Tensions et défis en mer de Chine méridionale: D’Aquino vers Duterte, les Philippines en Mer de Chine méridionale

Par Hendrina Blais-Rochefort

Les Philippines sont un des quatre États membres de l’ASEAN ayant des revendications en mer de Chine du Sud. Dans ce cas-ci, Manille vise une portion des îles Spratlys, ainsi que d’autres récifs qu’elle considère comme faisant partie de sa zone économique exclusive selon l’UNCLOS (Buszynski, 2015, p.9). Sous Aquino, les Philippines avaient une position claire et ont établi un litige qui a été présenté devant la Cour permanente d’arbitrage à La Haye et dont le jugement, qui leur est majoritairement favorable, a été annoncé en juillet dernier. Toutefois, des élections en juin 2016 ont mené au pouvoir Rodrigo Duterte, qui a une vision différente de celle d’Aquino sur la question de la dispute. Ainsi, on peut s’interroger à savoir si ce changement de président affectera la manière dont la question est abordée. À quoi pourrait-on s’attendre dans le futur?

Court historique de la position des Philippines dans la dispute

Depuis 1950, les Philippines réclament une partie des îles Spratlys et les îles Kalayaan, car le pays considère les avoir  découvertes inhabitées en 1956 grâce à Tomas Cloma.  Le Président Marcos, en 1971, utilise dans une note l’argument qu’elles étaient res nullius pour soutenir leur appartenance au pays, et considère que puisqu’elles n’avaient été attribuées à aucun pays suite au Traité de San Francisco de 1951, les Philippines étaient en droit de les posséder. De plus, il insiste sur le fait que les Kalayaan font en fait partie du territoire archipélagique du pays (Buszynski, 2015, p.8).

Le gouvernement philippin décrète ensuite, en 1978, la zone économique exclusive (ZEE) du pays, qui englobe entre autres les Kalayaan et le Récif de Scarborough. Le tout est fait selon les règles de l’UNCLOS, et les Philippines se permettent l’arrestation de tout navire étranger pénétrant cette zone (Ortuoste, 2013, p.240). Bien entendu, la Chine n’est pas du même avis lorsque des îles en mer de Chine du Sud sont concernées. Cette dernière ayant revendiqué la majorité des eaux de la région, illustrée par sa ligne à neuf traits, ne cesse de s’opposer aux Philippines, et vice-versa, le point culminant des tensions étant atteint en 2012, lors d’une confrontation de deux mois sur le Récif de Scarborough (Cruz De Castro, 2015, p.117-118).

(A) Les Îles Kalayaan et le Récif de Scarborough font partie des territoires revendiqués par les Philippines et la Chine

En 2013, ayant conclu que les Philippines étaient à court de ressources et de moyens pour arriver à une solution dans la dispute, le Secrétaire aux Affaires étrangères Albert F. Del Rosario, sous le gouvernement d’Aquino III, annonce qu’il apportera le cas devant le Tribunal international du droit de la mer. Sans chercher à savoir qui possédait le droit de souveraineté sur le territoire, les Philippines avaient trois points principaux à faire valider par la Cour, soit que la ligne à neuf traits de la Chine ne concorde pas avec l’UNCLOS, que la Chine interfère dans les activités maritimes légales des Philippines, et finalement, déterminer si les îles, îlots et rochers de la région avaient droit aux zones maritimes définies par l’UNCLOS (Jones, 2016, p. 78). Au final, la Cour a jugé que les neuf traits de la Chine ne correspondaient pas à ce qui était admis par l’UNCLOS, que la majorité des îles et récifs soumis par les Philippines étaient « (…) des rochers inhabitables et ne pouvant soutenir une vie économique à elles seules (…) » et donc qu’elles ne possédaient pas de zone économique exclusive ou de plateau continental (Permanent Court of Arbitration, 2016, p. 259-260). Ainsi, les Philippines ont eu raison de la Chine d’un point de vue légal, mais cette dernière refusant de reconnaître le jugement de la Cour, la situation en s’en retrouve pas plus avancée.

Le cas des Philippines face à la Chine dans la région n’est certes pas unique, mais il se différencie des autres par le fait que les Philippines sont le seul pays revendicateur de la dispute ayant une alliance formelle avec les États-Unis en matière de sécurité, ce qui inquiète la Chine, puisque tout acte d’agression pourrait entraîner un plus grand conflit dans la région. De plus, les Philippines ont eu beaucoup plus recours aux voies multilatérales pour régler le conflit, encourageant l’ASEAN à arriver à un Code de Conduite, plutôt que bilatérales, choix privilégié par les Chinois (Ortuoste, 2013, p. 241). Toutefois, le nouveau Président Duterte pourrait apporter un vent de changement sur cette approche.

