Par Clémence Mouton
Le Mékong, long de 4900 kilomètres, traversant six pays d’Asie du Sud-Est — le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam, et la Chine — est bien plus qu’un simple cours d’eau. Surnommé la « mer des eaux, » il incarne un partenariat économique vital entre ces nations et leurs populations. Mais, derrière ce rôle économique central, le Mékong est également le fil conducteur des vies de millions de personnes. Toutefois, il est aujourd’hui au cœur d’un débat complexe, mêlant conservation, développement économique et sécurité alimentaire.
Un poumon économique mais surtout alimentaire
Le Mékong, véritable artère économique, joue un rôle dans le développement des pays riverains, plaçant le Laos en première ligne de cette relation symbiotique : chaque année, environ deux millions de tonnes de poissons y sont pêchés, faisant du fleuve « la première zone de pêche en eaux intérieures du monde », soit 7 % du PIB laotien (Cf. fiches synoptiques. Fleuves du Monde). Mais ce moteur économique est aussi un rempart de sécurité alimentaire pour plus de 60 millions de vies (A. Ampe, 2020). Cette dépendance se manifeste par une consommation de poissons deux fois supérieure à la moyenne mondiale parmi les populations côtoyant le fleuve. Dans ce contexte, le Laos se distingue particulièrement avec une consommation de poissons représentant entre 47 et 80 % des protéines animales consommées (FAO). Dès lors, la dépendance à l’égard de la pêche pose des défis en matière de conservation, en raison de la pression exercée sur les ressources du Mékong et de la nécessité de préserver un équilibre entre sécurité alimentaire et protection des espèces en danger.
La difficulté de la conservation : les conséquences des barrages
Aujourd’hui, la conservation du Mékong se dresse comme un défi majeur. Pourtant, la gestion de ce fleuve s’avère être un labyrinthe bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dans cet écosystème, où se croisent une multituded’usages, de la pêche au tourisme, et où interviennent une variété d’acteurs, des ONG aux associations, en passant par les États, dont la Chine, les défis qui se posent sont nombreux, à la mesure de la grandeur du Mékong lui-même.
Au cœur de ces préoccupations se dresse notamment le dilemme des barrages. Le Laos, territoire enclavé, a de grandes ambitions : il souhaite devenir « la pile de l’Asie du Sud-Est, » un phare énergétique au cœur du continent. Ce rêve énergétique découle d’une demande sans précédent en électricité, dopée par une croissance économique et démographique effrénée (Mottet, Lasserre. 2017). Dans cette quête de puissance électrique, la Chine, épaulée par le Laos, vise à transformer le Mékong en une centrale électrique en exploitant son potentiel énergétique à travers la construction de barrages. Les chiffres impressionnent : 25 installations hydroélectriques sont déjà opérationnelles, et plus de 60 barrages sont en projet, prêts à façonner le cours du fleuve dans les années à venir.
Pourtant, derrière cette ambition énergétique, les conséquences des barrages suscitent des inquiétudes. L’exemple du barrage de Xavaburi, dans la lignée du modèle du Nam Ngum, se présente comme l’un des édifices les plus controversés de la région. Sa construction a un impact sur la disponibilité des ressources halieutiques : de nombreuses espèces de poissons ont vu leurs routes migratoires obstruées par ce barrage, menaçant leur survie. Selon les estimations de la Mekong River Commission (MRC), la perte de pêche est évaluée à 25 %.
Quel avenir ?
Le Mékong, autrefois symbole de prospérité, se retrouve aujourd’hui au cœur d’une lutte entre l’aspiration au développement économique et la nécessité pressante de préserver un environnement fragile.
Face à ces bouleversements, les populations riveraines ne cachent pas leur inquiétude grandissante. Pour elles, ce n’est pas seulement un débat abstrait sur la préservation de la nature, mais une question de survie. D’autant plus que l’énergie produite par ces ouvrages ne bénéficie aucunement aux populations locales qui subissent les conséquences des barrages au quotidien. L’électricité produite s’envole, laissant derrière elle des communautés privées de leurs ressources.
Il semble ainsi clair que le Laos et les autres pays riverains du Mékong doivent travailler de concert pour concilier leurs aspirations économiques avec la nécessité de préserver ce fleuve. Un équilibre doit être trouvé pour assurer la conservation du Mékong tout en garantissant la prospérité des communautés locales. L’avenir de cette région dépend de la manière dont ces enjeux seront résolus, et de l’engagement de tous.
Bibliographie :
Ampe Anouk. 2020. Le « Mékong, un fleuve en voie de disparition ». Thailandefr. https://www.thailande-fr.com/societe/environnement/101813-mekong-la-batterie-asie-du-sud-est
Initiatives pour l’avenir des grands fleuves. Fiches synoptiques du Monde. 2019. URL : https://www.initiativesfleuves.org/wp-content/uploads/2019/07/Fiches-synoptiques-MEKONG.pdf
Mekong River Commission. 2013. « An Introduction to the Fisheries of Lao PDR ». En ligne. https://www.mrcmekong.org/assets/Publications/report-management-develop/Mek-Dev-No6-An-Intro-Fisheries-of-LaoPDR.pdf
Mottet, Éric. « Un Plan Nord comme outil géopolitique en RDP lao : le cas du développement des terres et des ressources naturelles de Luang Namtha. » Cahiers de géographie du Québec, volume 57, numéro 160, avril 2013, p. 115–140. https://doi.org/10.7202/1017807ar
MOTTET Éric, LASSERRE Frédéric. 2017. « L’hydropolitique environnementale du Mékong, entre intérêts nationaux et activisme international », Hérodote, N° 165, p. 165-184. DOI : 10.3917/her.165.0165. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2017-2-page-165.htm
PRZYCHODZEN VINCENT Iris. 2020. « Le mékong pour un développement durable ». URL : https://www.peuplesetmontagnesdumekong.fr/post/le-mékong-pour-un-développement-durable