Par Manon Regnault
Ce 1er février 2021, un coup d’Etat par la junte militaire birmane ébranla le pays. Bien que la Birmanie soit dirigé la Ligue nationale pour la démocratie (NDL) depuis 2015, le pays fut gouverné à partir de 1962 par une junte militaire. La Tatmadaw, l’armée birmane, force encore maintenant des dissidents politiques participant aux mouvements de désobéissance à quitter leurs logement de Rangoon.
L’armée birmane est de retour dans les villes, nombreux dissidents sont expulsés des villes et doivent trouver refuge ailleurs[1] (Frontier, 2021). Il est d’ailleurs intéressant de voir le rapport ambivalent de l’armée avec la ville. Les infrastructures urbaines, les politiques de relogement ainsi que l’urbanisme en général fait partie intégrante du militarisme birman[2] [3].
En guise d’exemple, un plan de rénovation de Rangoon en 1988 avait pour objectif de reloger les populations pauvres du centre-ville vers de nouvelles villes périphériques aménagées par l’armée. L’étalement urbain a pour objectif d’inscrire le pays dans une perspective de modernisation suivant la même logique que ces voisins de la région pour une meilleure intégration au marché extérieur[4]. On se rappelle l’annonce assez déroutante de 2005, lorsque l’armée décida d’aller plus loin dans son projet d’aménagement urbain. La capitale politique de Rangoon est déplacée à Naypyidaw située à 320 km d’écart au centre du pays[5]. Pourtant cette ville n’a rien d’une ville nouvelle et touristique construite de toute pièce comme Brasilia. Il serait difficile de voir comment une ville grande de 7000 km2, vide de vie et d’interaction puisse attirer du monde.
Littéralement « Demeure du Roi », Naypyidaw est une ville nouvelle construites avec les plus beaux matériaux et des infrastructures modernes digne d’un pays complétement intégré à la mondialisation, comme son voisin singapourien par exemple. Mais, il serait pourtant facile de prouver le contraire. En effet, la construction de la ville aurait coûté près de 4 milliards de dollars. Force est de constater que moins de 0,4 % du PIB birman est accordé à la santé des citoyens[6] [7]. Citoyens ? Seuls les fonctionnaires, les députés et les membres de l’armée en général y résident. Les contributeurs à la construction de la villes de second plan, parviennent à peine à survivre à la périphérie de la ville. Ils vivent dans une grande précarisation et leur habitat n’a rien de la luxure et de la modernité de Naypyidaw. La ville est donc inhabitée et ses huit voies routières désertées.
Naypyidaw est une ville fantôme.
Pourtant cette décision politique de déplacer la capitale n’est pas sans motif. L’histoire, les infrastructures et la localisation de Rangoon ne plaçait pas la capitale dans une position stratégique. En effet, Rangoon est considérée par l’armée comme une ville étrangère dominée par l’influence étrangère et notamment toujours encore teintée du colonialisme britannique. De ce fait, selon Dulyapak Preecharushh, trois raisons ont motivé l’armée à délocaliser la capitale : la sécurité politico-militaire, le développement économique intérieur et l’unité spirituelle et culturelle. La paranoïa pousse l’administration militaire à la centralisation, craintive de subir le même sort que l’Afghanistan et l’invasion américaine de 2003. Tandis que le développement de l’économie passe par la modernisation des infrastructures, la spiritualité passe par l’édification d’infrastctures aux ornements bouddhistes. De cette manière, l’armée tente de marier le moderne et le traditionnel[8].
Cependant parler de modernité est un peu réducteur pour décrire la Birmanie. Les infrastructures des autres grandes villes comme Rangoon et Mandalay sont encore très défectueuses[9] . L’augmentation de la démographie urbaine rend ces villes étouffantes et malgré l’étalement urbain voulu par l’armée, la répartition de la population reste inégalitaire. Alors cette décision était-elle rationnelle ? Cette délocalisation, bien qu’à l’abri des insurrections ne sécurise pas pour autant l’armée. Aujourd’hui, les protestations sont sans précédent, des protestations agitent les rues et la répression est encore plus forte qu’auparavant. L’armée n’est plus significatrice d’unité nationale. La modernité et sa prétendue ouverture à l’extérieur est peut-être à manier avec des pincettes. Même si le coup d’Etat militaire laisse les prodémocraties bouge bés, l’armée a toujours été plus ou moins présente et avait simplement laissé le pays dans une illusion démocratique.
Bibliographie
Koninck, Rodolphe de. «L’Asie du Sud-Est .» Armand Colin , 2019: 400.
Oo, Naing. «Urbanization and Economic Development in Burma .» Sojourn: Journal of Social Issues in Southeast Asia , Août 1989: 233-260.
Michalon, Martin. «Tourisme, politique et appropriation de l’espace dans la Birmanie en transition: le cas de la région du Lac Inlé .» Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2020
Preecharushh, Dulyapak. Naypyidaw – The New Capital of Burma. Bangkok: White Lotus, 2009.
Frontier , ‘No one wants to work for them’: Evictions fail to force striking civil servants back to. Frontier Myanmar. 2021. https://www.courrierinternational.com/article/reportage-la-repression-en-birmanie-passe-aussi-pa
[1] Frontier , ‘No one wants to work for them’: Evictions fail to force striking civil servants back to. Frontier Myanmar. 2021. https://www.courrierinternational.com/article/reportage-la-repression-en-birmanie-passe-aussi-pa
[2] Oo, Naing. «Urbanization and Economic Development in Burma .» Sojourn: Journal of Social Issues in Southeast Asia , Août 1989: 233-260.
[3] Koninck, Rodolphe de. «L’Asie du Sud-Est .» Armand Colin , 2019: 400.
[4] Oo, Naing. «Urbanization and Economic Development in Burma .» Sojourn: Journal of Social Issues in Southeast Asia , Août 1989: 233-260.
[5] Preecharushh, Dulyapak. Naypyidaw – The New Capital of Burma. Bangkok: White Lotus, 2009.
[6] Preecharushh, Dulyapak. Naypyidaw – The New Capital of Burma. Bangkok: White Lotus, 2009.
[7] Koninck, Rodolphe de. «L’Asie du Sud-Est .» Armand Colin , 2019: 400.
[8] Preecharushh, Dulyapak. Naypyidaw – The New Capital of Burma. Bangkok: White Lotus, 2009.
[9] Oo, Naing. «Urbanization and Economic Development in Burma .» Sojourn: Journal of Social Issues in Southeast Asia , Août 1989: 233-260.