Le Timor et l’Australie s’entendent enfin sur les délimitations de leurs frontières maritimes.
En mars 2018, le Timor et l’Australie ratifient le Timor Sea Maritime Boundaries Treaty*, un accord qui détermine la frontière maritime entre les deux pays, ainsi que le partage des revenus d’un gisement pétrolier près de celle-ci (Bankes 2018:1). À première vue, il s’agit d’un traité parmi tant d’autres, mais c’est plutôt la rétrocession au Timor de territoires volés par les Australiens. Afin de bien saisir l’ampleur de cette injustice, il faut comprendre le cheminement qui a conduit à cet ultime traité.
Le «Timor Gap treaty»
Le Timor n’est un pays reconnu que depuis 2002. Autrefois, le territoire était sous domination indonésienne et avant 1976, portugaise. Le Timor Gap Treaty (TGT) a été ratifié en 1989 entre les Indonésiens et les Australiens (Bankes 2018:1). Le traité modifie les frontières maritimes à l’avantage de l’Australie afin que ce pays ait accès à plusieurs gisements de pétrole. Selon l’article 15 de l’«United Nations Convention on the Law of the Sea» (UNCLOS), quand deux pays sont chacun d’un côté de la mer, il faut tracer une ligne au milieu du détroit afin d’avoir des frontières équidistantes . L’Australie considère qu’au lieu de mesurer les frontières depuis ses rives, il faut partir du plateau continental (Strating 2016).
L’argument du plateau continental est une arnaque évidente. Cela n’empêche pas l’Indonésie de signer le TGT permettant à l’Australie d’allonger sa zone économique exclusive** (ZEE). Il faut savoir que l’Indonésie occupait l’est de l’île Timor illégalement et que théoriquement le Portugal était encore maître chez lui (Durand 2008:112). On peut se demander si l’Indonésie a accepté ces termes dans le but d’asseoir sa souveraineté sur le Timor-Leste (Durand 2008:112). Les autres traités ne sont que des tentatives de la part du Timor de remettre en place des frontières qui correspondent aux normes du droit international afin de capitaliser sur l’or noir qui correspond à 3/4 du PIB (Durand 2011:81).
Le partage des zones
Voici comment le partage est effectué:
les profits de la zone A sont partagés à parts égales;
la zone B (Australienne) donne 16% des dividendes à l’Indonésie;
la zone C (Indonésienne) donne 10% des dividendes à l’Australie.
(Département des affaires étrangères de l’Australie 1989)
Carte des zones du Timor Gap Treaty, Peace/
Le MOU et le TST
Au moment de l’indépendance (2002), le Timor aurait pu renégocier un accord juste pour redéfinir la ZEE avec l’Australie. En effet, le TGT est signé entre l’Australie et l’Indonésie et non entre le Timor et l’Australie, ce qui veut dire qu’après la victoire du oui au référendum, le TGT deviendrait caduc (Bankes 2018:5). Alors pourquoi le Timor-Leste n’est-il pas maître chez lui?
Avant de devenir autonome, l’ONU mène une mission administrative ayant comme objectif de préparer le futur État à diriger sur des bases solides. L’United Nations Transitional Administration in East Timor (UNTAET) engage des discussions avec l’Australie dans l’intérêt des Timorais afin de prévenir un conflit et de se financer à l’aide de revenus pétroliers. L’UNTAET et l’Australie signent donc le «Memorum of understanding» (MOU) en 2000 afin de permettre au Timor-Leste de profiter de l’argent des gisements (Bankes 2018:5). Le MOU est presque identique au TGT : substituez Indonésie par Timor-Leste et c’est tout. Cet accord sera remplacé en 2002, le jour même de l’indépendance du Timor, par le Timor Sea Treaty (TST).
Le TST est un avancement incroyable en faveur du Timor: les zones B et C ne sont plus à partager et la zone A verse 90% des profits au Timor. Toutefois, le Greater Sunrise, un gisement de 300 millions de barils de pétrole et 233 milliards de mètres cubes de gaz naturel (Durand 2008:144), ne verse que 20% de ses profits au Timor-Leste. Il s’agit d’un partage extrêmement désavantageux d’autant plus que le Greater Sunrise est plus proche du Timor que de l’Australie.
