Par Maxime Bobba-Gaudreau
La délégation du Vietnam à la COP26, dont le ministre de la Sécurité publique était à la tête, a été prise en vidéo en train de souper dans le restaurant de Nusret Gokce, mieux connu sous le nom de Salt Bae, autour d’une copieuse tablé de steaks enrobés de feuilles d’or, dont l’unité se déguste pour la modique somme de 1450 livres sterling (1975 USD).
Le Nurs-Et London est le second restaurant le plus cher au monde, un comble pour un pays qui se dit communiste, et dont le salaire des ministres n’est pas censé dépasser les 800 USD mensuel. Comme si cela ne suffisait pas, il fallut que la délégation soit allée la veille se recueillir sur la pierre tombale de Karl Marx, l’auteur du manifeste du parti communiste, donnant en définitive, par ironie du sort, une tout autre signification à ce pèlerinage. Bien moins aurait été nécessaire pour provoquer l’ire de la population vietnamienne et remettre en question l’intégrité de la classe politique vietnamienne, ainsi que sa détermination et sa capacité à aider son peuple à s’adapter aux défis qui découlent de la crise climatique, qui se dessine de plus en plus clairement dans ce pays d’Asie du Sud-Est, par l’accroissement de la fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur, les inondations et les sécheresses, ainsi que les typhons, (1) auxquels la population a le sentiment que la réponse du Parti tarde à venir.
À première vue pourtant, en comparaison avec d’autres pays de la région, le Vietnam ne semble pas complètement indisposé à s’attaquer aux enjeux soulevés par la crise climatique. En effet, parmi les pays de l’Asie du Sud-Est (en excluant Singapour et Brunei du classement, du fait que leurs économies divergent grandement du reste des pays de la région), le Vietnam se hisse dans la moitié supérieure du classement de l’Index de Performance Environnementale (IPE), en ayant le 4ème meilleur score sur les 8 nations qui composent notre classement. Cette performance est d’autant plus remarquable lorsque l’on sait que le Vietnam est le dernier pays à avoir intégré ce qu’on appelle communément les tigres asiatiques (qui sont la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande et les Philippines). On aurait pu s’attendre à ce qu’il ait un IPE moins élevé, qu’il s’approche du Cambodge ou du Laos par exemple. Il se retrouve donc devant l’Indonésie, avec de surcroît la plus forte amélioration de l’index parmi les huit pays de 2008 à 2018, avec une amélioration de 1.48%, lorsque la moyenne régionale est de seulement 0,39%. Sur la même période, le Vietnam a démontré une croissance économique sensationnelle, avec en moyenne une hausse annuelle de 6,1% de son PIB. (2) Étant donné que l’amélioration de sa performance environnementale ne pourrait venir d’une stagnation de l’économie, on peut supposer que l’accroissement de l’IPE du Vietnam est en partie dû à la volonté politique du Parti communiste vietnamien.
En effet, nombre d’actions sont entreprises par ce dernier, comme la Loi sur la protection de l’environnement, l’adoption de règles exigeantes en matière environnementale par l’entremise d’une douzaine d’accords de libre-échange signés avec ses partenaires commerciaux principaux, (3) ou encore la participation à des programmes d’aide internationale qui permettent l’échange d’expertise en matière de gouvernance environnementale, tels que le projet de gouvernance environnementale du Vietnam (VPEG) mené par Affaire mondiale Canada. À cette volonté du Parti s’ajoute un facteur structurel qui favorise l’adoption de politique environnementale au Vietnam : la stabilité du régime. Selon Steinberg, il s’agit d’un élément essentiel dans les pays en développement qui est fortement corrélé à une plus grande capacité d’un pays à prendre des mesures face aux changements climatiques ou à la destruction de l’environnement dû au développement. En effet, la stabilité institutionnelle fait partie intégrante peut-être paradoxalement du changement politique, car seulement en présence de cette première les nouvelles politiques sont assurées de durer dans le temps et d’avoir en définitive un impact effectif sur la société, plutôt que de n’être qu’intempestives dans un constant contexte de bouleversement politique, social et économique, qui ne laisse finalement aux politiques, qu’une existence nominale. (4)
