par Caroline Borg
Lorsqu’on nous parle de pirates, nous avons tous en tête l’image de Jack Sparrow sillonnant les mers à bord du Black Pearl. Cependant, certaines histoires sont inspirées de faits réels et l’existence des pirates sur les côtes de la Malaisie constitue encore aujourd’hui un problème important en Asie du Sud-Est. Carrefour du commerce maritime mondial, le détroit de Malacca est la cible d’attaques des pirates malais et indonésiens depuis les années 1990, date à laquelle les forces armées américaines et soviétiques quittent l’espace maritime asiatique laissant ainsi la péninsule malaise sans patrouille (Frécon, 2009, 2). Zone de transit économique mais aussi terrain de rivalités étatiques, ce détroit est un point tactique de la région malaise.
Source :http://fr.fanpop.com/clubs/pirates-of-the-caribbean/images/31085953/title/jack-sparrow-wallpaper-photo
Situé entre la presqu’île de Malacca (Malaisie) et le détroit de Sumatra (Indonésie), le détroit de Malacca est l’un des couloirs maritimes les plus fréquentés au monde. La présence des pirates dans cette zone remonte au début des années 1990. En Malaisie, la piraterie fait partie de la culture, c’est un métier, une activité reconnue qui ne se fait pas toujours en marge de la société, pouvant même être reconnu comme un métier honorable (Coordonner, 2001, 5). Ce n’est qu’à une époque plus moderne, que les actes de piraterie vont être criminalisés et marginalisés. Néanmoins, la présence de ces bandits des mers reste d’actualité malgré leurs marginalisation au fil du temps. Le détroit de Malacca devient rapidement l’une des routes navigables incontournables, car c’est le chemin le plus court entre l’océan Indien et l’océan Pacifique (Fau, 2013, 1). De part sa position géographique inédite, il permet de relier l’axe commercial est-ouest. De plus, sa largeur n’excédant pas les 74 kms, le détroit est une cible de choix pour les attaques en haute mer car il constitue un couloir peu profond et facilement accessible. La Convention de Montego Bay (1982) a permis de limiter les actes de piraterie en Asie notamment en définissant de manière universelle la piraterie (Coordonner, 2001, 7). En 2000, sur les 469 attaques ou tentatives d’attaque de navire répertoriées dans le monde, 242 avaient eu lieu en Asie du Sud Est, dont 75 dans le détroit de Malacca (Menindes, 2010, *50).
Carte : Le détroit de Malacca
Source : Koh Keng Lian, Straits in International Navigation. Contemporary Issues, London, Oceana Publications Inc., 1982. Tiré des cartes du ministère de la Marine de Grande-Bretagne.
Avec l’essor du commerce maritime et le transport de gigantesques conteneurs, l’Asie compte parmi les principaux ports mondiaux et 13,5% des conteneurs mondiaux y transitent, en 2008 (Fau, 2013, 4). La montée des dragons d’Asie de l’Est et des tigres d’Asie du Sud-Est, place le port de Malacca au-devant de la scène économique internationale.
Ce passage constitue la porte d’entrée des exportations mondiales vers la Chine et le Japon, notamment en ce qui attrait aux resources naturelles. Nathalie Fau, parle « d’un corridor énergétique », car plus de deux tiers des flux de pétrole et de gaz y transitent, ce qui est trois fois plus que ce qui passe par le canal de Suez (Fau, 2013, 5). C’est le point de passage maritime le plus rapide qui relie les pays asiatiques aux pays occidentaux. Zone vitale pour le Japon, le port de Malacca accueille 90% du pétrole issu du Moyen-Orient et 50% des ressources énergétiques consommées par le Japon (Pflimlin, 2012, 5). Le passage stratégique du pétrole et des ressources fait l’objet d’attaques de pirates depuis 1990. De plus, la Chine est également dépendante des approvisionnements maritimes dont 85 % transitent par le détroit de Malacca (Amelot, 2010, 6).
