L’évolution de la politique étrangère indonésienne : une politique « livre et active »

Par Camila Valencia

Selon Johanna Massé, docteure de l’Université de Laval, « l’Indonésie a longtemps été considérée comme un pays “négligeable” par le reste du monde »[1]. En raison du niveau de pauvreté de l’archipel encore alarmant il y a quelques années et le caractère dictatorial du régime dans les années 1960, la place de l’Indonésie sur la scène internationale était considérablement réduite[2]. Or, au cours des dernières décennies, le rôle de l’Indonésie au sein du système international a grandement évolué.

Aujourd’hui, grâce à son pouvoir économique, son dynamisme démographique, sa consolidation interne et sa politique étrangère assez originale, l’Indonésie est considérée comme un acteur incontournable au niveau régional et international. La montée en puissance et l’affirmation de l’Indonésie au sein du système international sont non seulement le produit de transformations internes et des phénomènes internationaux, mais le résultat d’une évolution et une continuité conceptuelle de la politique étrangère du pays[3].

Naissance d’une tradition de politique étrangère

1. Mohammad Hatta, premier vice-président de la République d’Indonésie.

Le 2 septembre 1948, Mohammad Hatta, premier ministre de l’Indonésie à l’aube de son indépendance, prononça les concepts fondateurs de la politique étrangère indonésienne. Ce dernier proclama que l’Indonésie devait s’illustrer par une politique étrangère « indépendante et active » (bebas dan aktif). Elle devait « agir de manière autonome et contribuer à orienter le cours des affaires du monde sans suivre l’influence des grandes puissances »[4].

Ainsi, durant les premières années de son indépendance, l’Indonésie, alors dirigée par le leader indépendantiste Sukarno, resta impliquée sur la scène internationale. Si cette implication peut être mitigée en raison du caractère radical de la politique internationale indonésienne qui finit par isoler diplomatiquement le pays dans les années 1960, l’Indonésie s’engagea dans les années 1950 à jouer un rôle central dans le mouvement des non-alignés[5].

Cependant, il convient de noter que si la vision internationale d’Hatta et de Sukarno marque les débuts de la diplomatie indonésienne, la politique étrangère « indépendante et active » promue par ces deux leaders politiques connait des transformations après la chute du régime de Sukarno.

Repliée sur elle-même…

Suharto, militaire et président de la République indonésienne (1967-1998)

L’arrivée au pouvoir du général Suharto, à la suite du coup d’État de 1965, bascule les orientations de l’action internationale indonésienne. Si durant cette période d’autoritarisme, la lutte contre le colonialisme propre au mouvement des non-alignés resta une composante importante de l’identité internationale de l’Indonésie, le régime de Suharto renonça à la posture « active et révolutionnaire » de la politique étrangère de « l’ordre ancien »[6].

En effet, en estimant que le pays, avant de pouvoir prétendre jouer un rôle prééminent dans les affaires régionales et internationales, devait se concentrer sur son espace national, Suharto adopta une politique internationale plus discrète, orientée essentiellement vers la consolidation interne et la quête des capitaux étrangers. Ainsi, si seulement quelques mois après son arrivée au pouvoir, le général Suharto contribua en 1967 à la fondation de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), l’Indonésie resta en partie repliée sur elle-même au cours des vingt premières années du régime autoritaire de Suharto[7].

Retour sur la scène régionale et mondiale : La continuité d’une politique étrangère

Au-delà de ses conséquences sociopolitiques internes, la fin de l’autoritarisme indonésien dans les années 1998 marqua un tournant dans l’histoire diplomatique de l’Indonésie. Si durant les années 1980, Suharto se départit progressivement de sa discrétion et réorienta finalement la diplomatie indonésienne vers un activisme renouvelé sur la scène régionale, la fin de l’autoritarisme modifie profondément la conception, la formulation et la mise en œuvre de la politique étrangère indonésienne.

En effet, tel qu’avancé par Bruno Hellendorff, chercheur du GRIP, « la démocratie émergea comme une nouvelle composante essentielle de cette politique étrangère pour devenir partie intégrante de l’identité internationale du pays »[8]. Depuis la fin de l’autoritarisme, la restauration de l’image internationale et l’affirmation de son statut de pays démocratique deviennent donc une priorité nationale et un objectif central de la politique étrangère indonésienne[9].

