements du cou de la femme et lui confère un air distingué de bourgeoise. Ce col distinguait la femme bourgeoise de la femme ouvrière. La première ne travaille pas, d’où un col restreignant ces mouvements, alors que la deuxième oui.
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Évolution vers la « décadence »
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Dans les années de 1960, Trần Lệ Xuân, la femme de Ngô Ðình Nhu (plus souvent connue sous le nom de Mme Nhu), belle-sœur de Ngô Ðình Diệm et Première dame de la République du Vietnam (le président était célibataire) donna une autre signification de la distinction pour la femme bourgeoise. Mme Nhu élimine complètement le col pour le remplacer avec un décolleté, qui dévoile la peau jusqu’à la base de son cou. Bien que plus d’un attribuaient au col Nhu le qualificatif « d’immodestie », « d’inesthétique » et, surtout de « décadence ». Pour d’autres, ce décolleté s’est vu attribué le rôle symbolique de la « confiance en soi » et de la « libéralisation » de la femme saïgonnaise (Vo 2007, Un pays de témoignage). Malgré des critiques et des condamnations de « décadence » vestimentaire de la femme, le col Nhu ouvrait des nouvelles voies d’évolution pour le áo dài.
Dans la décennie suivante, le áo dài subissait aussi des transformations d’inspiration de la mini-jupe américaine. Il remontait jusqu’au-dessus des genoux, mais cette mode n’avait pas duré longtemps. Par contre, une autre transformation de cette décennie est restée, celle de l’ouverture des pans du áo dài au-dessus de la ligne du pantalon. L’ouverture laisse entrevoir un triangle de peau de la taille. Cette ouverture était aussi une « décadence », car elle donnait une nouvelle sensualité érotique au áo dài. Durant cette décennie, des nouveaux modèles de áo dài d’inspiration chinoise ont aussi commencé à apparaître. Le áo dài pouvait, en plus du col manchou, se boutonner sur le devant au lieu d’être sur le côté.
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Réunification du pays : disgrâce
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Après la réunification du Vietnam en 1975, le ao dài, symbole de la bourgeoisie et du colonialisme, tombe dans la disgrâce.
Le 30 avril 1975, Saigon tombe sous l’assaut des soldats du Nord. Les deux Vietnam du Nord et du Sud sont réunis pour devenir un seul pays sous un régime communiste et Saigon fut renommée Ho Chi Minh Ville pour signifier cette victoire du Vietnam du Nord sur le Sud. Ceux qui refusaient la légitimité du nouveau régime fuyaient le pays, dont les boat people. Le nouveau gouvernement communiste fait une campagne idéologique contre l' »élément bourgeois ». Il déclare tous les aspects de la culture urbaine ex-saïgonnaise comme une culture de « décadence capitaliste » (Hoang, 2006), de « décadence bourgeoise » (Nhi 2011, p. 130), et d’être « non vietnamienne » (Leshkowich 2003, p. 92) à cause de ses nombreuses influences étrangères chinoise, française, américaine et japonaise. Sur ce, le áo dài saigonnais, une « décadence étrangère », était mis au ban pour être remplacé par des vêtements simples et utilitaires : un simple chemisier porté par-dessus un pantalon, pratique pour travailler. Ces nouveaux vêtements étaient nécessaires pour rebâtir le pays, qui a souffert de 30 ans de guerre. Le áo dài était un vêtement inconvénient pour travailler.
Techniquement, il n’était pas illégal de porter le áo dài. Cependant, dans les faits, il y a un très grand risque de voir sa maison « visitée » par la police si une personne est aperçue porter ce vêtement. Pour cette raison, le áo dài « disparaît » de la circulation, afin de ne pas « recevoir » des « visites » non souhaitées. Toutefois, plus le áo dài était devenu « illégal » dans le Vietnam communiste, plus les Vietnamiens qui ont fui à l’étranger le chérissent. Pendant la période coloniale, le áo dài représentait un symbole silencieux du refus du colonialisme. Sous la nouvelle République de 1975, il était devenu un symbole de protestation du régime communiste (Nhi 2011, p. 131).
Lors des occasions spéciales (Tet du Nouvel An, mariage, etc.), les Vietnamiens osent braver l' »interdit » et portent le áo dài. Cependant, pour les activités quotidiennes, c’était le port de vêtement frugal, simple et utilitaire qu’est le chemisier sur un pantalon (Leshkowich 2003, p. 93).
Pourquoi le áo dài était-il devenu « illégal » sous le régime communiste? Parce que l’obligation de porter un chemisier et un pantalon suivait un objectif politique très précis : imposer l’unité socialiste dans tout le pays, du Nord au Sud. Et unité socialiste signifie une vie socialiste, c’est-à-dire simple, frugale et utilitaire. Le vêtement qui devait servir à la construction de l’identité du nouveau pays socialiste devait donc aussi avoir ces valeurs. Le chemisier et le pantalon transportaient ces valeurs socialistes.
