Par Héloïse Villa
Souvent présentée comme une destination du tourisme halal, l’islam et la Malaisie semblent inséparables. Religion d’État, l’islam occupe une place de choix au sein de la Fédération de Malaisie. La Constitution fédérale plante le décor : un Malais est présenté comme « a person who professes the religion of Islam, habitually speaks the Malay language, conforms to Malay custom ». Si les Malais, à majorité musulmane (60 % de la population), dominent la scène nationale, les minorités religieuses sont loin d’être sur la touche. La population malaise a en effet appris à cohabiter avec le reste des communautés religieuses. Néanmoins, les signes d’une islamisation de la vie publique et de l’agenda politique sont de plus en plus visibles, au point de nous interroger sur une résurgence de l’islamisme en Malaisie. L’équilibre institutionnel vacille au profit des islamistes les plus radicaux, ce qui fait craindre le pire pour les droits des minorités religieuses.
L’islamisme est un concept controversé et encore aujourd’hui, aucune définition ne parvient à mettre tout le monde d’accord. Ici, nous l’employons pour faire référence à l’intégration de l’islam au projet politique malais et à l’application de la loi islamique (syariah) en réaction à la modernité occidentale et à la montée de la sécularisation du monde.
L’islamisme en Malaisie ne date pas d’hier et précède la colonisation britannique. Il a été introduit par les marchands arabes venus faire du commerce à partir du XIème siècle. Sous la domination britannique, les autorités coloniales n’ignorent pas la pratique de la syariah mais décident en partie de fermer les yeux dessus pour éviter toute rébellion des Malais. Lors de la négociation de l’indépendance en 1957, les élites malaises parviennent à incorporer l’islam au centre de leur projet politique. L’islamisme en Malaisie témoigne donc d’une longue tradition politique. Toutefois, l’islamisme n’est pas un concept uniforme et s’est réinventé au cours des dernières décennies. Un véritable tournant s’est opéré avec l’arrivée Mahathir Mohamad au poste de Premier ministre en 1981. Soutenu électoralement par les Bumiputera musulmans qui craignent pour leur position au sein de la Fédération malaise, Mahathir effectue un virage vers l’islam radical.
Le glissement sémantique s’observe : il présente la Malaisie comme étant « fondamentaliste, et non un État islamique modéré ». L’UMNO (United Malays National Organisation), incarnée par une génération de dirigeants marquée par la révolution islamique en Iran puis le djihad en Afghanistan, se présente alors comme la garante de la pérennité de l’islam en Malaisie. Désormais, la machine est lancée : l’islamisation de la Malaisie ne connaît plus de limites. Il s’agit d’un calcul politique : l’UMNO tente de s’imposer face au Parti islamique Malaisien (PAS) et de préserver l’hégémonie des Malais à la tête de l’État. Il en résulte une orientation islamique prononcée du programme du parti de l’UMNO. L’influence saoudienne et la montée du wahhabisme en Malaisie expliquent également la présence d’un islam plus rigoriste.
Depuis le mandat de Mahathir Mohamad, l’islamisation en réaction aux tensions interethniques s’est accélérée. La tolérance prônée vis-à-vis des communautés religieuses est mise à mal. Par exemple, l’existence de deux systèmes juridiques, soit la syariah en matière civile (Syariah Criminal Enactment de 1995 et Syariah Criminal Offences Act de 1997) et le droit pénal séculier au niveau fédéral, est débattue. Dans les États du nord comme le Kelantan, les autorités locales tentent d’imposer la syariah aux non-musulmans et réclament l’application des Hudud pour les musulmans. Alors que le gouvernement s’est toujours opposé aux châtiments corporels comme la lapidation en cas d’adultère, l’attitude des élites au pouvoir semble désormais plus ambiguë sur la question. De nombreuses controverses concernant l’apostasie font souvent la une des journaux : les musulmans convertis au christianisme par exemple se voient retirer de nombreux droits.
Si l’islamisme prend une nouvelle dimension en Malaisie, il convient de relativiser sa portée. Tous les Malais ne sont pas convaincus du projet islamiste : pour certains, la religion doit rester confinée au sein de la sphère privée. Au gré des gouvernements successifs au pouvoir, plusieurs interprétations de l’islam ont été formulées. L’islam hadhari, développé sous le mandat du Premier Ministre Abdullah Badawi (2003-2009), tente de s’imposer afin de ne pas entraver la modernisation économique de la Malaisie. Tourné vers le progrès et la défense de la démocratie, ce type d’islam s’érige comme rempart face au conservatisme religieux. Les minorités religieuses savent également se faire entendre : elles n’hésitent pas à dénoncer la violation de leurs droits et à susciter l’émotion auprès de l’opinion internationale.
En résumé, la pluralité religieuse en Malaisie ne paraît pas encore acquise. La renaissance de l’islamisme inquiète les populations bouddhistes (25 % de la population), chrétiennes (9 %) et hindoues (6 %) dont la liberté de conscience semble menacée. Alors que l’islam était considéré comme un outil fédérateur, il divise aujourd’hui plus qu’il ne rassemble.
Bibliographie :
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« En Malaisie, l’islam conservateur progresse ». Le Monde.fr, 21 juillet 2017. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/07/21/en-malaisie-l-islam-conservateur-progresse_5163433_3216.html.
« Malgré les amendements, les non-musulmans ne sont-ils pas exclus du projet de loi Hudud de Kelantan ? », Malay Mail, 19 mars 2015. https://www.malaymail.com/news/malaysia/2015/03/19/despite-amendments-non-muslims-not-left-out-of-kelantans-hudud-bill/%20862193
« La Malaisie est un pays islamique fondamentaliste, déclare le Premier ministre ». Malaysiakini, 17 juin 2002. https://www.malaysiakini.com/news/11804.