Par Noémie Maurel
Gerakan Aceh Merdeka ou GAM, est un mouvement scissionniste et nationaliste, demandant l’indépendance de ce qui est actuellement la province Indonésienne d’Aceh. Émergeant en 1976 [1], c’est en 1999 que la lutte indépendantiste connait son point culminant, opposant le GAM et l’armée indonésienne ou la TNI (Tentara Nasional Indonesia). Le conflit prend alors des proportions importantes, menaçant sévèrement l’intégrité territoriale indonésienne. Aujourd’hui, le conflit est au point mort et le GAM s’est reconverti en parti politique, le Parti Aceh (PA) [2]. Pourtant, l’unité territoriale et identitaire indonésienne sont toujours menacées.
Le poids de l’histoire et le GAM :
Située au nord de Sumatra, près du détroit de Malacca, la ville d’Aceh, ou sultanat d’Aceh, a historiquement plus de liens culturels, économiques et politiques avec la péninsule Malaise et le monde arabe que le reste de l’Indonésie [3.1]. Ayant connu l’indépendance pendant au moins quatre siècles avant l’arrivée des Néerlandais [3.1], les acehnais n’ont pu accepter cette soumission à une autorité qui les relirait à une entité plus grande, les Indes Orientales néerlandaises, au sein de laquelle le sultanat devait se réduire à n’être qu’une simple province où il ne trouverait pas sa place. De plus, l’État d’Aceh est un élément central à l’identité Acehnaise contrairement à d’autres identités indonésiennes [3.1]. Ainsi, les rébellions contre cette autorité fédératrice commencèrent en 1873 et ne prirent fin qu’en 1914 [3.1]. De cette résistance émergea un sentiment de fierté qui fut une des forces motrices des mouvements indépendantistes. Teungku Hasan di Tiro, fondateur du GAM réussit à mobiliser un nombre assez important de partisans en basant ses écrits sur l’histoire oubliée d’un État de Aceh indépendant [3.2]. Cette prise de conscience historique est à la base du mouvement GAM et permet de justifier l’idée selon laquelle Aceh aurait été annexé par les Néerlandais puis remise aux Javanais pour la création de l’État indonésien [1], ce qui reviendrait à dire qu’Aceh est encore sous colonisation. La souveraineté de ce qui était le sultanat d’Aceh aurait donc été violée [1]. C’est sur cette base-là qu’Aceh obtient son statut de « région spéciale » lui conférant plus d’autonomie vis-à-vis du gouvernement central lors des négociations du processus de paix de 2005 (Helsinki Memorandum of Understanding)[4.1]. Toutefois, le gouvernement indonésien tente de maintenir le mythe d’une l’unité indonésienne en niant le narratif acehnais notamment à travers les manuels scolaires. Selon lui, l’histoire d’Aceh est indifférente de celle du reste de l’Indonésie [5]. Leigh explique clairement que « l’histoire d’Aceh s’inscrit en creux dans l’histoire nationale : si cette union est assumée, la description de l’unité indonésienne sera devenue réalité ; est-elle contestée, l’histoire acehnaise développera sa propre trajectoire.» [5.1].
Islam et statut d’ « autonomie spéciale » :
Bien que l’octroie de statut d’ « autonomie spéciale » ait permis en partie de calmer les tensions et de mettre fin au conflit, celle-ci a permis au nouveau gouvernement acehnais de prendre des mesures qui minent l’unité indonésienne. Premièrement, le scepticisme et la mise en œuvre incomplète de cette réforme ont suscité un sentiment de méfiance de la part de la population acehnaise vis-à-vis du gouvernement [6; 4], minant sa crédibilité. D’autant plus que les violences militaires envers les membres du GAM ont persisté après le processus de paix [7]. Le décret permettant aux acehnais de toucher 70% des recettes émises par les ressources de la région [4.2 ], certains chercheurs pensent que cela pourrait fragiliser l’hégémonie du centre (Jakarta) et donc miner l’unité de la nation [8.1].
