par Cédrick Ménard
En 1986, Le Vietnam fait face à de graves problèmes. Son taux annuel d’inflation est surdimensionné, son retard technologique se creuse, les investissements étrangers sont quasi-inexistant et la famine cogne aux portes de ses régions rurales. Le gouvernement s’ouvre dès lors les yeux sur les résultats malencontreux de son insistance sur la planification centralisée. Il est d’autant plus concerné par ses répercussions sur le bien-être de la population en général. En décembre de la même année, il décide donc d’abolir son système de gestion bureaucratique centralisée et de se diriger vers une économie de marché multisectorielle[1].
Doi Moi
Cette restructuration de l’économie nommée « Doi Moi » en vietnamien, se plaçait au départ trois objectifs principaux, soit, le développement de l’agriculture, l’expansion de la production de biens de consommations, ainsi que l’expansion des réseaux d’échange et d’investissements étrangers. Pour y arriver, le gouvernement préconisait la plus grande utilisation possible de tous les leviers économiques disponibles. Il relâche donc les contraintes administratives sur les échanges nationaux et le secteur privé. De plus, il attribue le droit de compétition dans des secteurs clefs à ce dernier ainsi qu’aux corporations[2].
En grande partie, le Doi Moi est un succès. Une forte amélioration sur les aspects du développement urbain, du capital humain et de la réduction de la pauvreté est à souligner[3]. Ce développement est pourtant également synonyme d’une migration importante des milieux ruraux vers les milieux urbains. Alors que moins d’un quart des Vietnamiens vivaient en ville en 1999, environ 36% y résident en 2018[4]. Ces chiffres cachent cependant une partie de la réalité. Ils ne prennent pas en compte les migrants non enregistrés[5].
(Figure 1) : Global Vietnam Lawyers. https://gvlawyers.com.vn/thu-tuc-chuyen-ho-khau-danh-cho-nhieu-truong-hop-khac-nhau/?lang=viservice
Ho Khau
Les déplacements internes au Vietnam sont effectivement régis par le système « Ho Khau ». Le système s’organise par l’utilisation de petits livrets. Chaque maisonnée en possède un, et chaque individu résidant sous le même toit a le devoir de s’y inscrire. En quelque sorte, si l’on fait un parallèle, il s’agit d’une carte d’identité à l’échelle de la maisonnée, il est donc interdit pour un individu de se retrouver dans deux livrets différents à la fois. En y étant inscrit, on gagne accès, entre autres, aux droits de propriété, de mariage, d’être employé, de posséder une moto, etc. Il permet également l’accès aux soins de santé gratuits, à l’éducation publique et à l’aide sociale. Cependant, l’accès à ces bénéfices n’est permis que par les institutions de la communauté de résidence. Par exemple, il est impossible d’inscrire son enfant à l’école de la communauté voisine[6].
Durant la guerre et avant la restructuration Doi Moi, il s’agissait d’un outil indispensable pour le gouvernement central dans le cadre de l’économie planifiée. Il s’assurait par lui de la redistribution égalitaire des vivres et du contrôle de la densité de la population. Cependant, sous l’économie socialiste de marché actuelle, il s’agit d’une barrière importante à l’obtention de leurs droits par les migrants des zones urbaines[7].
Migration interne
Alors que la constitution vietnamienne octroie en théorie le droit de déplacement sur le territoire à toute sa population, l’inscription au Ho Khau crée en réalité des barrières importantes à celui-ci. Les migrations spontanées sans avis préalable aux autorités pour l’obtention d’un permis temporaire sont effectivement fortement découragées par le gouvernement. Il croit qu’une croissance urbaine trop rapide conduirait à une surcharge de ses services sociaux et de la capacité d’emploi en ville. Ainsi, une partie importante de la population disparait des registres et perd du coup l’accès à ses droits et aux services sociaux[8].