Toutefois, à cause de la conjoncture économique après la guerre, des pressions politiques étrangères et des sanctions économiques imposées les pays capitalistes, le nouveau pays communiste tombe dans une catastrophe économique au tournant des années de 1980. Le régime avait été forcé de réviser ses politiques de « simplicité, frugalité et utilitarisme » sur la gestion du pays.
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Politique du Ðổi mới : revanche
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En 1986, avec la politique du Ðổi mới, le Vietnam s’ouvre à l’économie du marché mondiale. Le áo dài revient en force grâce à son pouvoir économique de stimulation de l’économie interne.
Vers la fin des années de 1980, le régime communiste vietnamien révise ses politiques de la gestion du pays. La catastrophe économique qui avait découlé après la guerre remet en cause la légitimité du régime. La population vietnamienne avait perdu confiance dans le gouvernement, même les paysans qui l’ont pourtant soutenu au début de la guerre. Pour tenter de reboucher les gouffres de la catastrophe, le régime adopte la politique d’ouverture du Ðổi mới (renouveau). Cette politique visait à élever le niveau de vie de la population au-dessus de celle qui était « simple, frugale et utilitaire ». Les Vietnamiens étaient fortement incités à consommer.
Pour les Vietnamiens, consommer signifie entrer dans la modernité, vivre de façon mo đen (moderne; Leshkowich 2011, p. 92). Et qu’est-ce qui est mo đen pour eux? La mode! Depuis le Ðổi mới, la consommation et l’intérêt pour la mode connaissent une explosion sans précédent dans le pays. Un nombre inimaginable de magazines et de revues de mode ne cessent d’apparaître pour amener les fashion trends (tendances de la mode) de New York, de Paris et de Tokyo au Vietnam.
Face au bombardement de fashion trends étrangers, les Vietnamiens en sont venus à se demander : mais alors, c’est quoi les Vietnamese fashion trends? Qu’est-ce qui pouvait bien représenter la mode distinctement et uniquement vietnamienne? Quelle réponse ont-ils trouvée à leur quête? Le áo dài! Cependant, pas n’importe quel áo dài. Pas celui du Vietnam du Nord, mais bien celui du Sud. Tout au long de son histoire, le Vietnam du Sud s’est toujours montré économiquement plus fort que le Nord. Par association d’idées, le áo dài du Sud représentait mieux l’image d’une société de consommation moderne. Ainsi, le áo dài du Sud a été ironiquement choisi comme la réponse dans la quête d’une identité nationale de la nouvelle société consommatrice et moderne vietnamienne.
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Conquête internationale : globalisation
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Le 10 septembre 1995, lors du Miss International Pageant à Tokyo, la Miss Vietnam Trương Quỳnh Mai s’est vue décerner du prix du Best National Costume (meilleur costume national). Pour l’occasion, Miss Vietnam avait défilé dans un áo dài en brocard bleu décoré de motif de fleur argenté, porté sur un pantalon blanc et elle était coiffée d’un khăn đóng (sorte de coiffe ressemblant à une couronne qui se porte au-dessus de la tête).
Au Vietnam, ce « couronnement » de Miss Vietnam a été interprété comme plus qu’une simple victoire de beauté vestimentaire. C’était la victoire du pays. Le áo dài était devenu l’ »âme de la nation », « honorée devant plus d’un million de spectateurs internationaux » (Leshkowich 2003, p. 79). Cette reconnaissance internationale relance l’engouement pour le áo dài. Dans les jours suivant la victoire de Miss Vietnam à Tokyo, les boutiques de confection de áo dài au Vietnam affichaient la promesse de confectionner pour ses clients un áo dài sur mesure « exactement comme celui de Miss Vietnam » (Leshkowich 2003, p. 81).
Par le même fait, la victoire de Miss Vietnam avait relancé le potentiel de l’économie locale. Les vendeurs de tissus et les confectionneurs de áo dài regagnaient en vitalité pour faire des affaires, surtout que la reconnaissance internationale de Miss Vietnam attire chez eux l’intérêt des experts de mode étrangers. S’ensuit alors un mouvement de áo dài craze (áo dài mania; Leshkowich 2003, p. 81) qui dépasse les frontières du pays. Les circonstances de la globalisation avaient relancé dans le monde le développement et la promotion d’un « costume traditionnel ». Les designers de renom tels que Richard Tyler, Christian Lacroix, Ralph Lauren, Giorgio Armani et autres ont créé des collections où le áo dài vietnamien était l’inspiration.