Toutefois, le Vietnam étant un État autoritaire, les organisations de la société civile sont peu invitées à s’exprimer haut et fort et à prendre une part effective à la politique et à la gouvernance du pays, ce qui limite en définitive sa capacité de venir en aide aux populations touchées par les enjeux environnementaux, et de faire profiter le Vietnam de leur expertise et de leur expérience de terrain. De plus, les règles de protection de l’environnement exigées par les pays développés comme conditions à l’accord de traités libre-échange sont pour un grand nombre non contraignantes, le caractère coopératif de ces accords menant à adopter un large éventail de dispositions par l’utilisation de termes tels que « chacune des parties s’efforce », « chacune des parties favorise », ou encore « chacune des parties devrait encourager ». (5)
La vulnérabilité du Vietnam devant les aléas climatiques est telle, que les mesures prises jusqu’à maintenant sont hélas, encore trop peu. Par exemple, on assiste présentement à une baisse des rendements agraires dans le delta du Mékong, qui mène à un exode rural — pour ne pas parler de réfugiés climatiques — nettement supérieur à la normale. Cette baisse de la productivité des sols est due à la hausse de la fréquence et de l’intensité d’épisode climatique extrême et à la montée des océans qui causent de plus fréquentes inondations. L’eau saline qui s’infiltre dans les terres est un véritable fléau pour les agriculteurs, tuant les récoltes et s’infiltrant dans les nappes phréatiques, rendant à l’avenir, les sols impropres à l’agriculture. Seule une petite portion des agriculteurs a les ressources suffisantes pour assurer une transition vers l’aquaculture en eau saline. (6) Cette situation est d’autant plus préoccupante que la quasi-totalité du delta du Mékong, en ayant une altitude qui n’est pas supérieure à 1 mètre, est concernée par la montée des eaux, et que la majorité du riz produit par le Vietnam vient de cette région : 52% sont actuellement cultivés dans le delta du Mékong. (7)
En définitive, même s’il y a une volonté politique évidente d’élaborer des institutions environnementales ainsi qu’un cadre juridique sophistiqué afin de s’attaquer à l’enjeu climatique, la dégradation de l’environnement s’est poursuivie sans relâche lors des dernières années. En effet, malgré la stabilité du régime, les institutions politiques environnementales peinent à accomplir leur dessein par manque de ressources, (8) et bien souvent, les lois environnementales ne sont pas appliquées. (9)
TAGS : Environnement, Vietnam, COP, Développement économique, Communisme, Relations internationales
(1) Weissenberger, Sebastian, Omer Chouinard, Yann Roche, et Pham Van Cu, p.2.
(2) Huang, Bihong, et Yining Xu, p.3.
(3) Nguyen, Ngoc Ha, Tri Uc Dao, et Hong Nhung Doan, p.193.
(4) VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg, p.276.
(5) Nguyen, Ngoc Ha, Tri Uc Dao, et Hong Nhung Doan, p.220.
(6) Chapman, Alex et Van Pham Dang Tri, en ligne.
(7) The World Bank Group et Asian Development Bank, p.18.
(8) Ortmann, Stephan, p.2.
(9) Ortmann, Stephan, p.25.
Bibliographie
Chapman, Alex et Van Pham Dang Tri. 2021. « Réfugiés climatiques : cette crise qui couve au Vietnam ». The Conversation, 16 janvier 2018.
Huang, Bihong, et Yining Xu. 2019. Environmental Performance in Asia: Overview, Drivers, and Policy Implications. Adbi Working Paper Series, No. 990 (August 2019). Tokyo, Japan: Asian Development Bank Institute. https://www.econstor.eu/bitstream/10419/222757/1/1675771030.pdf.
Nguyen, Ngoc Ha, Tri Uc Dao, et Hong Nhung Doan. 2020. « Les Règles Sanitaires Et Environnementales Dans Les Accords De Libre-Échange Du Vietnam : Vers Une Meilleure Protection De La Santé Et De L’Environnement ? » Les Cahiers De Droit 61 (1): 193–222. https://doi.org/10.7202/1068785ar.
Ortmann, Stephan. 2017. Environmental Governance in Vietnam : Institutional Reforms and Failures. Cham, Switzerland: Palgrave Macmillan. https://doi.org/10.1007/978-3-319-49760-0. 2017. Environmental Governance in Vietnam : Institutional Reforms and Failures. Cham, Switzerland: Palgrave Macmillan. https://doi.org/10.1007/978-3-319-49760-0. The World Bank Group and the Asian Development Bank. 2020. Climate Risk Country Profile : Vietnam. The World Bank Group and the Asian Development Bank.
VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg. 2012. Comparative Environmental Politics. American and Comparative Environmental Policy. Cambridge, Mass.: MIT Press.
Weissenberger, Sebastian, Omer Chouinard, Yann Roche, et Pham Van Cu. 2015. « Les Mangroves Face Aux Changements Climatiques : Le Cas À La Fois Typique Et Particulier Du Vietnam. » Vertigo Hors-série 23 (Hors-série 23). https://doi.org/10.4000/vertigo.16600.