La diaspora chinoise en Thaïlande

Par Madeleine Rouleau-Dumas
Octobre 2020. Beijing promet des investissements et un soutien économique pour aider le premier ministre thaïlandais, Prayuth Chan-Ocha, suite à des manifestations prodémocratie dans le pays pour le déloger du pouvoir. [1] Qu’est-ce qui a poussé ce geste, considérant des décennies de mesures anti-chinoises en Thaïlande?

Le Chinatown de Bangkok (https://dukelanguage.com/2014/02/chinese-influence/)

Les débuts d’une grande influence économique

Les relations entre la Chine et la Thaïlande à la fin du XIXe siècle influencent fortement la place des Sino-thaïlandais-es au sein du pays. En effet, lorsque la ville de Ayuddhaya, l’ancienne capitale, est vaincue par la Birmanie en 1767, l’État est organisé en système de corvées pour tous les citoyen-ne-s. Les Thaïlandais-es payent des impôts sous forme de matériaux qui peuvent être transformés en biens destinés à l’exportation. Cependant, après ce conflit, la mort et l’exil d’une bonne partie de la population empêchent le pays de compter sur cette organisation pour la croissance économique. C’est à ce moment que la Chine entre en jeux. La Thaïlande a besoin de supports financiers et les Chinois-es apportent les capitaux et la technologie pour transformer les matières premières. [2] Quelques décennies après, en 1855, la ratification du traité Bowring avec le Royaume-Uni accorde davantage de droits extraterritoriaux et d’influences économiques aux colons chinois.

 

Le XXe siècle

Au début du XXe siècle, le Roi Vajairavudh Rama VI instaure un nationalisme royaliste. Celui-ci donne une place centre aux sujets coloniaux chinois économiquement influents sur la question de l’édification de la nation. En d’autres mots :

 « To allow rich Chinese, whose extensive business interests were transnational in the colonial territories, to contribute to the nascent Siamese nationalism, they had to be defined by devotion to the monarch and not solely about actual geographical residency or ethnic/cultural origin » [3]

Après la révolution siamoise et le coup d’État de 1932 [4], le Parti populaire met de côté les mesures élitistes et l’extraterritorialité et instaure une vision plus égalitaire et démocratique. Les anciens sujets coloniaux chinois transnationaux sont donc contraints à de nouvelles obligations et doivent identifier de manière beaucoup plus ciblée leurs allégeances politiques.

En 1933, lors des premières élections, la résidence et la citoyenneté déterminent le droit de vote et la possibilité d’occuper des postes politiques. Ainsi, commence les actions anti-chinois-es dans la politique du pays.

En 1938, Plaek Phibunsongkram (Phibun), un ultranationaliste, devient le premier ministre de la Thaïlande. Affecté par la menace du nationalisme chinois et du communisme, il fait de la question chinoise un problème de première instance. En justifiant la construction de la nation thaïlandaise, il impose des normes défavorisant ce groupe ethnique. Par exemple, en forçant l’utilisation de la langue thaïlandaise et en instaurant un plus grand contrôle des établissements scolaires. (Entre 1948 et 1958, le nombre d’écoles chinoises en Thaïlande passe de 430 à 195. [5]) Au courant du poids financier de cette communauté, le premier ministre va former des alliances entre les riches marchands chinois et les hauts fonctionnaires, afin de tenter l’assimilation par le biais économique.

Danger du nord (1951) (U.S. Information Agency. Bureau of Programs. Press and Publications Service. Publications Division.)

[6] Il est, toutefois, important de noter que les personnes décidant d’obtenir la citoyenneté thaïlandaise ne se voit plus touché par les mesures, vue leur « intégration » complète. — Bien sûr, il s’agit que d’une autre forme d’oppression. —

Durant la guerre froide, les entrepreneur-e-s Sino-thailandais-es réussissent à obtenir un avantage commercial avec le gouvernement militaire. Étant donné ce rôle, la diaspora se voit de plus en plus protégée contre le harcèlement et se fait donner des contrats gouvernementaux. De plus, « Small- and medium-sized enterprises in the provinces acted like local gentry, making profit through implementing state policy while engaging in philanthropy and public service to maintain an amiable relationship with the masses whom they were exploiting. » [7] Ipso facto, nombreuses personnes de souche chinoise prennent graduellement place dans les élections provinciales.

