Myanmar : Un processus démocratique interrompu

Par Gabriel Dargnat

 

La République du Myanmar, anciennement appelée Birmanie a vécu une naissance démocratique en 2010 créant un espoir de stabilité et de liberté pour les 55 millions d’habitants du pays. Cependant au matin du 1er février 2021 l’armée annonce reprendre le pouvoir, la prix Nobel Aung San Suu Kyi et le président Win Myint sont arrêtés simultanément[1]. Cette récente actualité montre la fragilité d’une démocratie récente. Nous assistons aujourd’hui à une interruption du processus démocratique avec l’intervention de l’armée similaire à un coup d’État, 10 ans après les premières élections libres.

Une fragile transition démocratique

Ancienne colonie britannique jusqu’en 1948, le Myanmar connaît de nombreuses périodes d’instabilités politiques notamment avec de multiples coups d’État. Le pays est dirigé jusqu’en 2011 par les forces armées nationales[2]. En 2008, le pays lance un référendum constitutionnel qui engendre en 2010 les premières élections. Ces élections seront cependant critiquées par la communauté internationale ainsi que par l’opposition comme étant truquée[3].  L’issue de ces premières élections voit alors la victoire du parti proche de la classe militaire, celui du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD). C’est alors seulement en 2016 que le premier président élu démocratiquement prend le pouvoir, Htin Kyaw est alors le candidat du parti de la Ligue nationale pour la démocratie (LND)[4]. Pourtant, environ un an après, il démissionne pour des raisons demeurées indéterminées laissant ainsi planer l’ombre de l’armée[5]. Après un intérim militaire, c’est en 2018 que Win Myint candidat du LND devient président du Myanmar et laisse entrevoir un avenir démocratique au pays ainsi qu’un respect des libertés individuelles. Cette chronologie des récents événements montre l’éprouvante accession à la démocratie. Cependant celle-ci est demeurée très fragile au regard de l’importance de l’armée (appelée la Tatmadaw) dans le pays. En effet, selon la constitution, l’armée se voit attribuer 25% des sièges au Parlement ainsi que trois postes ministériels[6]. Malgré les projets de stabilisation de la démocratie, le pays doit faire face à de nombreuses difficultés, parmi celles-ci, l’enjeu d’unir la nation. En effet, le pays se compose de plus de 135 tribus natives, l’ethnie majoritaire étant la Burmins (environ les deux tiers de la population)[7]. Malgré cette transition démocratique, l’armée a gardé un poids considérable notamment grâce à un financement important :

« L’État birman consacre une part exceptionnelle de son budget à maintenir sur pied de guerre une armée – le budget officiel de l’armée serait huit fois supérieur à celui de l’éducation et de la santé – dont une fonction essentielle consiste à contenir ou à réprimer les revendications des opposants au régime. Son principal financement provient, paradoxalement, des revenus de divers trafics – dont celui de l’opium –, lesquels servent aussi de nerf de la guerre à quelques-uns des groupes insurgés. »[8].

La violente interruption militaire

Le putsch militaire du début de l’année 2021 se traduit finalement par l’agacement de l’armée de voir le pouvoir politique être partagé avec le LND. La Tatmadaw a agi afin de prouver sa force, « Notre erreur tient à ce que nous partons du principe que la junte birmane joue selon les mêmes règles. »[9]. Effectivement, il est important de saisir que cette caste militaire cherche avant tout à se rassurer face à un contexte politique dans laquelle le LND prenait de plus en plus de pouvoir et où la démocratie est soutenue par le peuple. Ainsi, « Les militaires se sentent de plus en plus mal à l’aise avec l’idée d’une cohabitation », « ils ont senti qu’ils avaient perdu la main sur la politique birmane »[10]. En attestent les élections législatives de 2020 marquant le début de la séparation entre l’armée et le gouvernement : le parti affilié aux militaires a ainsi subi une sévère défaite lors des élections en se voyant attribué 7% des sièges[11]. À l’issue des résultats l’armée à chercher à faire annuler ces élections. Les méthodes de dissuasion n’ayant pas suffi pour que le gouvernement baisse les bras, l’armée décide d’utiliser la manière la plus coercitive déclenchant un coup d’État afin de renverser le pouvoir élu par le peuple quelques mois plus tôt.

La fin d’une démocratie ? La réponse populaire

Des manifestants pro-démocratie face aux militaires. Source : L’Express.

Pourtant face à la Junte militaire, les citoyens refusent cette violation démocratique et défilent dans la rue depuis l’arrestation du Président et de Aung San Suu Kyi. La pagode Shwedagon, surnommé la « pagode d’or » est aujourd’hui tachée par le sang de citoyens pourtant ordinaire qui depuis plus d’un mois ne se laissent pas écraser sous les bottes militaires, cherchant dans un anonymat total à reprendre l’avenir de leur nation. Depuis le début de cette crise, environ 140 manifestants pacifistes ont été tués par la répression militaire qui n’hésite pas à faire usage des armes à feu à l’encontre du peuple[12]. Les manifestants représentant toutes les classes sociales et sont pour 60% majoritairement représentés par des jeunes femmes[13]. Malgré la répression des forces armées, les manifestants continuent de s’opposer au coup d’État. Les pancartes affichant des messages d’espoir tels que : « Ensemble, nous pouvons changer le monde » se multiplient dans la plus grande ville du Myanmar, Rangoun[14].