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Le ao dài mania
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Depuis la victoire de Miss Vietnam à Tokyo, le ao dài, ce costume traditionnel, est devenu un chic fashion trends (tendance chic de la mode) et une affirmation de la femme vietnamienne, qui participe maintenant dans la globalisation.
l’intérieur du pays, la population subissait le áo dài craze. Après le Ðổi mới, le consumérisme était devenu un standard de vie. Ce consumérisme se traduisait souvent par la recherche de s’habiller des vêtements de marques étrangères. Par exemple, porter des jeans Levi’s, c’était être moderne (Leshkowich 2003, p. 87). Après que le áo dài ait été repris par les designers de luxe, il était étrangement devenu… un vêtement « étranger », car il était entré dans la global fashion trends (tendances de la mode internationale; Leshkowich 2003, p. 87). Par le même fait, il ‘est popularisé auprès des Vietnamiennes.
Ainsi, porter le áo dài confère aux Vietnamiennes une nouvelle identité. Elles étaient devenues des femmes mo đen selon les critères des experts de mode internationaux. Pour elles, c’était tout à fait trendy ethnic chic (un chic ethnique tendance; Leshkowich 2003, p. 87) de porter un costume traditionnel qui a émergé powerful and fashionable (puissant et à la mode; Leshkowich 2003, p. 81) sur la scène internationale.
Par la suite, il était devenu difficile de savoir quelle motivation incitait les Vietnamiennes à porter le áo dài. Était-ce une réponse aux demandes de ses pairs ou de sa famille? Était-ce pour s’afficher essentiellement et distinctement vietnamienne, sans influence étrangère subite? Était-ce pour des goûts personnels? Ou était-ce pour suivre une tendance de global fashion?
Le áo dài craze avait donné un nouveau statut économique pour les Vietnamiennes sur la scène internationale. Même étant des femmes dans un pays du Tiers-monde, elles aussi participent à la globalisation (Leshkowich 2003, p. 81). Du même coup, nous pouvons nous demander si celles qui portent le áo dài le faisaient-elles dans l’esprit de défier les stéréotypes associés aux femmes du Tiers-monde?
Comme l’évolution de son histoire l’a démontré, le áo dài est un vêtement hybride, un outil qui a permis aux Vietnamiens de s’adapter aux différentes dominations et influences étrangères (chinoise, française, américaine et japonaise) que le pays a connues à travers son histoire. Et pourtant, malgré autant d’influences étrangères, le áo dài n’a pas pour autant perdu de sa distinction culturelle (Leshkowich 2003, p. 82 et 88). Il est une fusion de la tradition et de la modernité. Il est à la fois le reflet de l’essence uniquement vietnamien, mais sachant s’ajuster aux exigences esthétiques vestimentaires du temps. Il représente un symbole de résilience et d’ingéniosité des Vietnamiens, qui savent incorporer des idées venant de l’extérieur sans pour autant perdre leur propre identité (Leshkowich 2003, p. 98).
Alors pourquoi?
Alors, pourquoi d’un vêtement de disgrâce, le áo dài est-il devenu le costume national du Vietnam? Pourquoi le régime communiste vietnamien a-t-il élevé le statut d’un vêtement auparavant dédaigné au rang d’une identité nationale pour le pays? Comme nous l’avons constaté à travers l’histoire du áo dài, à cause des besoins économiques après la catastrophe des années de 1980 et à cause de la pression de la reconnaissance internationale après la victoire de Miss Vietnam à Tokyo, le régime communiste avait dû accepter d’élever le vêtement sudiste comme le marqueur national de l’identité du Vietnam. C’est une revanche inattendue pour le áo dài. Aujourd’hui, il est devenu la norme pour les uniformes scolaires féminins, les uniformes d’offices, de réception, d’hôtel, de restaurant et même des hôtesses de l’air.
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Références
LESHKOWICH, Ann Marie (2003). « The Ao Dai Goes Global : How International Influences and Female Entrepreneurs Have Shaped Vietnam’s ‘’National Costume’’ », in The Globalization of Asian Dress: Re-Orienting Fashion, Sandra Niessan (dir.), Oxford, New York, Berg, pp. 75-115.
NGUYEN, Van Ky (1995). La société vietnamienne face à la modernité, Paris, L’ Harmattan, Coll. « Recherches asiatiques », 432 pages.
VU, Lan (2002), Viet Touch. [En ligne], http://www.viettouch.com/aodai/ (consulté le 13 décembre 2012).
, Vietnam découverte. [En ligne], http://www.vietnamdecouverte.com/culture/le-%C3%81o-d%C3%A0i.html (consulté le 14 décembre 2012).