Religion et politique : même combat au Brunei ?

Par Marc-Antoine Le Moignan

Brunei Darussalam, officiellement indépendant depuis 1984, est encore un État très jeune sur la scène politique en Asie du Sud-Est. Mais sa riche histoire a façonné les contours d’un pays basé sur une monarchie absolue, l’une des seules encore existantes dans le monde. Cette monarchie est fondée selon deux critères : l’islam et le Malais (Mutalib 2008). Étant le voisin de la Malaisie, ce petit pays sur l’île de Bornéo est majoritairement malais, d’où l’importance d’inscrire ce terme dans la constitution. Mais ce qui nous intéresse vraiment, c’est l’utilisation du mot « islam » dans la loi fondamentale du pays. La religion gouverne tous les aspects de la vie quotidienne au Brunei (Müller 2022). De la Cour suprême en passant par le système d’éducation ou encore le bureau du plus haut placé au pays, il est impossible d’échapper à l’islam, religion d’État au Brunei (Mutalib 2008). Voyons comment cette idéologie nationale autour de la religion s’est formée au Brunei, mais aussi comment la politique est totalement influencée par l’islam au pays.

De profonde racines historiques

Le Sultan Hassanal Bolkiah durant l’hymne national lors de la célébration du 30e anniversaire du Brunei. (©Ahim Rhai)

Le Brunei est un pays particulier, par sa petite taille et sa position géographique, mais aussi par son riche passé. L’arrivée des grandes puissances coloniales, dont les Anglais, aura laissé une cicatrice importante dans ce pays. D’abord, sous le protectorat anglais vers la fin des années 1800 en raison de dettes financières importantes, l’État subira de nombreux bouleversements. Les lois islamiques locales, présentes depuis des décennies, sont remplacées par le système juridique anglais, limitant ainsi les lois religieuses aux affaires personnelles et familiales (Hamzi Zaini 2020). Cet exemple illustre l’un des traumatismes vécus à l’époque coloniale par le Sultan.

L’État se concevra tel qu’on le connaît aujourd’hui dans les années 1950 (Müller 2022). En 1959, le pays obtiendra une partie de son indépendance dans la sphère domestique — les Anglais garderont la défense et la sécurité du territoire (Müller 2022). Cette indépendance a, d’une certaine manière, éloigné le pays des anciennes forces coloniales tout en renforçant son caractère religieux. Le Brunei s’inspirera du modèle étatique européen pour organiser la religion sous forme d’institutions bureaucratiques et pénales (Müller 2022). La sphère juridique islamique va devenir plus stricte, imposant des peines d’emprisonnement ou des amendes pour des délits religieux, comme l’absence d’un homme à la prière ou encore la cohabitation de couples non mariée (Müller 2022). Cette transition a non seulement marqué un tournant politique, mais a également jeté les bases de l’influence religieuse dans tous les aspects de la vie au Brunei.

La première constitution de 1959 se base sur les principes « Malay Islamic Monarchy (MIB) » comme idéologie nationale (Mutabib 2008). Selon la définition proposée par la constitution, un Malais est un musulman. Le gouvernement investira des sommes considérables pour convertir tous les Malais ; une opération en partie réussite avec près de 4 personnes sur 5 musulmans au Brunei en 2011 (Müller 2022).

Un autre épisode traumatisant avant l’officialisation de l’indépendance en 1984 fut l’organisation d’élections — les seules organisées dans l’histoire du pays. Le résultat de l’élection — victoire du Parti Rakyat Brunei (PRB) — ne fut pas accepté par le Sultan (Müller 2022). Signe que la monarchie « religieuse » est au cœur de tout, des épisodes de violence importante vont découler de cet événement, où la direction monarchique va resserrer le contrôle sur la population, mais aussi l’effusion d’idées politiques en écrasant toute forme de critiques dans l’espace public (Müller 2022). Tous ces événements ont contribué à façonner la société actuelle du Brunei.

Une société contrôlée plus que jamais

Depuis la déclaration d’indépendance en 1984, le Sultan occupe simultanément les postes de Premier ministre, ministre de la Défense, ministre des Finances et chef de l’islam (Keat Gin, 2015). Les pouvoirs politiques et religieux se basent sur la personnalité charismatique du Sultan, souvent perçu auprès de la population comme un homme exemplaire, avec une grande classe, et très respecté (Keat Gin, 2015). L’État est, en quelque sorte, une fusion des pouvoirs religieux.

Les organisations islamiques non étatiques ne sont pas permises dans l’espace public, mais aussi dans les mosquées, car elles sont contrôlées par le gouvernement (Müller 2022). Seuls les fonctionnaires peuvent parler ou encore publier sur l’islam. L’État garde ainsi le monopole du discours envers l’islam (Müller 2022). Le « MIB » défend ainsi les valeurs et les principes islamiques basés sur le Coran, à la base de toutes les activités quotidiennes. Cette pratique doit être « honorée » par tous les citoyens du Brunei (Müller 2022). L’État finance régulièrement des projets visant à renforcer l’islam au pays, parfois même en utilisant les revenus tirés des recettes pétrolières (Mutalib 2008). On peut donc constater que les fonds publics servent à promouvoir le régime, basé sur la religion.

Le système d’éducation est également marqué par l’empreinte de l’islam. Depuis 1991, aucun étudiant local ne peut obtenir un diplôme universitaire sans suivre le cours obligatoire sur le « MIB ». À l’école, les jeunes enfants apprennent la définition de la « bonne citoyenneté », définition proposée par l’État dans le but de les contrôler dès leur jeune âge (Müller 2022), à travers un système d’éducation holistique.

Le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême, participe lui aussi à la propagande d’idées fournies par l’État. Son rôle consiste principalement à définir les concepts du « MIB », selon les discours du Sultan (Müller 2022).

Par ces nombreux exemples, la société au Brunei est contrôlée et influencée plus que jamais par la religion, devenant le principal moteur politique au pays, au centre de tout. L’impossibilité de toute contestation est un indicateur que l’islam domine tout.

Bibliographie : 

Hamzi Zaini, Khairul. 2020. « Contesting Visions of Modernity? The Case of Tanjung Bunut Mosque ». Dans Cities and Islamisms. Sous la direction de Bülent Batuman, 61-75. Londres, Angleterre : Routledge. https://doi.org/10.4324/9780429318382.

Keat Gin, Ooi. 2015. « Introduction ». Dans Brunei — History, Islam, Society and Comtemporary Issues. Sous la direction de Ooi Keat Gin, 1-18. Londres, Angleterre : Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315766287.

Müller, Dominik M. 2022. « The shaping of Islam in Brunei Darussalam 1 ». Dans Routledge Handbook of Islam in Southeast Asia. Sous la direction de Syed Muhammad Khairudin Aljunied, 326-40. Abingdon, Oxon : Routledge. https://doi.org/10.4324/9780429275449.

Mutalib, Hussin. 2015. « Brunei ». Dans Islam in Southeast Asia. Sous la direction de Southeast Ashia Background Series No. 11, 41-46. ISEAS-Yusof Ishak Institute.

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