Aquino et Duterte : politiques étrangères à l’opposé

Benigno Aquino, au tout début de son mandat à la Présidence en 2010, faisait face à plusieurs défis en matière de politique étrangère. Il devait se distancer de sa prédécesseure, qui s’était montrée très chaleureuse envers la Chine, par exemple en prenant part au Joint Marine Seismic Undertaking (JMSU) en mer de Chine du Sud, une entente majeure, ou encore en visitant la Chine une dizaine de fois en tant que Présidente des Philippines (Baviera, 2014, p. 141). Pour se faire, il a adopté une ligne plus dure envers la Chine, tentant toutefois de maintenir de bonnes relations économiques avec celle-ci. De fait, après son élection, il a mené une visite de 4 jours chez le géant asiatique qui s’est soldée positivement par de nouvelles ententes économiques. La question de la mer de Chine du Sud a cependant été évitée (Baviera, 2012, p.253).

(B) Obama et Aquino

La confrontation du Récif de Scarborough a renouvelé la détermination d’Aquino à tenir tête à la Chine dans la mer. De fait, il a « (…) poursuivi une politique étrangère proactive, dont la pièce centrale était la promotion des intérêts maritimes et du droit souverain des Philippines en mer de Chine du Sud » (Baviera, 2016, p. 202).  En se tournant vers la Cour d’arbitrage internationale et en proposant des voies de négociation multilatérales, il a défié la Chine. De plus, considérant le contexte dans lequel les Philippines se trouvent, petit pays avec peu de moyens militaires face à la puissance chinoise, Aquino s’est tourné vers les États-Unis et a encouragé plus de rapprochement avec ces derniers dans le cadre de leur alliance militaire. Il a reçu en visite la Secrétaire d’État Clinton et plus tard Leon Panetta, Secrétaire à la Défense, alors qu’il a lui-même rendu visite à Obama pour discuter d’une plus grande coopération en mer de Chine du Sud (Baviera, 2012, p. 252-254). La position d’Aquino sur la question se résume donc ainsi : une plus grande affirmation des intérêts philippins en mer de Chine et une position plus ferme envers le géant asiatique tout en renforçant les liens avec les États-Unis afin de solidifier les accords de sécurité en place, pour résultat une balance des puissances dans la région.

Duterte, élu en juin dernier, ne partage pas les idées d’Aquino lorsqu’il est question de trouver une entente à la dispute. De fait, après le jugement favorable pour les Philippines par la Cour d’arbitrage internationale, le nouveau Président a, contrairement aux attentes, fait profil bas, se contentant de quelques commentaires ici et là, sans grandes allocutions ou annonces significatives, même s’il dit supporter le jugement. Il s’est même rendu à Pékin, où il a dit que la Chine « has never invaded a piece of my country all these generations » (Bautista, 2016, p. 351), offrant une version à l’opposé de ce que ses prédécesseurs soutiennent (rappelons ici la confrontation sur le récif de Scarborough). Il est donc évident que Duterte cherche à adoucir les relations avec la Chine, contrairement à Aquino. Lors de la campagne électorale, le premier s’était montré ouvert à des discussions bilatérales avec la Chine et plus tard, malgré son support pour le jugement de la Cour, il insiste aujourd’hui sur le fait que si l’arbitrage international ne montre aucun résultat après deux ans, des discussions bilatérales seraient nécessaires (Baviera, 2016, p. 2015).

(C) Réactions à la suite du jugement rendus par la Cour d’arbitrage internationale (Credit Image: © J Gerard Seguia via ZUMA Wire)

En ce qui concerne les États-Unis, Duterte se montre réticent à créer des liens encore plus étroits. De fait, le Président philippin  considère que l’archipel doit être indépendant et qu’il serait mal avisé de mettre tous ses œufs dans le même panier lorsqu’il est question de sécurité, s’étant exprimé non seulement contre les États-Unis, mais aussi contre l’Australie et les Nations Unies (Baviera, 2016, p. 203). De plus, considérant que les États-Unis ne se sont pas impliqués lorsque la Chine a débuté ses projets de constructions sur le territoire de la dispute, ainsi que d’autres évènements s’étant produits lorsque le Président actuel était Maire de Davao, Duterte entretient une certaine peur d’abandonnement de ces derniers, qui justifierait son manque d’enthousiasme pour des relations plus fortes (Baviera, 2016, p. 203). Alors que pendant le mandat d’Aquino, les Philippines avaient adopté une ligne dure envers la Chine et avaient encouragé des rapprochements avec les États-Unis, cherchant à contrebalancer la première grâce aux seconds, Duterte a pris une direction contraire, cherchant à se rapprocher de la Chine et à améliorer les relations Sino-Philippines, tout en se méfiant des États-Unis et en exprimant ouvertement ses critiques envers les Américains.

(D) L’actuel Président des Philippines Duterte et Xi Jinping

Duterte : l’équilibre de la région menacé dans le futur?

