La Thaïlande : Contre le communisme en Asie du Sud-Est

Par Laurianne Bossé

État tampon dans l’ère coloniale européenne, la Thaïlande a longtemps joui d’un statut particulier en Asie du Sud-Est. Celui-ci lui aura servi jusqu’à la Guerre du Vietnam, période au cours de laquelle la Thaïlande devint l’un des principaux alliés des États-Unis dans la lutte contre le communisme en Asie du Sud-Est. À ce jour, la Thaïlande demeure une monarchie constitutionnelle plutôt qu’un État communiste.

Le drapeau royal thaïlandais porté sur la passerelle de l’USS Okanogan (US military personnel, 1968)

Cette alliance entre l’État asiatique et la puissance occidentale que sont les États-Unis s’explique de deux façons : d’une part, l’État thaï voyait l’État américain comme une source de protection face à la « menace communiste » en Asie ainsi qu’un moyen de contrôler les potentielles révoltes communistes à l’interne. D’autre part, pour les États-Unis, la Thaïlande représentait le bastion même de la résistance anticommuniste en Asie. (Kislenko, 2004) Ainsi, plusieurs opérations militaires américaines au cours de ce conflit furent menées depuis la Thaïlande, alors que ce pays permettait une certaine proximité avec les champs de bataille vietnamiens. En échange, la Thaïlande reçut, évidemment, un énorme support financier de la part de son allié, support s’élevant à plus de 2 milliards de dollars américains entre 1965 et 1975. (Kislenko, 2004: §3 )

Dès les débuts de la guerre en Indochine, la Thaïlande observait les événements avec une certaine crainte, voire une certaine appréhension. Le pays n’étant séparé de la Chine que par quelques centaines de kilomètres appartenant au Laos ou au Cambodge (Linantud, 2008: 651), la crainte de cette puissance était donc bien réelle. En effet, la pensée communiste étant en opposition avec la tradition culturelle thaïe, c’est principalement ce facteur, et non la promesse d’un support économique, qui motiva l’État thaï à s’allier aux États-Unis.

Cette prise de position était tout de même risquée pour la Thaïlande. En s’alliant ouvertement aux États-Unis, l’État asiatique prenait le risque de se mettre à dos l’ensemble des pays environnants avec lesquels ses relations étaient déjà plutôt chancelantes. Ainsi, dans l’éventualité où l’initiative américaine échouait, la Thaïlande se retrouverait seule à devoir affronter l’ensemble des États communistes voisins. D’un autre côté, l’alliance aux États-Unis impliquait également une présence américaine en sols thaïs, ce qui constituait tout autant une menace aux traditions culturelles thaïes que l’idéologie communiste. (Kislenko, 2004: §5) En bout de ligne, en août 1969, le gouvernement thaï se retira officiellement des opérations collaboratives avec les États-Unis (Kislenko, 2004: §54) et, malgré la victoire communiste en Indochine, la Thaïlande ne s’en trouvera pas touchée. 

Ce retrait fut motivé par cette réalisation thaïe que, malgré tous leurs efforts, les États-Unis ne parviendraient pas à gagner cette guerre. Ainsi, avant même de se désengager par rapport à l’État occidental, la Thaïlande s’assura de clarifier qu’elle n’était pas à proprement dit anticommuniste, ni contre la Chine ou le Vietnam du Nord. Elle a même ouvertement annoncé être prête à discuter avec Pékin afin d’apaiser les tensions. (Kislenko, 2004: §53)

À la même époque, l’État thaï se devait aussi de gérer la menace communiste à l’interne. En fait, le Parti Communiste de Thaïlande (PCT) ne parvint jamais à obtenir un support politique particulièrement étendu et il fut incapable de mettre en place une force militaire unifiée qui aurait pu supporter une insurrection politique. (Watts, 2009) Suite aux élections de 1933, le communisme fut banni par l’État thaï. Ainsi, jusqu’à l’époque de la Guerre du Vietnam, le PCT se faisait relativement discret malgré le fait que ses activités ne cessèrent jamais complètement. Il ne put toutefois jamais rivaliser en force avec l’Armée royale thaïlandaise.

Lorsque les États-Unis, et de ce fait même, la CIA, commencèrent leurs opérations en Thaïlande, il fut établi qu’il n’y avait que très peu de chances qu’une révolution communiste y soit menée. En effet, dû notamment à son manque de structure et d’infrastructures, la CIA fut d’avis que le PCT ne représentait pas une menace d’envergure, mais elle insista tout de même pour garder les activités de celui-ci sous surveillance. Au cours des années 1964-1965, le Mouvement d’Indépendance Thaïe (MIT) fut formé et, malgré que celui-ci ne représenta jamais une réelle menace, dans le contexte de la Guerre du Vietnam, les États-Unis réagirent. (Watts, 2009)

De manière générale, les mesures de contre-insurrection américaines en Thaïlande se concentrèrent en une forme de contrôle de population, plus spécifiquement de la tribu Meo qui, selon la CIA et les États-Unis, était une minorité ethnique la plus susceptible de tomber sous l’emprise du communisme. L’idée était de couper la tribu Meo de ses racines culturelles ancestrales et de les mettre en contact avec la population thaïe afin que celle-ci adopte plutôt la culture thaïe. L’État américain entreprit également de moderniser les infrastructures agricoles pour offrir une meilleure qualité de vie aux paysans en régions éloignées.

En bout de ligne, il faut admettre que la menace communiste ne fut jamais aussi forte en Thaïlande que dans les autres pays de l’Asie du Sud-Est. Avant même l’implication américaine, le PCT n’était que très peu organisé et n’avait tout simplement pas la force de se mesurer à l’Armée royale thaïlandaise. Malgré tout, l’alliance entre les États-Unis et le pays asiatique avait ses avantages et ses raisons d’être. En tout et pour tout, il reste que la Thaïlande ne devint jamais un pays à proprement dit communiste.

 

Bibliographie :

Kislenko, A. (2004) « A Not so Silent Partner: Thailand’s Role in Covert Operations, Counter-Insurgency, and the Wars in Indochina » Journal of Conflict Studies 24:1. Repéré à https://journals.lib.unb.ca/index.php/JCS/article/view/292.

Watts, J. W. Jr. (2009) « The U.S. Counterinsurgency Doctrine in Thailand during the Vietnam War » (Master’s Thesis), University of Louisville.

Linantud, J. L. (2008) « Pressure and Protection: Cold War Geopolitics and Nation-Building in South Korea, South Vietnam, Philippines, and Thailand » Geopolitics, 13:4, 635-656.

 

 

 

 

 

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