Indonésie : Piraterie moderne et enjeux de sécurité locaux et régionaux

Par Guilhem Charf

L’Indonésie, carrefour maritime majeur de la planète, notamment grâce au détroit de Malacca et sa géographie archipélagique, est une plaque tournante de la globalisation et du commerce mondial, et forme une autoroute maritime. La nation indonésienne est une nation maritime. Cette position lui confère bien sûr de nombreux avantages, mais engendre aussi d’autres problèmes, entre-autres de sécurité. Les immenses flux de marchandises, capitaux et de personnes attirent aussi une criminalité forte dans la région; et plus particulièrement la piraterie moderne, issue d’une longue tradition des littoraux indonésiens (Centre d’études stratégiques de la Marine, 2021).

Piraterie maritime en Asie (2015), réalisée par Alexandre Gandil à partir des données de l’ONU et du Bureau Maritime International.

Bien que les actes de piraterie soient en baisse dans le monde, la région de l’Asie du Sud-Est est redevenue la plus préoccupante à travers le monde (Frécon, 2023 ; McCauley, [s.d.]), que ce soit dans les eaux territoriales, les zones économiques exclusives ou même en Haute-Mer, et ce notamment dans la région maritime indonésienne et du Détroit de Malacca. En 2022, 38 des 150 attaques de piraterie du monde se sont produites en Asie du Sud-Est, et ce nombre est déjà de 20 pour le premier semestre de 2023 (Frécon, 2023). La piraterie moderne se manifeste sous plusieurs formes selon la classification de l’Organisation Maritime Internationale, qui sont plus ou moins violentes et plus ou moins organisées dans le sud-est asiatique : la petite piraterie qui correspond au vol à main armée mineur ; la piraterie organisée, soit le vol et agression à main armée de degré intermédiaire qui conduit à des actions violentes pour piller ou détourner des navires ; ou encore la piraterie internationale qui concerne les actes de détournement criminel aggravé et prend forme grâce à des activités criminelles internationales planifiées, avec des moyens beaucoup plus conséquents (Frécon, 2002). Ces différentes manifestations du phénomène ont des conséquences qui varient mais elles affectent toutes l’économie et le commerce mondial, ainsi que la sécurité régionale et internationale. La piraterie est l’une des explications de la nouvelle Route de la Soiechinoise (Gandil, 2016), qui cherche à éviter d’emprunter des routes dangereuses qui pourraient entraver le commerce. Elle drainerait entre 7 et 12 milliards de dollars chaque année de l’économie mondiale (Bowden et al., 2010). En 2022, selon le rapport du Bureau maritime international de la Chambre Internationale de Commerce, 10 bateaux ont été abordés en Indonésie (Services des crimes commerciaux, Bureau maritime international, 2023).

Les troupes indonésiennes prennent d’assaut un navire « détourné » lors d’une simulation militaire, au large de l’île de Batam en Indonésie, en 2012. (© Alphonsus Chern / AP)

L’Indonésie prend des mesures de lutte contre la piraterie que ce soit à l’échelle nationale, mais qu’en est-il de leur efficacité ? D’abord, d’un point de vue interne, le secteur maritime est réparti sous la responsabilité de 12 agences étatiques différentes. Cela pose des problèmes opérationnels de coordination et de gestion. Ce système semble paralyser l’efficacité étatique en termes de lutte contre la piraterie (As’ad et Nafilah, 2022). Pour ce qui est du cadre légal, les articles 438 à 441 et 444, 445 du Code criminel indonésien pénalisent la piraterie (Chapsos et Fenton, 2019). Cependant, l’application de ces lois semble trop laxiste, les sanctions trop légères et les peines de prison très brèves. Les conséquences pour un individu qui participerait à des activités illicites de piraterie ne sont pas suffisantes pour l’en dissuader. Les peines sont également sans doute insuffisantes pour parvenir à une réhabilitation du condamné d’actes de piraterie ou pour satisfaire le désir de représailles des victimes et du public contre eux une fois libérés (Chapsos et Fenton, 2019). Bien que l’Indonésie souhaite faire face au fléau que représente la piraterie, elle ne dispose pas d’un matériel adapté, ou même suffisant. La marine indonésienne, déjà restreinte par la préférence pour une armée terrestre, dispose d’équipement peu adapté à la lutte contre la piraterie qui se cache dans des espaces difficilement accessibles comme les mangroves par exemple (Ramones, 2013 ; Frécon, 2010) pour les navires de guerre de la Marine nationale. Le pays doit développer une marine littorale équipée de navire d’attaque rapide (Bureau maritime international de la Chambre Internationale de Commerce, 2023), et de bateau d’intervention rapide plus petits. Elle doit aussi grandir ses effectifs afin de répondre à la menace diffuse et instantanée que représente la piraterie.

