par Anaïs Robeyrenc
La Malaisie est actuellement confrontée à une crise politique sans précédent dans un contexte de pandémie. Malgré les règles sanitaires strictes en vigueur, le peuple malaisien se soulève contre le gouvernement afin de sauvegarder la démocratie dans le pays. Évènement rare qui mérite une attention particulière dans la région.
L’élection de Muhyiddin Yassin en 2020 : un danger pour la transition démocratique
La victoire aux élections législatives du parti d’opposition Pakatan Harapan (l’Alliance de l’Espoir) en mai 2018 marquait le début d’une nouvelle ère démocratique en Malaisie. Ce fut une victoire inattendue car elle renversa le parti au pouvoir depuis 61 ans, le Barisan Nasional (Front national) de Najib Razak[1]. L’élection de ce parti réformateur était le symbole d’une transition démocratique émanant directement de la volonté du peuple alors même que les dissidences étaient réprimées par l’ancien pouvoir et les lois coloniales[2]. Ainsi, depuis 2018, la Malaisie incarnait en Asie du Sud-Est le plus bel exemple de démocratisation[3]. Or la démission du Premier Ministre Mahathir Mohamad en 2020 créa un climat d’instabilité politique. Dans la constitution malaisienne, le roi nomme le Premier Ministre parmi la majorité parlementaire. Ainsi, l’alliance entre le United Malays National Organisation et le parti Islamique amena Muhyiddin Yassin au pouvoir en mars 2020, sans même avoir été élu par le peuple. Cela fut considérée comme un choix unilatéral de la part du roi et antidémocratique[4]. Ce contexte d’instabilité politique accentua l’émergence de revendications populaires alors même que la pandémie de Covid-19 avait de lourdes conséquences dans le pays.
Le Black flag movement : un mouvement de contestation inédit en Malaisie
Muhyiddin Yassin doit faire face depuis mars 2020 à deux défis majeurs : la menace de la pandémie de Covid-19 et la faible légitimité de son gouvernement[5]. Pourtant, les contestations qui se multiplient depuis juillet 2021 sont le constat d’un échec. La société malaisienne investit les rues de Kuala Lumpur pour dénoncer la mauvaise gestion de la crise liée à la pandémie et les dérives autoritaires du Premier Ministre[6]. En effet, le mandat de Muhyiddin Yassin est un véritable revers à l’idéal démocratique. La mise en place de l’état d’urgence en janvier 2021 et la suspension de l’activité parlementaire ont largement été perçu comme un abus de pouvoir sous couvert de crise sanitaire. En effet, l’état d’urgence octroie les pleins pouvoirs au Premier Ministre et intervient alors que sa coalition apparait plus désunie que jamais. Ce fut donc davantage perçu comme une manœuvre politique pour rester au pouvoir[7].
La désaffection et la colère du peuple vis-à-vis du gouvernement se sont graduellement organisées. D’abord, les malaisiens ont manifesté leur détresse quant à la situation sanitaire en érigeant à leur fenêtre des drapeaux blancs, symboles d’un besoin d’assistance immédiat[8]. À ces drapeaux blancs ont succédé des drapeaux noirs, signes de l’immense colère de la population malaisienne. Les drapeaux noirs sont d’abord apparus sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter avec le hashtag #LAWAN. Puis, les citoyens sont descendus dans la rue, brandissant pancartes et drapeaux noirs, et manifestant pour la démission du gouvernement. Le mouvement des drapeaux noirs est inédit en Malaisie, pays où la révolte et la contestation ne font pas partie de la culture politique[9]. Ainsi, pour la première fois et malgré une situation sanitaire inquiétante, les malaisiens manifestent dans la rue avec pour objectif de sauvegarder la démocratie.
Les perspectives de fin de crise font de la démocratie un enjeu d’ordre transnational
Les manifestants présents dans la rue ne sont qu’une représentation partielle de l’ampleur du mouvement dans le pays. En effet, le mouvement de contestation possède une véritable légitimité et crédibilité au niveau national, mais également transnational. La Malaisie a souvent été l’exemple de démocratie le plus prégnant et le plus abouti en Asie du Sud-Est[10]. Ainsi, les revendications populaires ont une signification particulière. Si elles aboutissent, elles seraient porteuses d’un immense espoir pour les mouvements pro-démocraties voisins notamment en Thaïlande et en Birmanie[11]. A contrario, un échec de ces mouvements pourrait souffler un vent de désillusion et d’abandon.
Comme en Thaïlande et en Birmanie, les réseaux sociaux sont des outils majeurs dans la transnationalisation des revendications malaisiennes, notamment à travers des pratiques telles que le hashtag activism. Singapour surveille de près ce phénomène car il entretient des liens historiques avec la Malaisie, et que son contexte politique est similaire à celui que connaissait la Malaisie avant l’élection de Mahathir Mohamad[12]. On peut déjà constater la connexion de groupe de meme entre les deux pays, dont le contenu des critiques s’adapte et s’aligne[13]. On observe dans les deux pays la volonté de défier la censure et l’autorité de l’État concernant les informations liées à la pandémie, et que la génération précédente, les « millennials », sont souvent pris pour cible.[14].
