Par Madeleine Rouleau-Dumas
Jakarta, 2017. Le maire de la ville, Basuki Tjahaja Purnama (Ahok), de confession chrétienne et d’origine chinoise, est condamné à 2 ans de prison pour blasphème de la religion musulmane.[1] Cet évènement marque un point culminant suite à des décennies de mouvements anti-chinois en Indonésie.
Colonisation hollandaise
L’arrivée des hollandais-es en Indonésie et la création de la Compagnie des Indes orientales (OVC) apportent de nouvelles opportunités de commerces, dont le marché du sucre, où les chinois-es sont les propriétaires de terres de plantations. Toutefois, ce boom économique ne fait qu’augmenter les hostilités déjà présentes entre les différents ethnies sur le territoire. En effet, dès le XVIIe siècle, les Pribumi (Indonésien-ne-s indigènes) perçoivent les Sino-indonésiens-nes comme étranger-ère-s. Ainsi, lorsque les Néerlands-es donnent un statut privilégié aux entreprises chinoises, suite à l’implantation de politiques anti-intégrationnistes (divide-and-rule), les Pribumi deviennent plus hostile face à ce groupe. Ils-elles les jugent comme des marionnettes coloniales servant, sans broncher, les intérêts des Pays-Bas.[2]
En mars 1942, l’occupation japonaise remplace celle hollandaise, les chinois-es perdent leur protection et toutes organisations politiques qu’ils forment sont bannies.
Indépendance indonésienne
Le 17 août 1945, l’Indonésie proclame son indépendance et Soekarno devient son premier président. — Il est, toutefois, important de noter qu’il s’ensuit quatre années de conflits diplomatiques contre les Néerlandais-es et qu’il faut attendre 1949 avant une réelle indépendance. — Commence, durant cette période, un débat sur le sort des Sino-indonésien-e-s. Les nationalistes soutiennent l’assimilation de la communauté, soit l’abandon de leurs coutumes et traits culturels. Les mouvements communistes, quant à eux, supportent l’intégration, en valorisant l’identité indonésienne sans toutefois perdre leur sentiment identitaire.[3]
Soekarno, fervent partisan de l’idéologie nationaliste, met donc en place de nombreuses mesures assimilatrices chinoises. Principalement, il veut limiter l’influence économique qu’ils-elles avaient gagnée durant l’ère hollandaise, entre autres, en interdisant leur commerce dans les zones rurales.
Le règne de Suharto
Le 1er octobre 1965, des rebelles orchestrent un coup d’État pour retirer Soekarno du pouvoir. Même si celui-ci échoue, il prouve à la population le manque de stabilité au sein du gouvernement. Face à ce dérangement et aux tensions émergentes dans le pays, Soekarno donne donc sa démission quelques mois plus tard et Soeharto prend les rênes du pays en 1966.[4]
Plusieurs vont pointer du doigt Soeharto derrière le coup d’État. Il se défend en désignant plutôt le Partai Komunis Indonesia (PKI) — le parti communiste indonésien — comme le réel belligérant. De là, des mouvements anticommunistes se développent partout au pays. À cette époque, la Chine de Mao est en plein essor. Dans ces conditions, les Indonésiens-nes vont associer la diaspora chinoise à l’idéologie. De 1965 à 1966, 500 000 personnes supposément liées au communisme sont tuées, de ce chiffre, entre 20 000 et 50 000 sont d’origine chinoise; il s’agit des Massacres de 1965-1966.[5]
Comme son prédécesseur, Soeharto prône l’assimilation des Sino-Indonésiens-nes. Des mesures de discrimination sont implantées à la fin des années 1960 et durant les années 1970 pour diminuer leur influence. Entre autres, elles étouffent l’utilisation de l’écriture et la culture chinoise, mettant terme à plusieurs journaux et établissements d’enseignement. Le gouvernement instaure aussi une limite de 10 % d’étudiants-es chinois-es dans certains programmes universitaires et encourage l’utilisation de prénoms plus « indonésiens ».[6]
Les émeutes de 1998
En 1997, une crise économique et politique frappe l’Indonésie. Les personnes deviennent de plus en plus critiques de Soeharto et la corruption de son régime. Les produits de base, comme le riz, vont voir leur prix augmenter de plus de 20 % par mois.[7] Le manque de nourritures et d’emplois rajoute aussi à ce mécontentement.
Nombreuses manifestations émergent dans le pays pour dénoncer le gouvernement. Une des plus importantes est celle du 13-15 mai 1998 à Jakarta, la capitale actuelle. Ce qui est au début des protestations pacifiques anti-régime tourne rapidement en violence anti-chinoise. Les manifestant-e-s considèrent les Sino-indonésiens-nes comme la cause de tous leurs problèmes. Malgré que l’armée soit omniprésente dans les rues, elle décide de peu intervenir afin de détourner l’intérêt des critiques du régime. Conséquemment, plusieurs établissements chinois sont saccagés et plus de 1000 personnes décèdent.[8] Quelques jours après, Soeharto démissionne.
