Philippines : l’Église et l’État, une histoire de longue date qui tire à sa fin ?

Par Amélie Balogh

L’Église catholique a depuis longtemps joué un rôle important dans la vie politique des Philippines. Bien que leur relation ait évolué à travers l’histoire du pays, ceux-ci ont toujours été interreliés d’une certaine façon. La religion catholique fut introduite aux Philippines avec l’arrivée des Espagnols, au XVIe siècle (Pineda Ofreneo 1987, 320). Durant les trois siècles qui suivent, aucune séparation entre l’Église et l’État ne peut être observée et les religieux espagnols n’hésitent pas à intervenir dans les affaires politiques, par le simple principe qu’elles le peuvent. Cette situation a par contre changé en 1898 alors que les Philippines obtiennent leur indépendance, et qui, via la nouvelle Constitution, soulignent la nécessité d’une séparation entre l’Église et l’État. Malheureusement, l’indépendance des Philippines fut très courte puisque les Américains déclarèrent la guerre à l’Espagne l’année même et finirent par acquérir le territoire philippin (Castro 2019, 102).

Le président Duterte saluant l’archevêque Romulo Valles. (©Romero 2018.)

Bien que les Américains soutenaient un concept d’État laïque, cela n’a pas empêché l’Église catholique d’exercer son influence dans la sphère politique (Pineda Ofreneo 1987, 321). Et cette situation continuera suite à l’indépendance officielle des Philippines en 1946, malgré le fait que la Constitution oblige, encore une fois, la séparation entre l’Église et l’État. En effet, cela ne reste essentiellement qu’un fait écrit sur papier et ce, encore aujourd’hui (Castro 2019, 103).

Pourquoi observe-t-on une ligne aussi floue entre les deux entités ? 

En fait, autant l’Église catholique que les politiciens en ont à gagner en laissant l’autre empiéter sur son terrain de jeu. Du côté de l’État, les candidats politiques se présentant aux élections courtisent couramment les diverses organisations religieuses catholiques pour obtenir leur soutien pendant leurs campagnes électorales, car, considérant que la majeure partie des Philippins sont catholiques, si un candidat électoral a la bénédiction de l’Église, les chances sont qu’il aura la bénédiction de la population également (Castro 2019, 103). Par exemple, en 1985, dans l’optique de détrôner le dictateur Marcos, le cardinal Sin qui supportait l’opposition, soit Corazon Aquino, s’est adressé aux fidèles catholiques pour leur demander de ne pas voter pour un candidat qui professait une idéologie athée ou contraire à celle des enseignements de l’Église, ou encore qui était connu pour prôner la violence comme moyen pour changer la société. Bref, il demandait en gros de ne pas voter pour Marcos. Le résultat ? Aquino devient présidente en février suivant (Pineda Ofreneo 1987, 335).

Du point de vue de l’Église, s’immiscer dans la vie politique se voit être un choix évident pour être en mesure de remplir à leurs devoirs tout en dénonçant les maux de la société (Romero 2018). En effet, l’Église catholique philippine n’hésite pas à s’opposer aux programmes gouvernementaux si ceux-ci s’opposent aux valeurs catholiques, notamment en ce qui a trait aux sujets tels que la planification familiale, la santé reproductive ou encore, la légalisation du divorce. Donc en s’alliant avec les élus, l’Église s’assure que la morale chrétienne sera respectée. (Castro 2019, 103). Et, dans certains cas, cette implication de l’Église aide en retour les candidats politiques, car l’Église promet aux fidèles catholiques que tout ira bien s’ils approchent le vote avec vigilance en s’assurant d’élire le meilleur candidat, soit celui dont l’Église aura embelli d’une certaine façon l’image (Cartagenas 2010, 856).

Comment le fils de l’ancien dictateur des Philippines a-t-il réussi à se faire élire lors des dernières élections de 2022 ?

À ce jour, les pires ennemis de l’Église catholique aux Philippines ont, sans aucun doute, été Ferdinand Marcos et Rodrigo Duterte, en raison de leurs points de vue et méthodes de gouvernance divergentes des celles de l’Église. Alors comment peut-on expliquer que, depuis 2022, le président philippin n’est nul autre que le fils de Marcos et que sa vice-présidente est la fille de Duterte ? En fait, plusieurs groupes religieux ont fait campagne pour la candidate rivale de Bongbong Marcos, appelant les gens à ne pas oublier l’époque sombre de la loi martiale imposée par son père (Callejas 2022). Cependant, Bongbong Marcos et Sara Duterte ont tout de même gagné l’élection. La réponse de l’Église ? Tant qu’il s’agit du bien commun, l’Église est toujours là pour soutenir les élus, car au final, le peuple choisit et donc, sa volonté doit être respectée. D’ailleurs, certains groupes religieux qui étaient initialement contre l’élection de Bongbong Marcos ont changé de camp après que le pape François ait félicité Marcos Jr. suite à son élection (Callejas 2022).

Le président Bongbong Marcos et la vice-présidente Sara Duterte avec les cardinaux Quevedo (à gauche) et Advincula (à droite). (©Calleja 2022.)

Mais comment la nouvelle administration, qui elle aussi maintenait une position antagoniste à l’égard de l’Église, a-t-elle réussi à se faire élire sans son soutien ? En fait, une grande partie du succès du nouveau président est attribuable à sa campagne sur les réseaux sociaux qui fut menée par ses jeunes partisans. L’Église s’est tout simplement vue dépassée par les armes modernes de l’administration Bongbong. Mais ce déclin de l’influence politique de l’Église ne signifie pas pour autant qu’il sera irréversible, car sa capacité à mobiliser au niveau communautaire et ses positions morales cohérentes à une époque de changement induit par la technologie lui confèrent un avantage (De Guzman 2022).

 

 

Bibliographie :

Calleja, Joseph Peter. 2022. « Philippine Church hints at ‘principled cooperation’ with Marcos Jr. ». UCANews. https://www.ucanews.com/news/philippine-church-hints-at-principled-cooperation-with-marcos-jr/97874.

Cartagenas, Aloysius. 2010. « Religion and Politics in the Philippines: The Public Role of the Roman Catholic Church in the Democratization of the Filipino Polity ». Political Theology 11 (6), 846-872. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1558/poth.v11i6.846.

Castro, Nestor. 2019. « The Interface between Religion and Politics in The Philippines Based on Data from Recent Philippine Elections ». International Journal of Interreligious and Intercultural Studies 2 (2), 100-107. https://doi.org/10.32795/ijiis.vol2.iss2.2019.454.

De Guzman, Chad. 2022. « Marcos Jr. May Have Won This Battle Against the Catholic Church, But the Struggle Isn’t Over ». Times. https://time.com/6180512/philippines-marcos-catholic-church/.

Pineda Ofreneo, Rosalinda. 1987. « The Catholic Church in Philippine politics ». Journal of Contemporary Asia 17 (3), 320-338. https://doi.org/10.1080/00472338780000221.

Romero, Alexis. 2018. « Duterte: Religious leaders should be neutral because of ‘separation of church and state’ ». Philstar. https://www.philstar.com/headlines/2018/07/08/1831703/duterte-religious-leaders-should-be-neutral-because-separation-church-and-state.

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