Par ailleurs, la mutation du GAM en un parti politique lui a permis d’instaurer des lois religieuses et culturelles au niveau régional, permettant l’application de la charia [4]. Même si cet élément religieux peut paraître comme un point commun au reste de l’Indonésie, il est en fait un point de divergence. En effet, la constitution ne promeut pas de rattachement religieux particulier pour l’État. D’autant plus que l’Indonésie se voit comme un pays ayant des valeurs démocratiques et libérales [4.3], entrant en contradiction avec les principes de la charia. Le PA en étant conscient joue de cette différence pour appuyer le fait qu’Aceh est différente du reste de l’Indonésie [1.2]. De Féo explique que « la charia symbolise l’autonomie des acehnais avant d’être véritablement une loi répressive » [9.1]. Certains dirigeants locaux voient la charia comme une possibilité de renforcer leur pouvoir [10]. De ce fait, certaines minorités religieuses sont discriminées, leur statut de non musulman leur donnant un statut de citoyen de « second rang » [10.1]. À l’échelle nationale, l’application de la charia à Aceh eut un effet d’entrainement, plusieurs autres régions demandant à avoir la même opportunité [10]. Par conséquent, la population régionale mais aussi nationale se retrouve polarisée entre les partisans d’un islam « radical » et ceux pour un islam plus tolérant. Pour finir, la mise au pouvoir du Parti Aceh eut pour effet de renforcer les conflits sociaux et l’antagonisme interne [2.1]. La province étant constituée de plusieurs minorités ethniques (Alas, Gayo, Singkil et plus), celles-ci se sont vues être victimes de stratification ethnique et de discrimination notamment sur une base linguistique [2]. Toute personne n’étant pas acehnaise se doit de parler Acehnais si elle veut avoir accès aux services gouvernementaux, même si celle-ci parle le bahasa Indonesia [2].
Nombre de mots : 866
[3.1] (Reid 2004, 301)
[3.2] (Reid 2004, 307)
[4.1] (Geri 2007, 102)
[5.1](Leigh 2005, 136).
[4.2 ](Geri 2007, 107)
[8.1] (Emmerson 1983, 1233)
[4.3](Geri 2007, 107)
[1.2] (Aspinall 2007, 261)
[9.1 ](De Féo 2008, 58)
[10.1] (Fanani 2011, 31)
[2.1] (Ansori 2012, 32)
Bibliographie :
[1] Aspinall, Edward. 2007. « From Islamism to nationalism in Aceh, Indonesia ». Nations and Nationalism, vol 13, (no 2) : 245-263.
[2] Ansori, Mohammad Hasan. 2012. « From Insurgency to Bureaucracy: Free Aceh Movement, Aceh Party and the New Face of Conflict ». Stability: International Journal of Security and Development, vol 1, (no 1) : 31-44.
[3] Reid, Anthony. 2004. « War, peace and the burden of history in Aceh ». Asian Ethnicity, vol 5, (no 3) : 301-314.
[4] Geri, Maurizio. 2007. The treatment of ethnic minorities in democratizing muslim countries : the securitization of Kurds in Turkey versus the autonomization of Acehnese in Indonesia. Thèse de doctorat. Département des Études internationales. Old Dominion University.
[5] Leigh, Barbara. 2005. « Aceh Indonésienne : la seconde conquête ». Outre-Terre, vol 3, (no 12) : 129-147.
[6] Ross, Michael L. 2005. « Ressources and Rebellion in Aceh, Indonesia ». Dans Collier, Paul et Nicholas Sambanis, Understanding Civil War, Evidence and Analysis : 35-59.
[7] Follorou, Jacques. 2009. « Indonésie : après-guerre fragile entre l’armée et les ex-séparatistes d’Aceh ». Le Monde, [En ligne], le 14/04/20, URL : https://www.lemonde.fr/asie- pacifique/article/2009/04/16/apres-guerre-fragile-entre-l-armee-et-les-ex-separatistes-d- aceh-en-indonesie_1181495_3216.html
[8] Emmerson, Donald K. 1983. “Understanding the New Order: Bureaucratic Pluralism in Indonesia.” Asian Survey, vol 23, (no 11) : 1220–1241.
[9] De Féo, Agnès. 2008. « Aceh, une charia de complaisance ». Les Cahiers de l’Orient, vol 4, (no 92) : 41-58.
[10 ] Fanani, Ahmad Fuad. 2011. « Shariah bylaws in Indonesia and their implications for religious minorities ». Journal of Indonesian Islam, vol 5, (no 1) : 17-34.