Le « miracle économique » Malaisien

Par Héloise Villa

Troisième puissance économique de l’ASEAN en termes de PIB (Produit Intérieur Brut) par habitant, la trajectoire malaisienne surprend. Ses résultats économiques en termes de croissance (+ 8,7 % en 2022) ou de chômage (un score faible de 3,4 %) font envier de nombreux États en voie de développement et les grandes puissances. Pourtant, rien ne présage que la Malaisie connaîtra un tel développement économique au sortir de la colonisation. Aujourd’hui, sa stabilité économique et son développement rapide sont un exemple en Asie du Sud-Est.

La skyline de Kuala Lumpur (capitale de la Malaisie), avec les tours jumelles Petronas, symbole de la puissance économique malaisienne. (© Lýdia Walterová)

Il convient donc de revenir sur les facteurs de réussite du “miracle économique” de la Malaisie. Comment ce tigre asiatique a-t-il pu s’ériger en puissance économique dans la région tandis que de nombreux pays nouvellement indépendants au XXème siècle ne parviennent pas à connaître de telles performances économiques ?

La Malaisie n’a pas suivi une recette magique pour se développer économiquement : c’est bien un ensemble de facteurs qu’il faut prendre en compte. À la sortie de l’expérience coloniale en 1957, la Malaisie fait preuve d’innovation pour transformer la société rurale et agricole en une société industrialisée.

Les autorités malaisiennes font très vite le choix de diversifier leur économie afin de ne pas tomber dans le piège d’une économie de rente. Encore aujourd’hui, la répartition du PIB est équilibrée entre plusieurs secteurs d’activités : le tertiaire domine (58,3 % du PIB), puis le secondaire (industries manufacturières représentent 24,1 % du PIB) et enfin le secteur primaire (les hydrocarbures/les mines, l’agriculture représentent 11 % du PIB).

Néanmoins, l’exploitation des ressources naturelles abondantes comme les palmiers à huile, l’hévéa (arbre à caoutchouc), le bois ainsi que son sous-sol riche en or, en étain et en hydrocarbures offshores (gaz/pétrole), constitue le point de départ de la stratégie malaisienne. En effet, la Malaisie a l’opportunité de s’affirmer dans le commerce international comme l’un des leaders mondiaux en matière d’exportations. Au fil des décennies, le pays s’impose comme la référence dans l’exportation d’huile de palme (juste derrière l’Indonésie), de caoutchouc et de semi-conducteurs.

La récolte des régimes de palme à Slim River (Etat du Perak) en Malaisie en août 2021. (©Lim Huey Teng / Reuters)

Sa place dans la mondialisation s’explique également par sa position géographique. « Carrefour des échanges avec l’Inde et la Chine » (Lafaye de Micheaux, 2012, 13), les colons britanniques avaient bien compris l’atout stratégique de la Malaisie sur le marché international, renforcé par sa proximité avec le détroit de Malacca. Ainsi, la Malaisie s’est vite trouvé une place entre les titans économiques jusqu’à devenir un véritable hub commercial.

La politique d’industrialisation de la Malaisie vise aussi à devenir une référencedans la chaîne de valeur. Pour cela, l’État malais se tourne vers les nouvelles industries comme l’aérospatiale ou encore l’intelligence artificielle. Les investissements en R&D (recherche et développement) notamment par le biais d’IDE constituent un secteur en pleine croissance.

Il convient également de mentionner le rôle prépondérant de l’État pour expliquer le développement économique fulgurant de la Malaisie. Par le biais de plans quinquennaux, l’État malais expose de manière claire les objectifs économiques à atteindre. Lors de l’indépendance, l’un des défis pour l’économie malaisienne consiste à réduire les inégalités héritées de la colonisation, entre les Malais (aussi appelés les Bumiputera) et les non-Bumiputera (soit par opposition les Malais d’origine chinoise et indienne) : c’est l’orientation de la New Economic Policy inaugurée en 1971 (Lafaye de Micheaux, 2014). En effet, les Malais souffrent d’une mauvaise qualité de vie et les inégalités croissantes avec les autres groupes ethnies n’annoncent rien de bon. Sous l’impulsion de la coalition au pouvoir depuis 1957, composée de l’UMNO (United Malays National Organization), du MCA (Malaysian Chinese Association) et du MIC (Malaysian Indian Congress), dirigée par le Premier ministre Tun Abdul Razak, une politique de discrimination positive est instaurée. Afin de rattraper le niveau de vie des non-Bumiputera, les Malais font l’objet de politiques redistributives et de politiques d’égalité des chances : ils sont notamment favorisés à travers un système de quotas qui leur garantit des places dans l’emploi et l’éducation. C’est un succès sur le plan économique : l’indice de Gini de la Malaisie est passé de 0,50 en 1970 à 0,41 en 2015 d’après la Banque mondiale et aujourd’hui, l’extrême pauvreté a presque disparu.

Le succès des plans quinquennaux se comprend également par la stabilité de l’environnement politique malais. Leurs effets ont notamment été décuplés à long terme par la longévité de la coalition Barisan Nasional au pouvoir de 1957 à 2018. En bref, des institutions solides et la définition d’un cadre réglementaire stable ont favorisé le développement économique de la Malaisie.

En résumé, le passé colonial n’a pas entravé la modernisation économique de la Malaisie. Déjà prospère sous domination britannique, le pays a su tirer profit de son ouverture commerciale pour s’insérer dans la mondialisation. La Malaisie est un exemple de développement souverain : les autorités malaisiennes sont parvenues à conduire des politiques économiques d’abord tournées vers les besoins des Malais et à stabiliser leur pouvoir politique par ce biais. Le nouveau défi de la Malaisie consiste à rejoindre le cercle des pays à revenu élevé d’ici les prochaines années.

Bibliographie :

BERNARD, Stéphane. « Territoire, développement et mondialisation Géographie de la modernisation de la Malaysia », Cahiers de géographie du Québec, vol 50, n° 141, 2006, pp. 459-468. https://www.erudit.org/en/journals/cgq/2006-v50-n141-cgq1666/014889ar.pdf

BENZERROUG, Ramzi Mourad. « Analyse des conditions de réussite du modèle de développement malaisien et ses limites », Université de Boumerdès, 2018, 18 pages. https://www.asjp.cerist.dz/en/downArticle/583/6/1/80392

LAFAYE DE MICHEAUX, Elsa. La Malaisie, un modèle de développement souverain ? Nouvelle édition [en ligne] sur OpenEdition Books, Lyon : ENS Éditions, 2012, 344 pages. https://books.openedition.org/enseditions/4905

LAFAYE DE MICHEAUX, Elsa. « Aux origines de l’émergence malaisienne : la Nouvelle politique économique, 1971-1990 », Revue Tiers Monde, vol. 219, no. 3, 2014, pp. 97-117. https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2014-3-page-97.htm

Indicateurs et conjecture, Malaisie, Direction générale du Trésor, Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (France), 27 août 2023. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MY/indicateurs-et-conjoncture#:~:text=Pays%20de%2033%2C4%20millions,12%20364%20USD%20en%202022).

Malaisie — Indice GINI, Banque mondiale. https://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI?locations=MY

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