Pourtant, la dimension transnationale du mouvement des drapeaux noirs est limitée. Cela peut s’expliquer par le fait que les manifestations en Malaisie incarnent moins que celles en Thaïlande ou Birmanie ce point de rupture entre autoritarisme et démocratie dans la mesure où le système électoral garantissait l’intégrité du pouvoir du peuple. Actuellement, une sortie de crise politique est possible si des élections législatives sont organisées rapidement. Ainsi, les enjeux sont pour l’instant essentiellement nationaux, mais le mouvement des drapeaux noirs est porteur d’un espoir transnational.
[1] Tayeb, Azmil. 2021. “Malaysia in 2020”, Asian Survey, 61(1), pp. 99–105. https://doi.org/10.1525/as.2021.61.1.99.
[2] Coca, Nithin. 2018. « La transition démocratique surprise de la Malaisie peut-elle influencer le reste de la région ? », Equal Times, [En ligne] https://www.equaltimes.org/qu-augure-la-transition?lang=fr#.YYv3uC17RQJ (Page consultée le 9 novembre 2021)
[3] Ibid.
[4] Tayeb, Azmil. 2021. “Malaysia in 2020”, Asian Survey, 61(1), pp. 99–105. https://doi.org/10.1525/as.2021.61.1.99.
[5] Ibid.
[6] Maréchaux, Gabrielle. 2021. « Malaisie : derrière le mouvement des drapeaux noirs, la colère d’une jeunesse désabusée » [En ligne] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210802-malaisie-derrière-le-mouvement-des-drapeaux-noirs-la-colère-d-une-jeunesse-désabusée (Page consultée le 8 novembre 2021).
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Coca, Nithin. 2018. « La transition démocratique surprise de la Malaisie peut-elle influencer le reste de la région ? », Equal Times, [En ligne] https://www.equaltimes.org/qu-augure-la-transition?lang=fr#.YYv3uC17RQJ (Page consultée le 9 novembre 2021).
[11] Zainuddin, Alifah. 2021. « Malaysia’s Youth step up protests as political crisis deepens » [En ligne] https://thediplomat.com/2021/08/malaysias-youth-step-up-protests-as-political-crisis-deepens/ (Page consultée le 8 novembre 2021).
[12] Coca, Nithin. 2018. « La transition démocratique surprise de la Malaisie peut-elle influencer le reste de la région ? », Equal Times, [En ligne] https://www.equaltimes.org/qu-augure-la-transition?lang=fr#.YYv3uC17RQJ (Page consultée le 9 novembre 2021).
[13] Abidin, Crystal. 2020. « Meme factory cultures and content pivoting in Singapore and Malaysia during COVID-19”, The Harvard Survey School (HKS) Misinformation Review, Volume 1, Special Issue on Covid-19 and Misinformation.
[14] Ibid.
Bibliographie
Abidin, Crystal. 2020. “Meme factory cultures and content pivoting in Singapore and Malaysia during COVID-19”, The Harvard Kennedy School (HKS) Misinformation Review, Volume 1, Special Issue on COVID-19 and Misinformation.
Coca, Nithin. 2018. “La transition démocratique surprise de la Malaisie peut-elle influencer le reste de la région ? », Equal Times, [En ligne] https://www.equaltimes.org/qu-augure-la-transition?lang=fr#.YYn7jy17RQI (Page consultée le 9 novembre 2021).
Ding, Emily. 2021. “In Malaysia, young people find their voice amid a pandemic” [En ligne] https://www.aljazeera.com/news/2021/9/28/youths-are-on-the-frontlines-of-political-activism-in-malaysia (Page consultée le 7 novembre 2021)
Gazeau, William. 2021. « En Malaisie, crise politique et colère grandissante » [En ligne] https://www.la-croix.com/Monde/En-Malaisie-crise-politique-colere-grandissante-2021-08-03-1201169235 (Page consultée le 20 septembre 2021).
Maréchaux, Gabrielle. 2021. « Malaisie : derrière le mouvement des drapeaux noirs, la colère d’une jeunesse désabusée » [En ligne] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210802-malaisie-derrière-le-mouvement-des-drapeaux-noirs-la-colère-d-une-jeunesse-désabusée (Page consultée le 8 novembre 2021).
Tayeb, Azmil. 2021. “Malaysia in 2020”, Asian Survey, 61(1), pp. 99–105. https://doi.org/10.1525/as.2021.61.1.99.
Zainuddin, Alifah. 2021. « Malaysia’s Youth step up protests as political crisis deepens » [En ligne] https://thediplomat.com/2021/08/malaysias-youth-step-up-protests-as-political-crisis-deepens/ (Page consultée le 8 novembre 2021).