par Caroline Borg
En Indonésie, une légende raconte que la magie noire des dunkun indonésien, rendait les pirates invisibles et que les balles ne pourraient les toucher grâce au sort lancé par un sorcier venu de Java (Frécon, 2009, 21). La présence de pirates dans l’archipel est historique, en raison de la création mystique autour du métier de pirate et de par l’importance du rôle que joueront les pirates dans la construction de l’Etat. Les années 90 voient resurgir ces bandits des mers en même temps que les difficultés économique que connait le pays, notamment la crise économique qui sévit en 1997.
L’Indonésie, constituée de 17 508 îles dont 6 000 seraient inhabitées, servirait de cachette propice pour les pirates. La localisation de pelahuban tikus c’est-à-dire de petits ports de contrebande abritant les pirates, émergent sur l’île de Batam ou encore dans l’archipel des Riau (Frécon, 2010,1). En effet, ces petits villages de pêcheurs situés au sein des mangroves et des marais, sont géographiquement isolés et donc ne bénéficient presque pas ou très peu des retombées de la mondialisation et de l’explosion du commerce maritime. Au contraire, l’arrivée massive de bateaux de fret nuit aux pêcheurs locaux. D’une part, le passage constant de navires fait fuir les poissons présents dans les détroits ce qui détruit la part de profit reposant sur les reventes de la pêche. D’autre part, les progrès en matière de transport ne concerne pas tout le monde, ainsi les pêcheurs continuent de naviguer sur leurs embarcations traditionnelles et doivent côtoyer les immenses navires de transports, ce qui rend pour eux les déplacements extrêmement dangereux (Frécon, 2009, 29). Les pirates sont ainsi les victimes du miracle asiatique et du triangle de croissance SIJORI (Singapour-Johan-Riau). Signé en 1980, le triangle de croissance désigne le protocole qui vise à renforcer et faciliter les relations commerciales entre les 3 pays en se basant sur les complémentarités de chacun (Revelli, 2016). L’Indonésie bénéficiant d’une main-d’œuvre non qualifiée, de technologies rustiques et d’une quantité inexploitée de terres et de ressources permet de répondre aux demandes liées au développement. Néanmoins, les retombés de la croissance vont se délimiter aux îles de Bintan et de Batam, laissant de côté le reste de l’archipel indonésien. Face aux promesses de l’essor économique, de nombreux habitants vont migrer mais rapidement l’offre de travail va dépasser la demande et laisser place à une grande quantité de chômeurs. Ainsi, en trois décennies, la population de Batam est passée de quelques dizaines de milliers à deux millions d’habitants (Revelli, 2016). Face à ces indicateurs négatifs, les pêcheurs se tournent vers le métier de pirate afin de nourrir leur famille. A travers l’organisation de réseaux d’informations diffusées par des parrains, les habitants des petites îles vont avoir accès à des « contrats » et s’organiser pour commettre l’attaques des bateaux. La croissance a donné place aux oubliés du développement, qui pour subsister se tournent vers l’illégalité et profitent des failles du système pour commettre leurs actes. Malgré les peines encourues, les pirates même si ils sont emprisonnés lorsqu’ils sont attrapés au cours d’un vol, purgent rarement la totalité de leurs peines. La caution est souvent payée par leur parrain afin qu’ils remplissent de nouveaux contrats (Frécon, 2010, 8).
Source : Agnès Stienne, Le triangle de croissance, 2004
Néanmoins, la piraterie moderne s’inscrit dans une réinvention des pratiques ancestrales et la présence de pavillons noirs fait partie de l’identité indonésienne. En effet, l’ethnie des Bugis était connue pour être experte dans la connaissance des espaces maritimes asiatiques. (Coutansais, 2008, 10). Ainsi, dans la tradition, le père transmettait à son fils l’art de la pêche et de l’abordage. A l’époque, la conception du métier de pirate était honorable. Dès le IIIe siècle, les marins indiens dénonçaient le droit de passage qu’ils devaient payer aux pirates indonésiens (Flagel, 2013, 24). La présence de pirates le long des routes commerciales constitue un système parallèle sur le plan économique et militaire, sur lesquels l’Etat va s’appuyer afin de subsister et d’asseoir son pouvoir. En échange du partage des droits de passages imposés par les pirates, les pouvoirs locaux contribuent à l’armement et à la mise en place d’entrepôt (Flagel, 2013, 23). C’est avec la colonisation européenne, que débute la criminalisation des actes de piraterie qui mène progressivement à une perte totale du contrôle du commerce de contrebande des pirates.
Source : : Questions internationales: Mondialisation et criminalité (n° 40 novembre-décembre 2009)
Les pirates sont présents depuis toujours au sein de l’archipel indonésien, le métier de pirate étant inscrit au sein de la culture comme une tradition économique. Mais face au développement que connait l’Asie du Sud-Est dans les années 90, la piraterie s’adapte à la modernisation et s’organise afin de subsister et de répondre aux besoins.
Pour aller plus loin :
Vidéo : https://www.ina.fr/video/2789298001020
Bibliographie
Coutansais, Cyrille P. 2008. « La piraterie moderne, nouvel avatar de la mondialisation ». Revue internationale et stratégique, vol. 72 ( no. 4) : 39-50.
Flagel, Amélie-Anne. 2013. Le renouveau de la piraterie internationale. Laboratoire de Recherche Juridiques et Economiques. En ligne : http://portail-documentaire.univ-nc.nc/files/public/bu/theses_unc/TheseAmelieAnneFlagel2013.pdf
Frécon, Eric. 2009. « La dimension terrestre des pirateries somaliennes et indonésiennes ». Hérodote, vol. 134 (no. 3) : 80-106.
Frécon, Eric. 2010. « Rencontre avec Sastra, pirate indonésien ». Outre-Terre, vol. 25-26 (no. 2) : 125-130.
Revelli, Philippe. 2016. « Triangle de croissance ou triangle des inégalités ? ». Le Monde diplomatique, juillet 2016. En ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/2016/07/REVELLI/55958
Stienne, Agnès. 2004. « Singapour en Pointe ». Le monde diplomatique. En ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/Singapour-2016-07