Par Anna Vu
Bien que la langue vietnamienne soit la langue officielle du pays aujourd’hui et parlé par plus de 85 millions de personnes, elle n’a pourtant gagné sa place de statut officiel qu’à l’arrivée du socialisme et de la réunification du Vietnam, autrefois divisé en deux, conséquence de la succession de colonisation et de la domination étrangère. (Worlddata.info, 2023) Malgré l’occupation de plus de deux millénaires du territoire et de l’exploitation de ses habitants, il est important de souligner l’influence que la langue chinoise et française ont eu sur l’évolution de la langue vietnamienne en plus de son adaptation et son utilisation avec la population selon les classes sociales à travers le temps.
Influence chinoise et son imposition dans la société vietnamienne
Le Vietnam a été sous la domination chinoise pendant un millénaire, plus précisément de 111 av. J.-C. à 939, suivi d’un autre millénaire sous le statut d’un État tributaire tout en étant en contact culturel continu dû à leur proximité territoriale. Ainsi, l’imposition de la langue des Han, groupe ethnique majoritaire de la Chine, dans l’administration mandarinale créée, a facilité la diffusion de l’idéologie confucéenne. Effectivement, la langue est le principal véhicule des connaissances et des idéologies comme moyen de socialisation et d’identification de classe. Le chinois, langue des colonisateurs, deviendra alors la langue au pouvoir tant dans l’administration que dans la littérature et l’éducation. En effet, les postes administratives mandarinales sont comblées à l’aide de concours consistant d’examens sur la littérature et la philosophie confucéenne. La langue d’élite, très peu utilisée par le peuple vietnamien, empêchait alors les paysans d’accéder à de hauts postes qui ne seront composés à majorité que de mandarins. Donc, cette langue de prestige n’était utilisée que par les mandarins et lettrés puisque la majeure partie du peuple ne parlait que le vietnamien dans leurs conversations quotidiennes.
Ce n’est seulement qu’à l’indépendance du pays au 10e siècle, devenant à la place État tributaire de la Chine, que la langue chinoise se mélange au vietnamien du peuple pour créer le sino-vietnamien, c’est-à-dire un langage composé de caractères chinois prononcés à la vietnamienne. L’usage de cette langue par la nouvelle classe féodale nationale est considéré comme la langue officielle et supérieure puisqu’elle a conservé à l’écrit sa syntaxe et son vocabulaire chinois alors que la prononciation a été adaptée à la phonologie vietnamienne. De ce fait, une division de classe perdure encore avec la classe supérieure, détenant les hauts postes de mandarins et lettrés parlant le sino-vietnamien, et la classe inférieure de paysans parlant le vietnamien vernaculaire. Il existait alors une discrimination linguistique totale qui s’intensifiait envers le vietnamien populaire lorsque le pouvoir féodal s’affirmait. Finalement, le régime féodal prendra fin à l’arrivée du colonialisme français.
Élimination et remplacement des politiques par les Français
L’occupation française perdura pendant neuf décennies, de 1862 à 1954, jusqu’aux accords de Genève, signalant la fin de la guerre et aux renoncements définitifs de la souveraineté des Français sur l’Indochine. L’arrivée des Français a été marquée par sa politique d’élimination de toute trace de civilisation chinoise. Ainsi, l’écriture à caractère chinois et le nôm, l’écriture vietnamienne utilisant les sinogrammes, a été remplacée par le quôc ngu, une romanisation de la langue vietnamienne élaborée au 17e siècle par le missionnaire français Alexandre de Rhodes, rendant l’apprentissage plus facile avec la transcription alphabétique que l’écriture idéographique. (Dorais, 1979) Le quôc ngu est l’union du français, une langue non tonale, au vietnamien, une langue à six tons contrastifs, pour mieux l’assimiler dans le lexique. (Huynh, 2008)
Toutefois, de même que sous l’influence chinoise, le français remplaçant le sino-vietnamien comme langue de prestige, continueront à marquer et diviser les classes sociales, entre la bourgeoisie impérialiste et le peuple autochtone. Voyant que l’éducation populaire a permis la naissance d’un mouvement sociopolitique en Europe, le gouverneur ne créa pas de moyens appropriés afin de diffuser cette nouvelle écriture efficacement. De ce fait, les écoles ne seront situées que dans les grandes régions, limitant les paysans qui retombent alors dans l’analphabétisme. (Dorais, 1979)
Le vietnamien comme langue officielle
Il est alors question d’un langage du peuple contre le langage de la classe dirigeante, concept qui a perduré du chinois au sino-vietnamien au français, entre la langue des élites féodales et coloniales qui n’a jamais bénéficié la population grandement paysanne. Les autochtones sont obligés de mettre de côté leur langue maternelle et apprendre le langage prestigieux et tout-puissant de l’élite féodale ou coloniale pour pouvoir atteindre le pouvoir économique et les postes administratifs. (Dorais, 1979) Ce ne sera qu’en 1945, avec l’instauration progressive du socialisme et la déclaration d’indépendance d’Hô Chi Minh, que le vietnamien rependra son droit de langue officielle du peuple. Le gouvernement crée alors une grande campagne d’alphabétisation pour promouvoir la langue nationale, se concluant en réussite politique, mettant fin à deux millénaires de diglossie. (Dorais, 1979)
Bibliographie :
Alves, Mark. « Linguistic Research on the Origins of the Vietnamese Language: An Overview ». Journal of Vietnamese Studies 1, no. 1–2 (2006): 104–30. https://doi.org/10.1525/vs.2006.1.1-2.104.
Dorais, Louis-Jacques. « Diglossie et lutte de classes au Vietnam ». Anthropologie et Sociétés 3, no. 3 (1979): 35. https://doi.org/10.7202/000933ar.
Huynh, Sabine. « L’assimilation des mots d’emprunts français à la langue vietnamienne : la question des tons ». Cahiers de Linguistique – Asie Orientale 37, no. 2 (2008): 223–40. https://doi.org/10.1163/1960602808X00082.
Worlddata.info. « Vietnamese – Worldwide Distribution ». Consulté le 6 octobre 2023. https://www.worlddata.info/languages/vietnamese.php.