Par Hannah Farsi
Un drame en mer Andaman
Le 24 février 2021, des garde-côtes ont retrouvé un bateau à la dérive sur la mer Andaman. Il provenait du Bangladesh et transportait un nombre record de 90 Rohingyas, incluant 8 personnes décédées à bord. (2) Ce drame s’ajoute à une longue liste depuis qu’a débuté le génocide Rohingya fin 2016. On décompte déjà des milliers de morts et plus de 700 000 réfugiés ont été contraints à une migration forcée. (3)
Photos : Ahmed, un réfugié Rohingyas, pleure en tenant son fils décédé âgé de 40 jours dans ses bras (Bangladesh) (1)
Qui sont les Rohingyas ?
Il s’agit d’un des nombreux groupes ethniques minoritaires du Myanmar. Ce peuple est issu des premières migrations indo-aryennes vieilles de plusieurs millénaires. Il a subi de multiples influences arabe, moghol et portugaise. Alors que leur migration au Myanmar reste encore très discutée dans les cercles scientifiques, ils se considèrent comme de véritables indigènes, descendants directs d’Arakan dont il occupe aujourd’hui le territoire d’origine, l’état d’Arakan, à l’extrême ouest du Myanmar. Les Rohingyas parlent leur propre langue le ruaingga, proche du chittagonien, une langue parlée par leurs voisins de l’état Chittagong au Bangladesh et ils sont en grande majorité de religion musulmane. (4)
Un peuple persécuté
Le secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres le décrit comme « un des peuples les plus discriminés au monde, sinon le plus discriminé ». (5) Les premières persécutions contre les Rohingyas remontent aux années 1970. Réprimés principalement pour leurs croyances religieuses, les Rohingyas sont discriminés aussi bien par la population birmane à majorité bamar de croyance hindouiste que par le gouvernement militaire. Dès la fin du 20e siècle, les autorités locales restreignent fortement leurs droits et libertés. La loi sur la nationalité de 1982 refuse aux Rohingyas la nationalité birmane tandis que plusieurs autres restrictions informelles limitent leurs droits à l’éducation, à la santé, et à d’autres services essentiels. Encore aujourd’hui, les Rohingyas sont qualifiés de bengalis, terme péjoratif faisant référence à leurs voisins bangladeshis, et qui dénote la manière ils sont perçus par la population birmane : des immigrants illégaux du Bangladesh. (6)
Les évènements récents
La répression envers les Rohingyas a véritablement pris des dimensions disproportionnées à la fin de l’année 2016. Le 9 octobre 2016, une série d’attaques a visé des postes frontaliers entre le Myanmar et le Bangladesh, causant la mort de neufs policiers. Le gouvernement a accusé les Rohingyas d’avoir commis ces actes terroristes. La police locale a instrumentalisé l’évènement et a engagé une répression débridée envers la minorité musulmane. (7) La liste des violations et cruautés commises, principalement par les forces de sécurité birmane, envers les Rohingyas est longue : attaques physiques, meurtres, disparitions, violences sexuelle, destructions d’habitats et de villages Rohingyas. La situation est devenue d’autant plus critique que d’autres groupes, comme la police frontalière et plusieurs milices bouddhistes d’Arakan, se sont joints aux massacres. L’escalade a conduit des milliers de Rohingyas à fuir le pays pour trouver refuge au Bangladesh ou dans d’autres pays frontaliers du Myanmar qui, eux-mêmes, menacent d’arrêter, de contenir, voire de renvoyer ces exilés de l’autre côté de la frontière. (8)
Que fait la communauté internationale ?
Ces dernières années, il y a eu, à maintes reprises, des interpellations de la part de la communauté internationale contre le Myanmar pour les sévices commis à l’encontre des Rohingyas. Des hommes politiques ont accusé le gouvernement d’avoir institutionalisé une discrimination systémique et la ségrégation des Rohingyas, allant jusqu’à parler de génocide ou de nettoyage ethnique à l’encontre de la minorité ethnique. Aung San Suu Kyi, chef de l’État, présidente de la Ligue Nationale pour la Démocratie et lauréate du Prix Nobel de la Paix, a été fortement critiquée pour avoir gardé le silence sur la situation, et pour sa participation passive au génocide au travers de son soutien à l’appareil militaire. (9) Amnesty International a qualifié le pays de « prison à ciel ouvert » et a fait un parallèle avec l’apartheid. (10) Afin de protéger les Rohingyas, le 23 janvier 2020, la Cour internationale de Justice a ordonné au Myanmar de faire cesser les actes de génocide contre la communauté ethnique dans l’État d’Arakan et de transmettre régulièrement à la Cour les preuves qui témoignent de ses efforts et de l’état de la situation. Toutefois, un an plus tard, la situation a très peu évolué. Alors que Kyi fait la sourde oreille aux requêtes internationales, aucune mesure n’a encore été prise, aucune accusation formelle n’a encore été déposée. (11)
Que va-t-il advenir des Rohingyas maintenant que le pays est en proie avec un crise interne ?
