Par Nicolas Roulier
On retrouve en Indonésie plus de 366 groupes ethniques différents qui possèdent chacun leur propre identité culturelle. On retrouve aussi plus de 669 langues et dialectes distincts. Même si le Bahasa Indonesia est la seule langue officielle, elle est inconnue par certains et peu utilisée par d’autres[1]. Vu les différences existant au sein de la population, il peut être difficile de mettre de l’avant l’idée d’une nation indonésienne comprenant l’ensemble des groupes culturels. Lors de l’indépendance du pays, Soekarno a vite remarqué que le sport pouvait être un outil important pour rassembler les différents groupes culturels autour de la jeune nation indonésienne[2].
Nationalisme et sport
On peut voir la nation comme étant imaginé, car selon Anderson, il est impossible pour une personne, même de la plus petite nation, de connaître l’ensemble des membres de celle-ci[3]. Il semble plus facile de s’identifier à sa communauté à travers une équipe de onze joueurs, cela montre que la communauté prend vie lors des évènements sportifs[4]. Ces évènements amènent une plus grande cohésion et une plus grande solidarité au sein de la population[5]. Le sport international est le plus haut calibre sportif possible, lors de ces évènements, les équipes et les athlètes sont les représentants culturels de leur nation, mais aussi les symboles de celle-ci[6]. Le sport est aussi une histoire qu’un groupe se raconte à lui-même qui reflète les valeurs de la communauté[7]. Le sport est intimement lié au nationalisme et à l’identité culturelle et peut servir d’un outil efficace pour inclure l’ensemble de la population autour de la nation. Il est plus facile d’adhérer à la nation à travers le sport qui est rassembleur et universel, qu’à travers une langue peu utilisée[8].
Soekarno, Pancasilla et Nationalisme
Lors de l’indépendance du pays, un défi est apparu : comment unir une population si différente autour de l’idée d’une nation indonésienne, lorsqu’un Javanais a plus de similitudes avec un Malaisien qu’avec un Papou ? Le nationalisme panindonésien était l’un des points importants du Pancasilla, l’idéologie créée par Soekarno, devenue par la suite l’idéologie officielle du pays. Soekarno voulait qu’il y ait un ensemble de révolution concentré sur une seule génération pour créer une Indonésie nouvelle. Le sport a été une partie intégrante de la révolution nationale. Sous le leadership de Soekarno, le sport organisé à l’échelle nationale a connu un développement important. C’est sous le régime du premier président indonésien que les fédérations sportives nationales ont pu se développer, mais aussi sous sa gouverne que l’Indonésie a pu être l’hôte des Jeux d’Asie de 1962. En Indonésie, le sport n’est pas vu comme étant seulement un loisir, il véhicule aussi une idéologique, c’est le concept de l’olahraga. Les compétions et les performances athlétiques sont perçues comme une manière d’exprimer et de développer le nationalisme. Soekarno désirait que les Indonésiens fassent du sport et concourent au plus haut niveau pas seulement pour leurs bénéfices personnels, mais pour la fierté de la nation[9].
Le sport a aussi été utilisé pour bâtir l’identité indonésienne. Tout d’abord, les sports issus de l’héritage colonial néerlandais ont été supprimés du cursus scolaire et des sports traditionnels comme le pencak silat, un art martial, ont connu une renaissance[10]. Néanmoins, ce sont surtout les sports occidentaux pratiqués lors des compétitions internationales qui ont été développés. Les sports occidentaux ont été mis de l’avant au profit des sports traditionnels, car ces derniers mettent davantage l’accent sur les identités tribales au lieu d’une identité panindonésienne. Des initiatives comme la semaine nationale du sport (Pekan Olahraga Nasional) permettent aux différentes populations de se côtoyer, bâtissant ainsi des ponts entre les différentes communautés[11].
L’importance du Badminton
Le badminton revêt une importance particulière en Indonésie. Bien que le Football soit populaire et apprécié à l’échelle locale, cet engouement ne se traduit pas en un support de l’équipe nationale : seul le badminton est reconnu comme le sport national de l’Indonésie[12]. Les victoires indonésiennes lors des championnats internationaux comme la coupe Thomas sont fêtées et crée un fort sentiment de fierté nationale. Cette fierté vient du fait que l’Indonésie domine le sport. Ainsi, lors des Olympiques de 1992, les trois médailles du simple ont été remportées par des athlètes indonésiens[13]. Les succès au badminton permettent aussi aux athlètes issus de la communauté chinoise, normalement exclue du mouvement nationaliste, d’être vus pleinement comme des Indonésiens. Le badminton fait la promotion de l’intégration nationale tout en rejetant les discriminations ethniques. Néanmoins, malgré la proéminence des athlètes d’origines chinoises dans le sport, le reste de la communauté demeure discriminée. Les victoires internationales de ces athlètes n’ont pas permis à la communauté chinoise d’être plus acceptée au sein de la société indonésienne[14].
[1] Adams 2002
[2] Lutan 2005
[3] Anderson 1991
[4] Hobbsbawn 1990
[5] Brubaker 2006
[6] Gleaves & Llewellyn 2014
[7] Geertz 1972
[8] Johnes 2000
[9] Lutan 2005
[10] ibid
[11] Adams 2002
[12] ibid
[13] International Olympic Commitee 2020
[14] Brown 2004
Bibliographie :
Adams, Iain. 2002. « Pancasila: Sport and the Building of Indonesia—Ambitions and Obstacles. » The International Journal of the History of Sport 19 (2–3): 295–318. https://doi.org/10.1080/714001759.
Anderson, Benedict R. O’G. 1991. Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism. Rev. and Extended ed. London ; New York: Verso.
Brown, Colin. 2004. “Sport, Politics and Ethnicity: Playing Badminton for Indonesia.” Biennial Conference of the Asian Studies Association of Australia 15th.
Brubaker, Rogers. 2006. Ethnicity without Groups. Cambridge, Mass.: Harvard Univ. Press.
Geertz, Clifford. 1972. “Deep Play: Notes on the Balinese Cockfight.” Daedalus 101 (1): 1–37.
Gleaves, John, and Matthew Llewellyn. 2014. “Ethics, Nationalism, and the Imagined Community: The Case Against Inter-National Sport.” Journal of the Philosophy of Sport 41 (1): 1–19. https://doi.org/10.1080/00948705.2013.785427.
Hobsbawm, E. J. 1990. Nations and Nationalism since 1780: Programme, Myth, Reality. The Wiles Lectures. Cambridge [England] ; New York: Cambridge University Press.
International Olympic Committe. 2020. “Barcelona 1992 Badminton—Results & Videos.” International Olympic Committee. November 25, 2020. https://www.olympic.org/barcelona-1992/badminton.
Johnes, Martin. 2000. “Eighty Minute Patriots? National Identity and Sport in Modern Wales.” The International Journal of the History of Sport 17 (4): 93–110. https://doi.org/10.1080/09523360008714148.
Lutan, Rusli. 2005. “Indonesia and the Asian Games: Sport, Nationalism and the ‘New Order.’” Sport in Society 8 (3): 414–24. https://doi.org/10.1080/17430430500249175.