Par Laurianne Bossé
En février 1982, le Premier ministre malais Tun Dr Mahathir Mohamad, mettait en place la Look East Policy (LEP), une politique visant le développement de l’économie malaise. [1] Cette politique sert aujourd’hui de base aux relations bilatérales cordiales qu’entretiennent la Malaisie et le Japon, reflet de l’historique de coopération entre les deux États. [2] Ainsi, qu’est-ce qui a motivé la mise en place de la LEP de Mahathir et en quoi sert-elle aussi les intérêts japonais?
Historiquement, le Japon et la Malaisie ont toujours entretenu de bonnes relations, mis à part au cours des années de l’occupation japonaise du territoire malais, de 1941 à 1945. [3] Toutefois, suite à la fin de la Deuxième guerre mondiale, le Japon a su reconstruire son image, notamment dû à ses capacités économiques. En effet, le Japon se présentait comme modèle économique pour Mahathir, le poussant ainsi à renforcer ses liens économiques avec ce pays. [4] Cette politique cherchait également à importer le modèle japonais, notamment de copier l’éthique de travail et les systèmes de management japonais et ainsi les appliquer à l’industrie malaise dans le but d’améliorer leur productivité et leur performance. [5] Cette politique avait aussi pour but de capitaliser sur la technologie japonaise, en l’important en Malaisie. [6]
La LEP vise ainsi deux champs d’activités précis. Le premier vise le développement des ressources humaines, c’est-à-dire en permettant à de jeunes Malais de suivre des cours universitaires japonais ainsi qu’en instaurant un centre de langue japonaise à la University of Malaya pour permettre à ces jeunes d’apprendre la langue d’enseignement. Ce champ inclut aussi l’envoi d’employés malais au Japon, via la Association for Overseas Technical Scholarship (AOTS), afin qu’ils y apprennent de façon pratique les modes de fonctionnement de la puissance nippone. [7] À ce jour, près de 17 000 Malais auraient reçu un apprentissage, académique ou en emploi, au Japon. [8] Le deuxième champ visé par la LEP est économique : la Malaisie cherchait ainsi à mettre en place des institutions économiques qui, précédemment, n’avaient jamais existé chez elle, en s’inspirant donc du modèle japonais, notamment celui de la Japan Incorporated, adapté vers la Malaysia Inc. [9]
Pour Mahathir, l’instauration de la LEP servait plusieurs objectifs. D’abord, le Premier ministre malais aspirait effectivement à une transformation de l’industrie malaise, qui permettrait à l’État de rejoindre les pays développés grâce à l’aide japonaise. [10] Le deuxième objectif était de restructurer l’économie politique de l’État dans une stratégie de nationalisme. En effet, en prenant comme modèle un État asiatique, Mahathir parvenait ainsi à se détacher de l’Ouest et des pays colonisateurs, plus spécifiquement la Grande-Bretagne. [11] Il est d’ailleurs intéressant de relever que, suite à la mise en place de la LEP, la Malaisie mettait de l’avant la campagne « Buy British Last » suite à deux décisions du gouvernement britannique concernant la hausse des frais de scolarité en Grande-Bretagne pour les étudiants étrangers ainsi que le resserrement des règles sur les investissements après la prise de contrôle malaise d’une compagnie de plantation britannique. [12] Il s’avère également que la mise en place de la LEP fut annoncée lors de la visite du ministre des affaires étrangères britannique en sol malais pour réparer les relations bancales entre les deux pays, [13] ce qui renforce l’idée selon laquelle la LEP avait certaines visées nationalistes. Enfin, la LEP permettait également à la Malaisie de profiter des avancées technologiques japonaises et ainsi, de développer rapidement son secteur manufacturier. [14]
Or, en quoi cette politique est-elle avantageuse pour le Japon? En effet, la LEP a pour effet de placer une certaine obligation sur l’État nippon, qui cherche habituellement à garder le contrôle financier et managérial sur les chaînes de valeurs qu’il crée. [15] Toutefois, la politique permet aussi au Japon de faire des gains, non seulement économiques, mais aussi indirectement, en offrant une meilleure image de la culture japonaise et en lui créant une identité socio-culturelle importante à travers une culture de consommation et un mode de vie particulier. [16]
La LEP a maintenant plus de 35 ans et, en 2019, Mahathir visitait le Japon et mettait de l’avant le projet de revitaliser la LEP. [17] Cette politique a su s’étendre à une diversité de secteurs, notamment ceux de l’économie, de l’entrepreneuriat et de l’éducation, [18] et structure ainsi les relations bilatérales entre le Japon et la Malaisie. Or, il s’avère que cette politique n’est pas parfaite : en effet, certaines critiques ont été soulevées à travers le temps, plus particulièrement en lien avec les différences culturelles et identitaires qui divisent la Malaisie et le Japon. Il est évident que ces deux États partagent des histoires et des identités différentes, [19] nuisant ainsi à l’adoption de certaines des valeurs japonaises prônées par Mahathir. Ce partenariat tient néanmoins toujours, attestant ainsi du profond désir de coopération entre les deux États, que ce soit à des fins économiques ou même politiques.
1 Pandian et al. 2021, 1.
2 MOFA 2020, 68.
3 Furuoka 2007, 505.
4 Ibid., 506.
5 Smith 2006, 336.
6 Kiong 2000, 192.
7 Ibid., 193.
8 MOFA 2020, 68.
9 Smith 2006, 336.
10 Kiong 2000, 194.
11 Ibid., 195.
12 Furuoka 2007, 508.
13 Ibid., 508.
14 Kiong 2000, 197.
15 Smith 2006, 337.
16 Ibid., 337.
17 MOFA 2020, 68.
18 Pandian et al., 5.
19 Furuoka 2007, 509.
Bibliographie
Furuoka, Fumitaka. 2007. « Malaysia-Japan Relations under the Mahathir Administration: Case Studies of the ‘Look East’ Policy and Japanese Investment in Malaysia. » Asian Survey 47, no. 3: 505-519. https://doi.org/10.1525/as.2007.47.3.505.
- « Economic Relations Between Malaysia and Japan: Investment, Trade and Economic Assistance. » Borneo Review 13, no. 2: 130-145. https://www.proquest.com/scholarly-journals/economic-relations-between-malaysia-japan/docview/217921101/se-2?accountid=12543.
Kiong, Frank. 2000. « The Look East Policy: its impact in promoting Japanese management techniques to manufacturing firms in Malaysia. » Thèse de doctorat. University of Stirling. http://www.storre.stir.ac.uk/handle/1893/21434
Ministère des affaires étrangères du Japon (MOFA). Diplomatic Bluebook 2020. Octobre 2020. p.64-66. [https://www.mofa.go.jp/fp/pp/page22e_000932.html]
Pandian, Sivamurugan, Ahmad Fauzi Abdul Hamid, Paramjit Singh Jamir Singh et Saiyid Radzuwan Syed Sopi. 2021. « ‘Look East Policy’ after 35 years from social sciences perspectives: A new paradigm for Japan-Malaysia relations 1982-2017. » Cogent Social Sciences 7, no. 1.
Smith, Wendy A. « Japanese Cultural Images in Malaysia Implications of the ‘Look East’ policy. » dans Japan and Malaysian Economic Development. Sous la direction de K. S. Jomo. 345-373. Routledge, 2006.