Le détroit de Malacca est propice aux attaques : profitant d’un arrêt obligatoire au port, les pirates montent à bord, de nuit, et s’emparent facilement des biens et ressources situés sur des navires. Ils profitent ensuite d’un réseau de revente souterrain notamment avec le marché chinois afin d’écouler leur butin. Par ailleurs, le vide juridique laissée par la Convention de Montego Bay en ce qui concerne les trois eaux territoriales qui se jouxtent (Indonésie- Malaisie- Singapour) permet la fuite des pirates qui profitent du manque de cohésion des différentes autorités et de la zone grise juridique concernant la délimitation des frontières communes (Menindes, 2010, Partie 2-A) Par exemple, en 2004, une collaboration tripartite (Malaisie, Singapour, Indonésie) a permis la mise en place et la coordination de patrouilles conjointes à travers l’opération Malsindo qui a permis de faire baisser le nombre d’attaques (Pflimlin, 2012, 6). Les attaques des pirates modernes évoluent vers plus de violence et soulève la question d’un terrorisme maritime qui inquiète les Etats-Unis, qui considère le sud-est asiatique comme le second foyer du terrorisme surtout à partir de 2001 (Frécon et Grant, 2004, 12-13).
Les actes de piraterie relèvent donc d’enjeux stratégiques plus complexes touchant les pays connexes et s’étendant au-delà de leurs frontières. Suite aux attaques du 11 septembre 2001, les Etats-Unis réitèrent leur engagement en Asie du Sud-Est afin de contrer la montée du radicalisme religieux dans cette zone notamment avec l’apparition du groupe terroriste Jemaah Islamisa (Frécon et Grant, 2004, 13). De plus, la dépendance de la Chine vis-à-vis du détroit de Malacca concernant ses exportations européennes l’a poussé d’une part à trouver de nouvelles alternatives mais surtout à se rapprocher des Etats riverains de Malacca notamment par le biais de financement d’aides de protection à la navigation et de coopération maritime. Cependant, la présence américaine en Malaisie renforce la vulnérabilité chinoise (Frécon, 2009, 14). Enfin, l’Inde s’intéresse depuis peu à la Malaisie. En effet, soutenu par les Etats Unis, elle entend jouer un rôle militaire plus important dans la péninsule asiatique à travers le concept du « collier de perles » qui vise à investir massivement dans les ports en Chine, au Bangladesh, de la Birmanie ou encore du Pakistan afin de constituer progressivement « un collier » qui encerclerait la Malaisie et permettrait de contrôler les flux du détroit de Malacca (Menindes, 2010, Partie 1, A-b).
Source : https://asialyst.com/fr/2016/05/31/l-asie-royaume-de-la-piraterie/
Les actes de piraterie en Asie du Sud-Est reposent donc sur l’exploitation des failles de l’espace géopolitique asiatique. La porte océane du détroit de Malacca nécessite une coopération entre les Etats voisins dû à la dépendance commerciale qu’ils entretiennent. Mais cette coopération comporte des limites, car au-delà de l’intérêt mutuel qu’ont les pays à maintenir la sécurité au sein du détroit, des rivalités émergent afin de s’accaparer l’ensemble des flux commerciaux, en modernisant par exemple leurs infrastructures portuaires.
Bibliographie
Amelot, Laurent. 2010. « Le dilemme de Malacca ». Outre-Terre, vol 25-26 (no. 2) : 249-271.
Coordonner, Isabelle. 2001. « La piraterie en Asie du Sud-Est ». Revue internationale et stratégique, vol 43 (no.3) : 48-54.
Fau, Nathalie. 2013. « Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca ». Géoéconomie, vol 67 (no. 4) 123-140.
Pflimlin, Édouard. 2012. « Le Japon et la lutte contre la piraterie internationale : golfe d’Aden et détroits en Asie du Sud-Est ». Monde chinois, vol 29 ( no. 1) : 102-108.
Frécon, Eric. 2009. « Du détroit de Malacca jusqu’à sa périphérie. Le pirate des villes et le pirate des champs face au retour de l’Etat indonésien ». EchoGéo.
Frécon, Eric et Henri Grant. 2004. « Malacca : les pirates du détroit ». Outre-Terre, vol 6 (no1) : 209-215.
Menindes, Arnaud. 2010. Le détroit de Malacca, enjeu asiatique et mondial majeur. Mémoire [En ligne] : https://www.memoireonline.com/04/11/4452/Le-detroit-de-Malacca-enjeu-asiatique-et-mondial-majeur.html