Les Sino-indonésiens.nes après 1998
Depuis, les mesures gouvernementales prises à l’égard de la communauté sino-indonésienne ont changé. Entre autres, l’idéologie d’assimilation est délaissée et les organisations politiques et médiatiques chinoises sont de nouveau autorisées. Cependant, des situations comme celle de 2017 rappellent qu’il reste du chemin à faire avant d’atteindre une Indonésie équitable et sans préjudice.
Lors des dernières années, les sentiments anti-chinois ont regagné en ampleur. L’une de ces causes est l’évolution politique. En effet, il n’existe presque plus de différences idéologiques entre les principaux partis indonésiens, ce qui amène à une surenchère nationaliste et du développement de discours xénophobes.[9] Ipso facto, le populisme politique et le nationalisme économique font maintenant partie prenante de l’État
De plus, la montée de la Chine comme puissance économique et politique lors des dernières décennies attise ces mouvements racistes. Nombreux membres des partis de l’opposition et de la population dénoncent la proximité du Président actuel, Joko Widodo (Jokowi), avec les magnats chinois-es. En 2015, le politicien Prabowo Subianto a mentionné que le gouvernement priorisait les investisseurs-ses chinois-es et donnait des emplois à des travailleur-euse-s chinois-es même si réalité, ils-elles représentent que 0,1 % de la main-d’œuvre du pays.[10]
[1] Emont, J. (9 mai 2017) Jakarta’s Christian governor sentenced to prison in blasphemy case. Washington Post
[2] Kosasih, L. S. (2010) Chinese Indonesians: Stereotyping, Discrimination and anti-Chinese Violence in the context of Structural Changes up to May 1998 Riots, p.34
[3] Turner, Sarah et Pamela Allen. (2007). « Chinese Indonesians in a rapidly changing nation: Pressures of ethnicity and identity ». Asia Pacific Viewpoint 48 (avril), p.114
[4] Eklöf, S. (2003) Power and Political Culture in Suharto’s Indonesia: the Indonesian Democratic (PDI) and Decline of the New Order (1986-98). Copenhagen: Nias Press, p.111
[5] Kosasih, L. S. (2010) Chinese Indonesians: Stereotyping, Discrimination and anti-Chinese Violence in the context of Structural Changes up to May 1998 Riots (Thèse de maitrise, Faculté d’art, Utrecht University). p.53
[6] Turner, Sarah et Pamela Allen. (2007). « Chinese Indonesians in a rapidly changing nation: Pressures of ethnicity and identity ». Asia Pacific Viewpoint 48 (avril), p.115
[7] Idem
[8] Kosasih, L. S. (2010) Chinese Indonesians: Stereotyping, Discrimination and anti-Chinese Violence in the context of Structural Changes up to May 1998 Riots (Thèse de maitrise, Faculté d’art, Utrecht University). p.55
[9] Warburton, E. (2018). Inequality, Nationalism and Electoral Politics in Indonesia. Southeast Asian Affairs, p.147
[10] Idem, p.139
Bibliographie
Eklöf, S. (2003) Power and Political Culture in Suharto’s Indonesia: the Indonesian Democratic (PDI) and Decline of the New Order (1986-98). Copenhagen: Nias Press.
Emont, J. (9 mai 2017) Jakarta’s Christian governor sentenced to prison in blasphemy case. Washington Post.
Kosasih, L. S. (2010) Chinese Indonesians: Stereotyping, Discrimination and anti-Chinese Violence in the context of Structural Changes up to May 1998 Riots (Thèse de maitrise, Faculté d’art, Utrecht University).
Purdey, J. E. (2002). Anti-Chinese violence in Indonesia, 1996–1999. (Thèse de doctorat, Department of History and Melbourne Institute of Asian Languages and Societies, University of Melbourne).
Suryadinata, L. (2008). Ethnic Chinese in Contemporary Indonesia. ISEAS—Yusof Ishak Institute.
Tan M.G. (2005) Ethnic Chinese in Indonesia. In: Ember M., Ember C.R., Skoggard I. (eds) Encyclopedia of Diasporas. Springer, Boston, MA.
Turner, S. & Pamela, A. (2007). “Chinese Indonesians in a rapidly changing nation: Pressures of ethnicity and identity”. Asia Pacific Viewpoint48 (avril), 112–127.
Warburton, E. (2018). Inequality, Nationalism and Electoral Politics in Indonesia. Southeast Asian Affairs, 135–152.