 

Le XXIe siècle

La pression socio-économique et juridique exercée sur les Chinois-es pour obtenir qu’ils-elles obtiennent leur citoyenneté a des impacts jusqu’à aujourd’hui. Depuis les dernières années, la République Populaire de Chine (RPC) intensifie son influence économique et politique non seulement en Thaïlande, mais dans toute l’Asie du Sud-Est. Ainsi, la possession de la citoyenneté chinoise peut être bénéfique dans les activités commerciales transnationales. Ce phénomène est visible dans le « nouveau quartier chinois » à Bangkok dans le district de Huay Khwang, où de nombreux-euses ressortissant-e-s de la RPC s’engagent dans des activités commerciales sans intention de se procurer la nationalité du pays. [8] Le gouvernement de Prayuth Chan-Ocha doit donc revisiter les politiques d’immigration pour ne pas nuire aux relations avec le géant du nord.

De plus, la domination des mesures d’assimilations, principalement lors des années 1990, a complètement changé la vision nationale face aux Chinois-es. En effet, après la guerre froide, la diaspora n’est plus vue comme une menace à la sécurité. Maintenant, elle est même considérée comme un avantage pour encourager les investissements étrangers et stimuler l’économie locale, dont dans le secteur de l’hôtellerie.

[1] Scimia, E. (16 octobre 2020) Beijing rushing to help Prayuth Chan-ocha’s government. Asia News.

[2] Burusratanaphand, W. (1995) Chinese Identity in Thailand. Southeast Asian Journal of Social Science, 23(1). p.48

[3] Wongsurawat W. (2019) The Social Capital of Being Chinese in Thai Politics. The Sociology of Chinese Capitalism in Southeast Asia. Palgrave Macmillan, Singapore.

[4] Idem

[5] Idem

[6] Eaksittipong, S. (2017) Textualizing the ‘’Chinese of Thailand’’: Politics, Knowledge, And the Chinese During the Cold War. (Thèse de doctorat, département d’histoire, National University of Singapore) p.105

[7] Wongsurawat W. (2019) The Social Capital of Being Chinese in Thai Politics. The Sociology of Chinese Capitalism in Southeast Asia. Palgrave Macmillan, Singapore.

[8] Idem

 

 

Bibliographie

Auethavornpipat, R. (2011) Flexible Identity : Unfolding the Identity of the Chinese-Thai Population in Contemporary Thailand The arbutus Review (2), 1, p.32-48 

Burusratanaphand, W. (1995) Chinese Identity in Thailand. Southeast Asian Journal of Social Science, 23 (1). p.43-56.

Callahan W.A. (2003) Beyond Cosmopolitanism and Nationalism: Diasporic Chinese and Neo-Nationalism in China and Thailand International Organization (57), 3, p.481-517.  

Eaksittipong, S. (2017)Textualizing the ‘’Chinese of Thailand’’: Politics, Knowledge, And the Chinese During the Cold War. (Thèse de doctorat, département d’histoire, National University of Singapore) 

Scimia, E. (16 octobre 2020) Beijing rushing to help Prayuth Chan-ocha’s government. Asia News.

Wongsurawat W. (2016) Beyond Jews of the Orient: A New Interpretation of the Problematic Relationship between the Thai State and Its Ethnic Chinese Community. Asia Critique, 24 (2). p.555-582.

Wongsurawat W. (2019) The Crown and the Capitalists The Ethnic Chinese and the Founding of the Thai Nation. Washington: University of Washington Press

Wongsurawat W. (2019) The Social Capital of Being Chinese in Thai Politics. The Sociology of Chinese Capitalism in Southeast Asia. Palgrave Macmillan, Singapore. p.75-92.

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