Ainsi, dans une optique d’intégration et de reconquête de la scène internationale, l’Indonésie s’engagea non seulement à reprendre un rôle moteur au sein du régionalisme asiatique, et particulièrement au sein de l’ANASE, mais à coopérer vivement avec les puissances, dont les États-Unis, la France et la Chine. Au cours des dernières années, l’Indonésie s’engagea également à participer activement dans différents forums et organisations internationales, dont l’ONU et le G20[10].

Cet engagement dit « multivectoriel », au niveau multilatéral et bilatéral, portant l’emphase sur la coopération avec les pays de l’Asie du Sud-Est et les grandes puissances, s’inscrit dans le cadre d’une politique dite d’« un millier d’amis, zéro ennemi »[11]. Cette politique, qui fait référence à la volonté de l’Indonésie d’être un leader pour les pays d’Asie du Sud-Est et une grande puissance sur la scène mondiale, sans pour autant prendre partie et se retrouver dans des positions conflictuelles avec d’autres pays[12], établit depuis 2010 une continuité voulue avec les principes hérités de la politique étrangère d’Hatta et de Sukarno.

Ainsi, la continuité d’une politique « libre et active » s’opère aujourd’hui par l’intermédiaire de la doctrine d’un « équilibre dynamique », proposée par le Ministre des Affaires étrangères Marty Natalegawa, visant non plus à « éviter l’implication des grandes puissances extérieures dans le théâtre régional, mais à atteindre un équilibre entre l’influence de ces acteurs extérieurs qui permette à l’Indonésie de s’imposer comme médiateur et intermédiaire »[13], avance Bruno Hellendorff.

En somme, la politique étrangère de l’Indonésie aujourd’hui s’inscrit dans une continuité. L’adoption d’une politique « libre et active », forgée durant les premières années de l’indépendance indonésienne, se veut pertinente dans un monde contemporain ayant conservé certaines caractéristiques de la Guerre froide, dont l’antagonisme et les rapports de forces.

 

4. Le président indonésien Joko Widodo à côté du président chinois Xi Jinping lors d’une rencontre à Beijing pour renforcer leur partenariat stratégique globale en 2015.

 

3. Le président indonésien Joko Widodo serre la main du président américain Barack Obama lors d’une rencontre à la Maison-Blanche le 26 octobre 2015

 

[1] Massé, « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine », Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval, 47.

[2] Massé, « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine » Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval.

[3] Honorine, Indonésie : Histoire, société et culture, 205-212.

[4] Madinier, Indonésie contemporaine, 213.

[5] Madinier, Indonésie contemporaine, 213.

[6] Hellendorff, « Politique étrangère de l’Indonésie : un redéploiement prudent ». Perspectives internationales. En ligne.

[7] Massé, « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine », Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval, 48.

[8] Hellendorff, « Politique étrangère de l’Indonésie : un redéploiement prudent ». Perspectives internationales. En ligne.

[9] Honorine, Indonésie : Histoire, société et culture, 205-212.

[10] Massé, « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine », Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval, 50-59.

[11] Hellendorff, « Politique étrangère de l’Indonésie : un redéploiement prudent ». Perspectives internationales. En ligne.

[12] Massé, « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine », Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval, 49-50.

[13] Hellendorff, « Politique étrangère de l’Indonésie : un redéploiement prudent ». Perspectives internationales. En ligne.

 

Bibliographie

Hellendorff, Bruno. 2013. « Politique étrangère de l’Indonésie : un redéploiement prudent ». Perspectives internationales. Le 19 janvier 2013. http://perspectivesinternationales.com/?p=615 (page consultée le 17 mai 2018).

Honorine, Solenn. Indonésie : Histoire, société et culture. Paris : La Découverte, 2012.

Massé, Johanna. 2015. « L’Indonésie en quête d’une émergence annoncée, mais encore incertaine » Groupe d’études et de recherche sur l’Asie contemporaine, Université de Laval, 2013. http://www.gerac.hei.ulaval.ca/sites/gerac.hei.ulaval.ca/files/johanna_masse.pdf (page consultée le 17 mai 2018).

Madinier, Rémy. Indonésie contemporaine. Paris : Irasec et Les Indes savantes, 2016.

 

Iconographie

  1. https://en.wikipedia.org/wiki/Mohammad_Hatta
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Soeharto
  3. https://www.latribune.fr/economie/international/indonesie-et-chine-pourraient-se-greffer-au-traite-transpacifique-tpp-fraichement-signe-517100.html
  1. http://french.xinhuanet.com/chine/2015-03/27/c_134103057.htm

 

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