La contestation et le CMATS
Bankes (2018:6) affirme que le TST était un traité provisoire assujetti à des négociations continues. Les deux signataires n’avaient pas le choix de s’empresser : il fallait que l’exploitation des fonds marins continue. Il est important de noter que contrairement à l’Australie, le Timor ne pouvait pas se permettre économiquement de laisser traîner les négociations sans exploitation. Au lieu de modifier le TST, les deux pays s’entendent sur le Certain Maritime Arrangements in the Timor Sea (CMATS) en 2006.
Le CMATS est un traité qui se superpose TST (Département des affaires étrangères de l’Australie; 2001), venant simplement modifier le partage du Greater Sunrise à 50% pour les deux parties, permettant au Timor d’appliquer ses lois jusqu’à la frontière équidistante et ajoutant un moratoire de 50 ans sur l’entente (Bankes 2018:6).
Le Timor, insatisfait de cet accord depuis le début, utilise une disposition de l’UNCLOS contraignant l’Australie à participer de bonne foi aux discussions (Bankes 2018:8). C’est suite à ces négociations que le «Timor Sea Maritime Boundaries Treaty» est signé en mars 2018 (Bankes 2018:1).
Timor Sea Maritime Boundaries Treaty
Le Timor Sea Maritime Boundaries Treaty est un accomplissement incroyable du petit Timor qui a su se battre dans les règles pour ses droits. Le Greater Sunrise est maintenant divisé à 80:20 ou à 90:10 en faveur du Timor-Leste (Bankes 2018:13). Le pays qui raffinera le pétrole sur son territoire aura le minimum qu’on lui accorde (Bankes). Il est important de noter que le Greater Sunrise sort un peu des eaux territoriales du Timor et que la partie australienne semble correspondre à environ 20% du gisement.
Le Timor est maintenant pressé de s’entendre sur les derniers détails de l’accord avec l’Australie. En effet, les gisements qui sont en cours d’utilisation seront vides d’ici 2022-2025. Sachant que 90% du budget du gouvernement timorais provient principalement d’un fond pétrolier et que le pays est en développement, ils n’ont d’autres options que d’aller de l’avant (Coface février 2020).
* Je n’ai pas trouvé d’acronyme déjà existant pour ce traité.
** La Zone économique exclusive est une extension des frontières maritimes de 200 miles nautiques d’un État, sauf si deux États se font face. Il faut alors tracer une ligne médiane à la place. À l’intérieur des limitations, un État a le monopole du développement économique que ce soit pour le forage, la pêche ou encore la construction sur la mer. Toutefois tous les pavillons peuvent circuler librement dans cette zone. Il ne faut pas confondre la ZEE avec les eaux territoriales qui permettent entres autres de choisir qui peut entrer dans cet espace.
Bibliographie
Bankes, N. (2018). Settling the maritime boundaries between Timor-Leste and Australia in the Timor Sea. The Journal of World Energy Law & Business. doi:10.1093/jwelb/jwy021
Coface. (Février 2020). Études économiques Timor Oriental. https://www.coface.ca/fr/etudes-economiques/Timor-oriental
Durand F. (2008). Timor-Leste en quêtes de repères. Perspectives économico politiques et intégration régionale 1999-2050. Toulouse: Éditions Arkuiris.
Durand F. (2011). Timor-Leste Premier État du 3e millénaire. Paris: Éditions Belin.
Département des affaires étrangères de l’Australie. (1989). Treaty between Australia and the Republic of Indonesia on the Zone of Cooperation in an Area between the Indonesian Province of East Timor and Northern Australia [Timor Gap Treaty]. Australian Government Publishing Service. http://www.austlii.edu.au/cgi-bin/sinodisp/au/other/dfat/treaties/ATS/1991/9.html
Département des affaires étrangères de l’Australie. (2006). Australia-East Timor Certain Maritime Arrangements Treaty. Australian Government Publishing Service. http://www.austlii.edu.au/au/other/dfat/treaties/2007/12.html
Organisation des Nations unies. (1994). Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
Strating. R (2016). What you need to know about Timor-Leste and Australia’s sea border fight. The conversation. https://theconversation.com/what-you-need-to-know-about-timor-leste-and-australias-sea-border-fight-67377