Le 1er février dernier, la junte militaire a pris le contrôle du pays, emprisonné plusieurs représentants du gouvernement et déclaré l’état d’urgence dans le pays. La question des Rohingyas va probablement être reléguée au second plan. Compte tenu du fait que les militaires étaient déjà leurs principaux bourreaux, la répression ne va pas s’arrêter là, même si la crise politique interne passe au premier plan. Comme le suggère le journal The Economist, en attendant la tombée de jugements, des sanctions pourraient pour le moins être imposées à la Tatmadaw. Faudra-t-il avoir recours à des pressions économiques et diplomatiques pour faire que l’armée birmane dépose les armes ? (12)
Références
[1] ABS-CBN News. 2017. “PH votes against UN draft resolution on Rohingyas in Myanmar. En ligne : https://news.abs-cbn.com/focus/11/18/17/ph-votes-against-un-draft-resolution-on-rohingya-in-myanmar (Page consultée le 25 février 2021)
[2] Sharma, Ashok. 2021. India finds boat adrift with Rohingya refugees, 8 dead. Dans Toronto Star. En ligne : https://www.thestar.com/news/world/asia/2021/02/25/un-india-coast-guard-helping-rohingya-adrift-in-andaman-sea.html (page consultée le 25 février 2021)
[3] Habib, Mohshin et al. 2018. Forced Migration of Rohingyas: An Untold Experience. Ontario International Development agency. En ligne: https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3242696 (page consultée le 25 février 2021)
[4] Minority rights group international. 2019. Muslims and Rohingyas. Dans World Directory of Minorities and Indigenous People. En ligne: https://minorityrights.org/minorities/muslims-and-rohingya/ (page consultée le 25 février 2021)
[5] United Nations. 2018. Transcript of Secretary-General’s remarks at press encounter with president of the world Bank, Jim Yong Kim. En ligne: https://www.un.org/sg/en/content/sg/press-encounter/2018-07-02/transcript-secretary-general%E2%80%99s-remarks-press-encounter (Page consultée le 25 février 2021)
[6] Leider, Jacques. 2018. “Rohingyas: The history of a Muslim Identity in Myanmar”. Dans Oxford Research Encyclopedia of Asian History. En ligne: https://pdfs.semanticscholar.org/c552/2ca77bde361a339721dd b177d5d7f241477a.pdf (page consultée le 25 février 2021)
[7] International Crisis Group. 2016. “Myanmar: A new Muslim Insurgency in Rakline State” En ligne: https://www.crisisgroup.org/asia/south-east-asia/myanmar/283-myanmar-new-muslim-insurgency-rakhine-state (page consultée le 25 février 2021)
[8] United Nation Human Rights. 2017. Interview with Rohingyas fleeing from Myanmar since October 9, 2016. En ligne: https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/FlashReport3Feb2017.pdf (Page consultée le 25 février 2021)
[9] BBC News. 2019. “Aung San Suu Kyi. How a peace icon ended up at a genocide trial”. En ligne: https://www.bbc.com/news/av/world-asia-50709830 (Page consultée le 25 février 2021)
[10] Amnesty International. 2017. “Myanmar: Rohingya trapped in a dehumanising apartheid regime”. En ligne: https://www.amnesty.ca/news/myanmar-rohingya-trapped-dehumanising-apartheid-regime (Page consultée le 25 février 2021)
[11] Ullah, Aman. 2017. “International Court of Justice and the Rohingyas Issue”. Dans Canadian Rohingyas Development Initiative. En ligne: https://www.rohingya.ca/international-court-of-justice-and-rohingya-issue/ (Page consultée le 25 février 2021)
[12] The Economist. Aung San Suu Kyi and the foreign admirers must help the Rohingyas. En ligne: https://www.economist.com/leaders/2017/09/09/aung-san-suu-kyi-and-her-foreign-admirers-must-help-the-rohingyas (Page consultée le 25 février 2021)
Pour en savoir plus :
Livres :
Ibrahim, Azeem. 2018. The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide. London: Oxford University Press.
Wade, Francis. 2019. Myanmar Enemy Within: Buddhist Violence and the Making of the Muslim Other. London: Zed Book Ltd.
Debomy, Frédéric. Aung San Suu Kyi, l’armée et les Rohingyas. Paris : Les Éditions de l’Atelier.
Turgeon, Elizabeth. Rohingyas. Montréal : Les Éditions Boréales.
Articles scientifiques :
Adam, Jobair. 2018. “The Rohingyas of Myanmar: theorical significance of the minority status”. Dans Asian Ethnicity. 19 (2).
Ahsan, Ullah. 2016. “Rohingyas Crisis in Myanmar: Seeking Justice for the stateless”. Dans Journal of Contemporary Criminal Justice. 32 (3): 285-301
Dussich, John P.J. 2018. “The Ongoing Genocidal Crisis of the Rohingya Minority in Myanmar”. Dans: Journal of Victimology and Victim Justice. 1 (1): 4-24.
Mohajan, Haradhan. 2018. “History of Rakkine State and the Origin of the Rohingyas Muslims”. Dans The Indonesian Journal of Southeast Asian Studies. 2 (no. 1, Juillet): 19-46.
Documentaires :
Arte Reportage. 2019. Rohingyas, la mécanique du crime. En ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=g2OjbDcBfPk (Page consultée le 29 mars 2021)
Arte Reportage. 2018. Rohingyas, un génocide à huit clos. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Qfe6CK2mvUA (Page consultée le 29 mars 2021)