L’Indonésie participe aussi à ce combat au niveau régional et international. D’abord, elle a ratifié la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer dont les articles 100 à 107 concernent la piraterie et formule certaines obligations internationales comme l’obligation de coopérer pour la répression de la piraterie en Haute Mer par exemple (Nations Unies, 1982). D’un point de vue régional, le pays s’est aussi entendu avec Singapour et la Malaisie. La recherche de puissance doit laisser place à la confiance et à la bienveillance des États dans une lutte commune pour leur sécurité. Ils favorisent une pratique libérale des relations internationales dans leur répression commune de la piraterie (Bruder, 2021). Les ONG pourraient aussi être amenées à jouer un rôle plus important dans la collecte de renseignements humains au plus près de la réalité des pirates, autre qu’opérationnelle.

Bibliographie :

As’ad, I. F. A. et Nafilah, R. F. 2022. « Indonesia as a Global Maritime Fulcrum: Examining the Model of Indonesia-Australia Maritime Cooperation and its Impacts to Achieve Indonesia’s Global Maritime Fulcrum Security Agenda ». Hasanuddin Journal of Strategic and International Studies (HJSIS), 1(1): 17-30. https://doi.org/10.20956/hjsis.v1i1.24844.

Bowden, Anna et al. 2010. The Economic Cost of Maritime Piracy. One Earth Future. https://oneearthfuture.org/sites/default/files/documents/publications/The%20Economic%20Cost%20of%20Piracy%20Full%20Report.pdf.

Bruder, Marine. 2021. « La piraterie maritime dans le détroit de Malacca : mécanismes de lutte contre la menace. Cas d’étude du rôle des garde-côtes Sud-Est asiatiques ». Mémoire de Master 2., École Normale Supérieur de Lyon. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03339156.

Centre d’études stratégiques de la Marine. 2021. La marine indonésienne de l’ère Jokowi : défis, moyens et perspectives. Paris : Centre d’études stratégiques de la Marine. Brèves Marines. https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/cesm/BM238_Marine-indonsienne-1.pdf.

Chambre internationale de commerce. 2023. Piracy and armed robberies against ships; Report for the period : 1 January – 31 December 2022. Londres : Chambre internationale de commerce. Bureau Maritime international. https://www.icc-ccs.org/reports/2023_Annual_IMB_Piracy_and_Armed_Robbery_Report_live.pdf

Fenton, Adam James et Chapsos Ioannis. 2019. « Prosecuting Pirates: Maritime Piracy and Indonesian Law ». Australian Journal of Asian Law 19 (2): 217-232. https://ssrn.com/abstract=3398030.

Forbes. « Pirates Take Over the Waters In Indonesia », Forbes, 31 Juillet, 2013. https://www.forbes.com/sites/forbesasia/2013/07/31/pirates-take-over-the-waters-in-indonesia/?sh=1c2dbb46258a.

Frécon, Éric. « Éric Frécon : « Face À La Piraterie, La France Dispose d’un Modèle Unique » ». L’Institut des hautes études de défense nationale. République française, [s.d.]. https://ihedn.fr/2023/08/28/eric-frecon-face-a-la-piraterie-la-france-dispose-dun-modele-unique/

Frécon, Éric. 2002. « Les différentes manifestations de la piraterie maritime en Asie du Sud-Est » dans Pavillon noir sur l’Asie du Sud-Est : Histoire d’une résurgence de la piraterie maritime. Sous la direction de l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 91-130. Bangkok : L’harmattan. https://doi.org/10.4000/books.irasec.1366

Frécon, Éric. 2010. « Géopolitique de la piraterie au Sud-Est asiatique Conflit de représentations ». Outre-Terre 2-3 (25-26): 101-123. https://doi.org/10.3917/oute.025.0101.

Gandil, Alexandre. 2016. « L’Asie, royaume de la piraterie». Asialyst, 31 mai 2016. https://asialyst.com/fr/2016/05/31/l-asie-royaume-de-la-piraterie/.

McCauley, Adam. « The most dangerous waters in the World », Time, [s.d.]. https://time.com/piracy-southeast-asia-malacca-strait/

Organisation des Nations Unies. 1982. Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer. Montego Bay.

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