Il est évident que les approches des deux Présidents pour résoudre la dispute en mer de Chine du Sud sont aux antipodes. Alors qu’Aquino favorisait le recours aux institutions légales et multilatérales, Duterte n’écarte pas la possibilité de discussions bilatérales, malgré le fait que les deux pays soient grandement asymétriques lorsqu’il est question de puissance et de poids dans la balance. Il est difficile de prédire la manière dont se déroulera la suite des choses, considérant que le Président Duterte n’a été élu que récemment. La complexité d’une prédiction provient aussi du fait que les convictions personnelles du président ne sont pas les seuls facteurs à prendre en compte. La situation des Philippines en matière de sécurité pèse aussi dans la balance. D’un point de vue réaliste, Manille n’est pas très imposante sur le plan militaire et se doit de trouver des alliés pour arriver à dissuader Pékin de poursuivre ses actions belliqueuses en mer de Chine. Pour se faire, les États-Unis représentent un allié essentiel.  Ainsi, deux voies pourraient être possibles. D’un côté, Duterte pourrait poursuivre la politique étrangère d’Aquino, tout en radoucissant un peu le ton avec la Chine, se servant du jugement de la Cour et de l’ASEAN pour offrir une tribune à des discussions multilatérales qui incluraient les États-Unis. Cette possibilité ne relève pas de la fantaisie si l’on considère la position délicate dans laquelle les Philippines se trouvent (Bautista, 2016, pp. 353-355).

D’un autre côté, le Président philippin pourrait suivre ses préférences et se tourner vers la Chine et même la Russie, délaissant les États-Unis. Cette possibilité, qui n’est pas invraisemblable considérant que Duterte a déjà laissé entendre qu’il mettrait fin à une alliance avec les États-Unis au profit d’une avec la Chine si l’occasion de faire un choix se présentait (Bautista, 2016, p. 354). Ce scénario pourrait avoir des conséquences dramatiques dans la région entière, puisqu’il changerait l’ordre établi par les puissances, favorisant la Chine plutôt que les États-Unis et mettant en péril la stratégie de balancement que plusieurs petits pays d’Asie tentent d’entretenir (Bautista, 2016, p. 354). Le mandat de Duterte est encore jeune, et si une chose est certaine, c’est qu’il n’est dans l’intérêt d’aucun des membres de l’ASEAN, Philippines incluses, de laisser à la Chine l’opportunité de prendre plus de place en mer de Chine du Sud.

Après plus d’un an depuis l’élection de Duterte à la présidence des Philippines, il reste difficile de prédire la direction que le conflit prendra. En effet, revirement après revirement, la position de l’archipel sur la question de ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale ne cesse de changer. Alors qu’au tout début, il semblait clair que les Philippines n’allaient pas confronter la Chine à ce propos et garder les relations harmonieuses, tout en se distançant des États-Unis, en décembre, Duterte promet de respecter le traité de sécurité signé avec les Américains et de se montrer plus ferme lorsqu’il est question de la souveraineté de son territoire (Kipgen, 2017). Dernièrement, Manille a décidé qu’elle allait exploiter les ressources pétrolières se trouvant dans la zone contestée, ce qui n’a évidemment pas plu à Beijing, qui l’a menacé d’une guerre. Duterte a répondu à ces menaces disant que ce pétrole appartenait aux Philippines et qu’ils pouvaient bien aller le chercher, puisque c’était le leur (Villamor, 2017). Ainsi, Manille semble, au final, poursuivre ce qu’Aquino avait débuté, affirmant ses revendications dans la région. Mais en prenant en compte l’imprévisibilité de Duterte dans ses déclarations, et prenant en compte son dédain pour les États-Unis, il faudra surveiller, lors des mois à venir, si les Philippines sont effectivement en train de rompre avec la stratégie employée jusque là ou si, encore une fois, l’archipel va reprendre son ton doux avec la Chine.

Bibliographie

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Jones, Jessica L. 2016. «Free the Sea: The Philippines v. China », SAIS Review of International Affairs, Vol 36, No 1 (Hiver-Printemps 2016), pp 75-86. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/625113/pdf

Kipgen, Nehginpao. 2017. «The Philippines’ South China Sea Flip-Flop», The Diplomat, 2 mars. [En ligne]. http://thediplomat.com/2017/03/the-philippines-south-china-sea-flip-flop/

Ortuoste, Maria. 2013. «The Philippines in the South China Sea: Out of Time, Out of Options?», Southeast Asian Affairs, Vol 2013, pp 240-253. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/512118/pdf

Villamor, Felipe. 2017. «Duterte Says Xi Warned Philippines of War Over South China Sea», The New York Times, 19 mai. [En ligne]. https://www.nytimes.com/2017/05/19/world/asia/philippines-south-china-sea-duterte-war.html

Permanent Court of Arbitration. 2016. PCA Case no 2013-19. La Haye : Cour permanente d’arbitrage. [En ligne]. https://pca-cpa.org/wp-content/uploads/sites/175/2016/07/PH-CN-20160712-Award.pdf

 

Iconographie

(A) En ligne. http://www.highkot.com/2012/06/first-public-school-raised-philippines.html

(B) En ligne. http://marketmonitor.com.ph/the-bangsamoro-basic-lie/

(C) En ligne. http://www.ocregister.com/2016/07/12/hague-tribunal-rejects-beijings-south-china-sea-claims-regional-rivals-like-vietnam-could-be-emboldened/

(D) En ligne. http://news.xinhuanet.com/english/2016-10/20/c_135769623.htm

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