Par Anaïs Jacquot
Depuis 2006, le conflit politique opposant les « Chemises rouges », partisans du Front uni pour la Démocratie contre la dictature (UDD), et les « Chemises jaunes », manifestants de l’Alliance populaire pour la Démocratie (PAD), ne fait que perdurer. Suite à la réélection du milliardaire thaïlandais Thaksin Shinawatra comme Premier Ministre en 2005, élu depuis 2001, la Thaïlande fait face à des vagues de protestations entre les factions pro-Thaksin, les « Chemises rouges », et anti-Thaksin, les « Chemises jaunes ». Bien que Thaksin ne soit plus au pouvoir depuis 2007, le choix de son beau-frère Somchai Wongsawat comme remplaçant au poste en 2008 et l’élection de sa sœur Yingluck Shinawatra en 2011 [1] n’ont été cependant que sources de discorde supplémentaires entre les deux groupes [2]. Mais que veulent vraiment ces deux opposants et en quoi le choix du jaune et du rouge vient-il jouer un rôle dans leur message ?
Chemises jaunes
Divisées en deux sous-groupes, les Chemises jaunes sont séparées entre la classe moyenne et les travailleurs du secteur agraire qui abhorrent Thaksin [3]. Venant principalement de la capitale thaïlandaise, Bangkok, et du sud du pays, leur loyauté envers le roi et leur dédain pour Thaksin les unis. Lors de la création du mouvement en 2005, l’objectif était d’enlever le pouvoir des mains du Premier Ministre de l’époque. En effet, même s’il avait permis l’amélioration des conditions de vie en milieux ruraux, répondu aux demandes sociales et travaillé à la création d’un système d’assurance-maladie abordable, il était aussi accusé de tueries extrajudiciaires dans sa guerre contre les drogues, d’un contrôle excessif des médias, de corruption systématique et aussi de possible non-respect de la monarchie. C’est d’ailleurs par soucis de menace envers la royauté et dans un but de contrer une corruption excessive au sein du gouvernement que la PAD orchestra un coup d’État contre Thaksin le 19 septembre 2006 [4]. Le choix de la couleur jaune pour leur groupe vient, par conséquent, de leur désir de protéger la monarchie, parce qu’en plus de représenter la couleur de la fleur « cassia fistula » [5], un des emblèmes nationaux de la Thaïlande, cette couleur est directement liée à la famille royale.
Chemises rouges
Chez les Chemises rouges, on peut identifier trois sous-groupes. D’une part, les « Vrais rouges » qui admirent Thaksin et ont bénéficié de ses politiques populistes, d’autre part, les « Rouges libéraux » qui admirent les politiques de Thaksin mais sont d’avis que les élections sont un élément nécessaire à une démocratie et enfin les « Rouges républicains » qui, tout en étant d’accord avec le deuxième groupe, renient la monarchie constitutionnelle sous un système parlementaire [6]. Puisqu’ils viennent en majorité de milieux pauvres ou n’ont pas eu accès aux mêmes privilèges que la plupart des Chemises jaunes, ils sont d’avis que Thaksin est la seule personne qui puisse rendre leurs conditions de vie meilleures et réduire l’écart entre les différentes classes sociales [7]. Cependant, en avril 2010, la Cour Suprême imposa à Thaksin la cession de 1,4 milliards de dollar sur 2,3 en avoirs bloqués. Cet évènement provoqua la colère des factions pro-Thaksin et mena à des manifestations armées causant la mort de 25 personnes et plus de 800 blessés chez les Chemises rouges [8]. Bien qu’ici le rouge ne soit pas lié aussi directement à une institution que le jaune, il s’agit toutefois d’une couleur très importante pour les Thaïlandais puisqu’elle fait partie des trois couleurs du drapeau national. Par le fait même, le choix de la couleur rouge démontre donc un appel à la population de la part des Chemises rouges, un désir de ralliement populaire [9].
Actualité
Encore tout récemment, en automne 2020 dernier, les deux factions manifestantes faisaient rage dans les rues de Bangkok. Aujourd’hui, depuis un coup d’État contre Yingluck Shinawatra le 22 mai 2014, le pays est dirigé par l’ancien directeur de l’Armée Royale, le Général Prayuth Chan-ocha. Le gouvernement autoritaire-militaire de Chan-ocha est celui du genre à avoir été le plus longtemps au pouvoir depuis les années 1950. Les politiques instaurées par celui-ci ainsi que l’atteinte à la démocratie causée par la présence militaire amènent cependant de nouvelles révoltes populaires, poussant de nouveau les Chemises jaunes et les Chemises rouges à manifester en grand nombre [10].
Références
[1] Vigneau 2011.
[2] Jimarkon et Watson 2013, p.2.
[3] Naphaphanni 2019, p.35.
[4] Jimarkon et Watson 2013, p.2.
[5] Zahra et Katayoun 2013, p.1452.
[6] Naphaphanni 2019, p.34.
[7] Jimarkon et Watson 2013, p.3.
[8] Ibid.
[9] Peeranat et Kettawa 2015, p.43.
[10] Prajak et Veerayooth 2018, p.279.
Bibliographie
Jimarkon, P. et Watson Todd, R. (2013), « Red or Yellow, Peace or War: An investigation of an online discussion forum during the 2010 political unrest in Thailand », dans De Rycker, A. et Mohd Don, Z. (eds.) Discourse and Crisis: Critical Perspectives p.301-322. Amsterdam: John Benjamins.
Naphaphanni Singsuwan (2019), « The Conditions Enabling Members of the Conflicting Parties, the Red Shirts and the Yellow Shirts, to Collaborate in Promoting the Concept of Self-Governance in Chiang Mai, Thailand, 2009-2010 », Thèse au Doctorat, George Mason University, Fairfax, VA.
Peeranat Pratoomchartpakdee et Kettawa Boonprakarn (2015), « Political Issues on the Colors of the Thai National Flag: Competitions for Meanings in Thai Society », Asian Social Science 11(15): 39-48.
Prajak Kongkiti et Veerayooth Kanchoochat (2018), « The Prayuth Regime: Embedded Military and Hierarchical Capitalism in Thailand », TRaNS: Trans-Regional and -National Studies of Southeast Asia 6(2):279-305.
Vigneau, Marilou (2011), « Élection de la première femme premier ministre en Thaïlande : exploit ou chance? », Perspective Monde, Université de Sherbrooke, Québec, Canada, En ligne, https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1287.
Zahra Hossein Nezhad et Katayoun Kavehnezhad (2013), « Choosing the Right Color : A Way to Increase Sales », International Journal of Asian Social Science 3(6):1442-1457.