Par Amélie Balogh
Les Occidentaux associent rarement le bouddhisme à l’extrémisme ou même à la violence, mais les mouvements bouddhistes en Asie ont pourtant souvent eu recours à la force. En effet, les autorités bouddhistes ont parfois justifié la violence contre les ennemis de la foi et soutenu des régimes autoritaires. C’est d’ailleurs le cas au Myanmar où, depuis la fin de la domination britannique, la communauté monastique bouddhiste a joué un rôle déterminant dans le paysage politique du pays (Artinger et Rowand 2021).
Pourtant, bien que sa majorité ethnique soit birmane et bouddhiste, le Myanmar est une nation ethniquement diversifiée. En effet, 135 ethnies sont officiellement reconnues au pays (Hre 2013, 21). D’ailleurs, au moment de l’indépendance, le général Aung San s’est efforcé de négocier avec les groupes ethniques minoritaires pour qu’ils rejoignent la nouvelle nation. Ceci dit, les gouvernements birmans ont continuellement sous-estimé la taille de ces groupes, ce qui poussera finalement les leaders nationaux à ne reconnaître qu’une seule ethnie officielle : celle qui est birmane et bouddhiste (Hre 2013, 22). Les minorités ethniques du Myanmar sont conscientes que le bouddhisme est un outil utilisé par les dictateurs pour les assimiler. Ce processus de birmanisation vise à faire de toutes les ethnies des Birmans bouddhistes, et aujourd’hui, persécution religieuse et processus d’assimilation ethnique vont toujours de pair, ce qui pousse plusieurs groupes ethniques à fuir vers les pays voisins (Hre 2013, 23).
Le cas des Rohingyas
Les Rohingyas sont une minorité ethnique majoritairement musulmane qui vit principalement dans l’État de Rakhine, dans l’ouest du Myanmar, et qui forme le groupe le plus persécuté au pays. Avant la période coloniale, plusieurs groupes ethniques possédaient leurs propres territoires indépendants, ainsi que leurs propres langues, cultures et religions, mais ceux-ci seront réunis dans une même colonie dès 1824. Cependant, la plupart des minorités ethniques n’étaient pas satisfaites de l’administration britannique qui privilégiait l’ethnie birmane et, en conséquence, entraîna des divergences d’intérêts pendant la Seconde Guerre mondiale (Hre 2013, 22). Lorsque les Japonais ont envahi le pays, les nationalistes birmans, menés par Aung San, les ont d’abord soutenus, car ceux-ci leur promettaient l’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Les Rohingyas ont quant à eux soutenu la couronne britannique qui promettait l’autonomie de leur État et donc, leur assurait plus de puissance face à la majorité birmane. Cependant, lors de la lutte vers l’indépendance, la Grande-Bretagne n’a pas tenu sa promesse envers les Rohingyas et ceux-ci se sont alors retrouvés face à la majorité birmane qui les considérait comme des traîtres (Iqthyer 2021, 442).
Dès lors, les tensions se sont accrues entre le gouvernement et les Rohingyas qui se verront dépouillés de leurs droits et être violemment persécutés et chassés du pays. Mais c’est en 1982 que les Rohingyas ont véritablement vu leur situation se détériorer avec la promulgation d’une nouvelle loi sur la citoyenneté, faisant d’eux des immigrants illégaux qui ne seraient pas répertoriés parmi les 135 groupes ethniques officiels (Iqthyer 2021, 444).
Une lumière d’espoir brillera cependant pour les Rohingyas lorsque la lauréate du prix Nobel de la paix et fille du fondateur du Myanmar moderne, Aung San Suu Kyi, deviendra conseillère d’État en 2015. En effet, lors de sa campagne, celle-ci promettait de traiter les problèmes de longue date en matière de droits de l’homme liés aux Rohingyas et appelait à une révision de la loi sur la citoyenneté de 1982 (Iqthyer 2021, 446). Cependant, la politique de l’État à l’égard des Rohingyas est restée inchangée et le traitement à leur égard a continué à se détériorer (Iqthyer 2021, 445).
La radicalisation du bouddhisme
La perception de l’Islam comme une menace pour le bouddhisme est depuis toujours l’une des principales raisons du sort des Rohingyas au Myanmar. Et puisque la majorité de la population du Myanmar est bouddhiste, il est facile pour les communautés monastiques de propager une image négative de ce peuple, bien que l’Islam ne soit pratiqué que par environ 5 % des habitants du Myanmar. Il est d’ailleurs débattu que c’est en raison de l’influence monastique qu’Aung San Suu Kyi aurait fait marche arrière sur ses propos, une fois arrivée au pouvoir (Iqthyer 2021, 452).
En effet, le sentiment anti-musulman a fortement augmenté au Myanmar dans les dernières années et a mené à l’avènement d’une radicalisation du bouddhisme, notamment via le mouvement 969 mené par le moine Wirathu. Le mouvement est responsable du massacre de Rohingyas ainsi que de la relocalisation de dizaines de milliers de personnes en raison de l’incendie de leurs maisons et des mosquées, pour ne souligner que quelques-unes des horreurs menées par les moines. Mais comme le mentionne Wirathu, préserver la religion bouddhiste et la race birmane est la priorité (Beech 2013).
Par contre, depuis quelques années, un mouvement de protestation et de désobéissance civile se développe au Myanmar et la situation politique reste incertaine. La participation aux manifestations contre les décisions du gouvernement qui est fortement manipulé par les bouddhistes radicaux s’est progressivement élargie et de plus en plus de moines bouddhistes non alliés au Ma Ba Tha protestent contre la situation actuelle du pays, autant au niveau civil qu’au niveau étatique (Artinger et Rowand 2021).
Bibliographie :
Artinger, Brenna et Michael Rowand. 2021. When Buddhists Back the Army. Foreign Policy. https://foreignpolicy.com/2021/02/16/myanmar-rohingya-coup-buddhists-protest/.
Beech, Hannah. 2013. The Face of Buddhist Terror. Time. https://content.time.com/time/subscriber/article/0,33009,2146000-1,00.html.
Ellis-Petersen, Hannah. 2018. From peace icon to pariah: Aung San Suu Kyi’s fall from grace. The Guardian.https://www.theguardian.com/world/2018/nov/23/aung-san-suu-kyi-fall-from-grace-myanmar
Hre, Mang. 2013. « Religion: A Tool of Dictators to Cleanse Ethnic Minority in Myanmar? ». IAFOR Journal of Ethics, Religion & Philosophy 1 (1): 21-29. https://doi.org/10.22492/ijerp.1.1.02.
Iqthyer, Zahed. 2021. « The State against the Rohingya: Root Causes of the Expulsion of Rohingya from Myanmar ». Politics, Religion & Ideology 22 (3-4), 436-460, https://doi.org/10.1080/21567689.2021.1995716.
Oppenheim, Marella. 2017. ‘It only takes one terrorist’: the Buddhist monk who reviles Myanmar’s Muslims. The Guardian. https://www.theguardian.com/global-development/2017/may/12/only-takes-one-terrorist-buddhist-monk-reviles-myanmar-muslims-rohingya-refugees-ashin-wirathu.