Thaïlande-Japon: investissements et ordre mondial?

Par Laurianne Bossé

Le Japon et la Thaïlande entretiennent de forts liens économiques depuis plus de 600 ans. [1] En effet, à travers le temps, ces deux États ont su maintenir de très forts liens économiques, relations qui, jusqu’à tout récemment n’allaient qu’en croissant. À l’heure actuelle, la Thaïlande héberge une multitude d’entreprises et d’industries japonaises, [2] ainsi le Japon s’inscrit dans le système des chaînes de valeur de l’ASE. L’État thaï joue ainsi un rôle primordial dans l’économie japonaise actuelle, or, depuis 2013, les investissements directs (IDE) du Japon n’ont cessé de chuter. [3] Que signifie cette approche du Japon, qui peut sembler contre-intuitive? Traduit-elle un changement de l’ordre mondial ou seulement une réorientation des objectifs économiques japonais? La Thaïlande se retrouve-t-elle coincée sans investisseur pour contribuer à son développement et, si oui, comment peut-elle s’en rescaper?

Historiquement, le Japon a été le plus important partenaire commercial de la Thaïlande, et ce, depuis la signature des Accords de Plaza en 1985. [4] D’ailleurs, ces accords ont marqué le début d’investissements massifs de la part du Japon dans le développement du secteur manufacturier thaï, investissements qui ont su se maintenir et même croître à travers la crise asiatique de 1997. [5] En 2006, le Japon contribuait près de 3 billions de dollars américain, constituant ainsi près du tiers des IDE reçus par la Thaïlande dans ces années-là. [6] Témoignant ainsi de l’importance de ces relations, le Japon et la Thaïlande signaient, en avril 2007, le Japan-Thailand Economic Partnership Agreement (JTEPA), annonçant ainsi une « nouvelle ère de partenariat stratégique. » [7] Le JTEPA est, en quelque sorte, un accord de libre-échange (ALE) bilatéral, mais qui va plus loin, en proposant une coopération inter-étatique qui couvre des aires d’activités en dehors de la gestion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). [8] Aoki-Okabe explique plus en détails en quoi les Economic Partnership Agreements (EPA) japonais se distinguent des ALE traditionnels dans son texte.

Aujourd’hui, cependant, les IDE japonais en Thaïlande sont à peu près aussi bas que lors de la crise économique de 2008, suivant une très forte tendance à la baisse depuis 2013. [9] Cette baisse s’explique potentiellement par les changements politiques que vit l’État, plus spécifiquement le coup de la junte militaire en 2014. En effet, Hartley (2016) met de l’avant comment les IDE totaux pour la période de janvier-février 2014, avant le coup d’État, s’élevaient à plus de trois fois ceux prévus pour la même période en 2016, selon les données du Thailand’s Board of Investment (BoI). [10] Pourtant, les données du BoI illustrent aussi qu’au cours de la période d’après-guerre, le manque de démocratie constitutionnelle n’ont pas affecté les IDE japonais et, qu’au contraire, les IDE japonais ont, souvent, augmenté après un coup d’État. [11] Hartley [12] note en effet que la fluctuation des FDI en Thaïlande ont généralement suivi les événements d’ampleur régionale ou globale plutôt que nationale ou locale. De ce fait, ce serait plutôt la nouvelle tendance compétitive globale se dessinant en Asie du Sud-Est (ASE) qui influencerait les IDE japonais.

 Il ne faut toutefois pas négliger les facteurs locaux de cette baisse dans les investissements. En effet, la Thaïlande est actuellement dans une position économique relativement précaire en ce sens que sa croissance économique, basée sur les exportations notamment, a stagné : c’est le middle-income trap, terme qui décrit le phénomène de ralentissement de la croissance économique gagnée par des activités à forte intensité de main d’oeuvre et orientées vers l’exportation. [13] Cette problématique s’additionne aussi à celle du vieillissement de la population, que le Japon connaît également. [14] Néanmoins, des initiatives telles que le projet Thailand Plus One (T+1) visent à restructurer ces chaînes de valeurs qui contribuent aux économies des deux États. Le T+1 réfère à un système hubs-and-spokes qui s’étend à la région du Mékong, favorisant et renforçant l’économie thaïe en déménageant certains échelons des chaînes de production vers d’autres États de la région, tout en gardant la centralité des opérations à Bangkok. [15] 

En conclusion de son article, Hartley soulève que la clé à la problématique thaïe est le Myanmar, État dont la population est encore jeune et qui permettrait de perfectionner la connectivité inter-régionale de la zone du Mékong.16 Or, cet article fut publié en 2016 et ne peut donc pas tenir compte du coup d’État qui a secoué le pays en février 2021. Sous l’égide du régime militaire, il est à se demander si la Thaïlande, et en l’occurrence le Japon, pourront toujours se fier à la coopération birmane dans leurs initiatives commerciales.

 

1 Phongpaichit 2007, 1.

2 MOFA 2020, 63.

3 Hartley 2017, 572.

4 Phongpaichit 2007, 1-2.

5 Ibid., 2.

6 Ibid., 2.

7 Aoki-Okabe 2007, 1.

8 Ibid., 2.

9 Hartley 2017, 572.

10 Hartley 2016.

11 Ibid

12 Hartley 2017, 573.

13 Hartley 2016.

14 Ibid.

15 Hartley 2017, 580.

16 Hartley 2016.

 

Bibliographie

AOKI-OKABE, Maki. Looking Toward the “New Era” Features and Background of the Japan-Thailand Economic Partnership Agreement. No. 132. Institute of Developing Economies, Japan External Trade Organization (JETRO), 2008.

HARTLEY, Ryan. 2017. « Contemporary Thailand–Japan Economic Relations: What Falling Japanese Investment Reveals About Thailand’s Deep, Global Competition, State in the Context of Shifting Regional Orders. » Asia & the Pacific Policy Studies 4, no. 3: 569-585.

  1. « Off a cliff: the collapse of Japanese investment in Thailand – Policy Forum » dans Policy Forum. Disponible en ligne [http://www.policyforum.net/off-cliff-collapse-japanese-investment-thailand/]

Ministère des affaires étrangères du Japon (MOFA). Diplomatic Bluebook 2020. Octobre 2020. p.63-64. [https://www.mofa.go.jp/fp/pp/page22e_000932.html]

PHONGPAICHIT, Pasuk. 2007. « Impact of JTEPA on the bilateral relationship between Japan and Thailand. » Communication présentée au Symposium on Future of Japan-Thailand Economic Partnership on the occasion of 120th anniversary of Japan-Thailand Diplomatic Relations, Tokyo, 1 novembre 2017. http://pioneer.netserv.chula.ac.th/~ppasuk/jtepaimpactonjapanthairelations.pdf

 

Pour en savoir plus :

Les chaînes de valeur en ASE :

YAMAGUCHI, Ayako. 2018. « Global Value Chains In ASEAN. » Institute for International Monetary Affairs, Newsletter 1. [https://www.iima.or.jp/docs/newsletter/2018/NL2018No_1_e.pdf]

La crise asiatique de 1997 :

JEON, Bang Nam, et Byeongseon SEO. 2003. « The impact of the Asian financial crisis on foreign exchange market efficiency: The case of East Asian countries. » Pacific-Basin Finance Journal 11, no. 4: 509-525.

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