Les migrants non enregistrés se retrouvent exposés à plusieurs vulnérabilités sur le plan institutionnel et à plusieurs risques. La grande majorité des migrants est incapable d’économiser. Ils sont soumis à des prix enflés en ce qui concerne les factures d’électricité, d’eau, etc., justifiés par leur statut illégal. Leur droit à la propriété étant révoqué, la plupart des migrants se retrouve dans des établissements loués ne respectant pas les normes du bâtiment du pays. Ils sont discriminés par les communautés locales et vues comme une nuisance au bien-être et à la sécurité. Plusieurs sont employés dans des domaines dangereux et une partie d’entre eux est victime d’une violence constante de la part de leur employeur. Cependant, n’ayant pas accès aux programmes d’aides puisqu’à l’extérieur de leur communauté, ils sont obligés de vivre la misère en silence[9].
Réformes récentes
Depuis 2006, des réformes aux systèmes ont été instaurées par le gouvernement afin de tenter de régler la situation. Principalement, il n’est plus nécessaire d’obtenir la permission des autorités locales pour se déplacer. L’accès aux permis de résidences temporaires est également facilité. Pourtant, le gouvernement estime encore en 2015 le nombre de migrants non enregistrés à quelques millions. Ceci est principalement dû au fait qu’obtenir la permission de s’enregistrer de façon permanente dans la communauté d’accueil reste encore ardu. Les permis de résidences temporaires ont une durée maximale de 12 mois. Il faut pourtant résider de façon permanente un minimum de deux ans dans la communauté d’accueil avant de pouvoir accéder à l’enregistrement permanent. Les migrants font donc nécessairement face à un statut illégal pendant une certaine période[10].
L’orientation socialiste du gouvernement vietnamien devrait être synonyme du développement équitable de son économie pour l’ensemble de sa population à chaque étape du développement[11]. L’obtention sans discrimination de ces droits par la population migrante devrait être au centre des objectifs socioéconomiques du tigre asiatique.
BIBLIOGRAPHIE
Le, B. D., Tran, G. L., Nguyen, T. P. T. (2011, janvier). Social protection for rural-urban migrants in Vietnam: current situation, challenges and opportunities. Centre for Social Protection. https://www.ids.ac.uk/download.php?file=files/dmfile/ResearchReport08REVISE.pdf
The Australian National University. (2003). Viet Nam: a transition tiger? The introduction of Doi Moi. http://press-files.anu.edu.au/downloads/press/p16721/pdf/ch0611.pdf
The World Bank. (2018). Urban population (% of total population) – Vietnam. https://data.worldbank.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?end=1999&locations=VN&start=1960&view=chart
The World Bank. (2019, octobre). The World Bank In Vietnam. https://www.worldbank.org/en/country/vietnam/overview#3
World Bank Group., Vietnam Academy of Social Sciences. (s. d.). Reforming Vietnam’s Household Registration System. pubdocs.worldbank.org/en/597131465814757714/Vietnam-Household-Policy-note-EN-20160610.pdf
[1] The Australian National University. (2003). Viet Nam: a transition tiger? The introduction of Doi Moi. http://press-files.anu.edu.au/downloads/press/p16721/pdf/ch0611.pdf
[2] Ibid.
[3] The World Bank. (2019, octobre). The World Bank In Vietnam. https://www.worldbank.org/en/country/vietnam/overview#3
[4] The World Bank. (2018). Urban population (% of total population) – Vietnam. https://data.worldbank.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?end=1999&locations=VN&start=1960&view=chart
[5] Le, B. D., Tran, G. L., Nguyen, T. P. T. (2011, janvier). Social protection for rural-urban migrants in Vietnam: current situation, challenges and opportunities. Centre for Social Protection. https://www.ids.ac.uk/download.php?file=files/dmfile/ResearchReport08REVISE.pdf
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] World Bank Group., Vietnam Academy of Social Sciences. (s. d.). Reforming Vietnam’s Household Registration System. pubdocs.worldbank.org/en/597131465814757714/Vietnam-Household-Policy-note-EN-20160610.pdf
[11] Le, B. D., Tran, G. L., Nguyen, T. P. T. Op. cit.