Le Myanmar est un cas particulier puisque le pays surnommé « pays aux mille pagodes » a entamé une transition démocratique depuis dix ans, offrant l’espoir d’une stabilité politique ainsi que le respect des libertés individuelles des citoyens. Pourtant la situation politique chamboulée au cours d’une nuit, entrainant aujourd’hui une crise profonde dans laquelle les citoyens meurent afin de protéger leur démocratie. Ainsi l’avenir du pays repose sur l’issue d’une opposition entre la violence militaire et la détermination populaire… sous le regard d’une communauté internationale qui condamne prudemment la Tatmadaw.

[1] Agence France-Presse, « L’armée prend le contrôle du Myanmar. » Le Devoir, 2 février, 2021. https://www.ledevoir.com/monde/asie/594430/myanmar-l-armee-prend-le-controle-du-myanmar.

[2] Camille Kouamé Perpetue, « Fin d’une longue dictature militaire au Myanmar. » Perspective Monde, 11 octobre, 2016. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=2064.

[3] Laurent Amelot, « Myanmar et sécurité régionale en Asie : les enjeux du référendum constitutionnel », Sécurité globale 4, n° 4 (2008), https://doi.org/10.3917/secug.006.0119.

[4] Kouamé Perpetue, « Fin d’une longue dictature militaire au Myanmar ».

[5] Bruno Philip, « Le président birman, Htin Kyaw, a démissionné. » Le Monde, 21 mars, 2018. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/03/21/le-president-birman-htin-kyaw-a-demissionne_5273960_3216.html.

[6] Perspective Monde, « Élection au Myanmar (Birmanie) de la Ligue nationale pour la démocratie. » Perspective Monde, 8 novembre, 2015. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1309.

[7] Info Birmanie, « Une mosaïque d’ethnies », s.d, http://www.info-birmanie.org/birmanie-une-population-heterogene-repartie-le-long-des-frontieres/.

[8] Rodolphe De Koninck, « Chapitre 9 – La Birmanie » dans L’Asie du Sud-Est, dir. Rodolphe de Koninck (Paris : Armand Colin, 2012), 231. https://doi.org/10.3917/arco.koni.2012.01.0230″

[9] Min Thant, (Taipei, Taiwan : The News Lens, 2021), cité dans Courrier International, « Birmanie. Un coup d’État stupide », Courrier International, n°1579 (2021), 6.

[10] The Sraits Times, (Singapour : The Sraits Times, 2021), cité dans Courrier international, « Birmanie. Un coup d’État stupide », Courrier International, n°1579 (2021), 6.

[11] Ibid.

[12] Agence France-Presse, « Birmanie : 11 morts dans la répression de manifestations contre la junte. » Le Journal de Montréal, 15 mars, 2021. https://www.journaldemontreal.com/2021/03/15/birmanie–11-morts-dans-la-repression-de-manifestations-contre-la-junte.

[13] J.-L. D et Agence France-Presse, « Birmanie : Les femmes en première ligne des manifestations prodémocratie. » 20 minutes, 8 mars, 2021. https://www.20minutes.fr/monde/2993799-20210308-birmanie-femmes-premiere-ligne-manifestations-pro-democratie.

[14] Ibid.

Bibliographie

Agence France-Presse. « Birmanie : 11 morts dans la répression de manifestations contre la junte. » Le Journal de Montréal, 15 mars, 2021. https://www.journaldemontreal.com/2021/03/15/birmanie–11-morts-dans-la-repression-de-manifestations-contre-la-junte.

Agence France-Presse. « L’armée prend le contrôle du Myanmar. » Le Devoir, 2 février, 2021. https://www.ledevoir.com/monde/asie/594430/myanmar-l-armee-prend-le-controle-du-myanmar.

Amelot, Laurent. « Myanmar et sécurité régionale en Asie : les enjeux du référendum constitutionnel ». Sécurité globale4, n° 4 (2008) : 119-136. https://doi.org/10.3917/secug.006.0119.

Courrier International. « Birmanie. Un coup d’État stupide. » Courrier International, n°1579 (2021).

De Koninck, Rodolphe. « Chapitre 9 – La Birmanie. » Dans L’Asie du Sud-Est, sous la direction de Rodolphe de Koninck, 230-253. Paris : Armand Colin, 2012. https://doi.org/10.3917/arco.koni.2012.01.0230″

Info Birmanie. « Une mosaïque d’ethnies. » s.d. http://www.info-birmanie.org/birmanie-une-population-heterogene-repartie-le-long-des-frontieres/.

J.-L. D et Agence France-Presse. « Birmanie : Les femmes en première ligne des manifestations prodémocratie. » 20 minutes, 8 mars, 2021. https://www.20minutes.fr/monde/2993799-20210308-birmanie-femmes-premiere-ligne-manifestations-pro-democratie.

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Philip, Bruno. « Le président birman, Htin Kyaw, a démissionné. » Le Monde, 21 mars, 2018. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/03/21/le-president-birman-htin-kyaw-a-demissionne_5273960_3216.html.

Perspective Monde. « Élection au Myanmar (Birmanie) de la Ligue nationale pour la démocratie. » Perspective Monde, 8 novembre, 2015. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1309.

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