Le bouddhisme Thaï « menacé » ?

Par Marc-Antoine Le Moignan

À très forte majorité bouddhiste (90 %), la population thaïlandaise est encore influencée par la religion au quotidien (Mérieau, 2018). La couleur blanche sur le drapeau de la Thaïlande représente la foi bouddhique, la devise « Nation, Religion, Monarchie » est liée aux croyances, les vacances nationales sont dédiées aux fêtes bouddhistes… Elle est partout : dans les écoles, les cérémonies, mais aussi, dans les bureaux de l’administration (Mérieau, 2018). De jure, l’État thaïlandais sépare clairement religion et politique ; le bouddhisme n’étant même pas la religion « nationale » au pays (Mérieau, 2018). Mais cette séparation, entre l’administration centrale et la monarchie bouddhique, n’est qu’un écran de fumée qui cache une coopération bénéfique entre les deux instances (Dubus, 2019). Voyons comment cette influence religieuse dicte encore la société thaïe, mais aussi, comment elle la divise.

La Sangha, c’est quoi ?

L’État thaïlandais est avant tout une monarchie constitutionnelle. Elle se centralise autour d’une institution au pays : la Sangha. Cette communauté monastique, composée de 290 000 moines, se veut être une extension à l’État (Dubus, 2018), même si elle n’est pas formellement définie ainsi.

Théoriquement, la séparation est claire entre la monarchie et la politique ; l’un n’est qu’une fonction purement symbolique et l’autre gère les affaires de l’État. D’ailleurs, les moines thaïs n’ont pas le droit de vote au pays ; ils occupent des fonctions qui traitent des questions spécifiquement religieuses. La constitution rappelle également que le roi est le « protecteur » de toutes les religions. L’État, quant à lui, est responsable de contrôler la communauté monastique.

Des moines bouddhistes chantent dans un temple thaï. (© Jessica Patterson)

Une fausse réalité ?

Cette séparation théorique, comme elle est inscrite dans la constitution, est loin d’être la réalité en Thaïlande ; au contraire, l’influence entre les deux pouvoirs est une habitude depuis de longues années. Historiquement, il faut remonter à la première constitution établie au pays pour comprendre les premiers signes de cette influence religieuse au sein de la politique. En 1932, l’État thaïlandais devenait le premier en Asie du Sud-Est à faire la transition : de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle (Mérieau, 2014). Deux mots résument cette première constitution, érigée après le premier coup d’État au pays : monarchie et bouddhisme (Mérieau, 2014). Ces deux éléments fondateurs, ancrés profondément au sein de la société thaïlandaise, sont importants pour comprendre la réalité d’aujourd’hui.

La hiérarchie sociale, qui découlera de cette première constitution, est aussi fondée sur certaines bases bouddhistes, dont le karma, qui permet de justifier les inégalités sociales au pays, mais aussi le Dharma (Gabaude, 2001). Le roi, garant de cette hiérarchie, est au centre d’une structure sociale basée sur l’ethnie, les liens de parenté avec la royauté, mais aussi la distance géographique avec le palais (Mérieau, 2014). À l’école primaire, dès leur jeune âge, les enfants sont éduqués selon les grandes périodes du royaume bouddhique (Mérieau, 2014). La société thaïe découle des principes religieux.

Les administrations politiques sont aussi intimement liées au pouvoir monarchique. Les détenteurs du pouvoir politique utilisent la Sangha pour approuver leurs actions. Inversement, les moines bénéficient d’un soutien inconditionnel de l’État, que ce soit financier ou matériel (Dubus, 2018). Des scandales ont déjà été dévoilés au grand jour ; des moines, montrant un train de vie luxueux, impliqués dans des activités d’inconduite sexuelle ou encore de détournement de fonds (Dubus, 2018).

Menace imminente

Cette Sangha thaïlandaise devient de plus en plus contestée au pays depuis les dernières années. Très loin de la vie ordinaire, la monarchie semble déconnectée auprès de la population. Ces histoires de scandales ont terni l’image de la communauté monastique, alors que son appui populaire ne cesse de diminuer (Dubus, 2018).

L’arrivée de la junte militaire NPCO au pouvoir en 2014 après un coup d’État aura fait grandir les tensions avec la Sangha, en désaccord sur plusieurs points. Les autorités gouvernementales vont d’ailleurs critiquer l’implication des moines dans les affaires politiques. La NPCO va également chercher à exercer un plus grand pouvoir sur la communauté bouddhiste (Kulabkaew, 2019), ce qui ne lui plaira pas.

Devant cette polarisation politique présentée par certains médias, le nationalisme bouddhiste va s’intensifier. Des groupes vont exercer une pression pour faire du bouddhisme la religion nationale, toujours pas officialisée aujourd’hui. Cette campagne nationaliste vise un renforcement des liens entre le gouvernement et les autorités monarchiques et souhaite que la Sangha revienne comme principal acteur de l’État (Dubus, 2018).

Chose certaine, cette « crise du bouddhisme » divise la société thaïlandaise plus que jamais. L’affaiblissement de la religion et du pouvoir monarchique se fait remarquer au pays, même si son influence est encore très grande. Certains vont jusqu’à dire que cette autorité bouddhiste est affaiblie au point d’être « menacée » (Kulabkaew, 2019).

Bibliographie :

Dubus, Arnaud. 2018. Buddhism and Politics in Thailand. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine. 10.4000/books.irasec.2951 

Gabaude, Louis. 2001. « Politique Et Religion En Thaïlande : Dépendance Et Responsabilité ». Revue D’Études Comparatives Est-Ouest 32 (1) : 141–73. https://doi.org/10.3406/receo.2001.3076.

Kulabkaew, Katewadee. 2019. The Politics of Thai Buddhism Under the Ncpo Junta. Singapore : ISEAS — Yusof Ishak Institute.

Mérieau, Eugénie. 2014. « Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État ». Dans « Politique étrangère », sous la direction de l’Institut français des relations internationales. 3 (Automne) : 135-49. https://doi.org/10.3917/pe.143.0135.

Mérieau, Eugénie. 2014. Idées reçues sur la Thaïlande. Le Cavalier Bleu. https://doi.org/10.3917/lcb.merie.2018.01.

 

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