Par Amélie Brideau
Face au Laos, le Vietnam exerce une influence sur son voisin déterminée, en majeure partie, par leurs relations dites « spéciales ». Pour qualifier ces relations, il existe une métaphore employée par les dirigeants vietnamiens et laotiens qui se traduit comme suit : « comme des lèvres et des dents »(Laos-Vietnam Relations, Global Security).
Il se trouve que les deux nations qui se partagent une frontière de 2130 km de longueur (Pholsena et Banomyong 2006, 71) trouvent leur compte en continuant d’entretenir leurs relations puisque, d’un côté, le Vietnam fournit au Laos une route vers la mer (étant le seul pays d’Asie du Sud-Est n’ayant pas un accès direct à la mer) et, d’un autre côté, la région montagneuse de l’est du Laos donne au Vietnam une position stratégique afin de contenir l’hégémonie thaïlandaise dans la vallée du Mékong (Laos-Vietnam Relations, Global Security).
Face à ce constat, il serait intéressant de répondre à la question suivante : quelle est la nature de ces relations et quel est l’impact de ces dernières sur la politique laotienne?
Des relations pas comme les autres
Couramment, les relations Laos-Vietnam sont qualifiées comme étant des relations « spéciales ». Cette expression s’est popularisée en 1976, à la suite des accords de coopération dans les domaines culturel, économique, scientifique et techniques signés entre les deux pays. Elle s’est officialisée suite à la signature du Traité d’amitié et de coopération lao-vietnamienne, c’est-à-dire en juillet 1977, légitimant par la même occasion la présence des troupes de l’armée vietnamienne sur le territoire laotien afin de le protéger contre ses voisins hostiles et révolutionnaires dont le Cambodge, anciennement appelé Kampuchea entre 1975 et 1979 (Laos-Vietnam Relations, Global Security) .
Ces relations de nature économique et politique avaient déjà commencé à l’époque révolutionnaire au Laos. Elles faisaient partie de la stratégie vietnamienne qui consistait à aider le Parti révolutionnaire populaire lao (LPRP) à obtenir le plein pouvoir (il le prit en 1975) pour que les dirigeants vietnamiens puissent réaliser leur projet d’une Indochine solidaire et communiste (Laos-Vietnam Relations, Global Security).
Ce gouvernement nouvellement mis en place au Laos ne laissait qu’envisager une politique étrangère ayant les mêmes visées politiques et idéologiques vietnamiennes ainsi qu’un engagement du Vietnam à tous les niveaux de la vie politique et économique du Laos (Stuart-Fox 1980, 191), le LPRP étant déjà trop habitué à accepter les conseils vietnamiens pour prendre des décisions relevant de son propre chef. De plus, des centaines de fonctionnaires et de techniciens du LPRP avaient étudié dans des instituts de marxisme-léninisme à Hanoï, la capitale du Vietnam (Laos-Vietnam Relations, Global Security).
Au premier anniversaire de la signature du Traité d’amitié lao-vietnamien, en juillet 1978, Kaysone Phomvihane, alors premier ministre du Laos et secrétaire général du Parti révolutionnaire populaire lao a clairement engagé le Laos au Vietnam, autant dans son différend avec le Kampuchea (Cambodge) que dans la bataille de mots en cours entre le Vietnam et la Chine. Cette déclaration reflétait parfaitement l’influence croissante du Vietnam sur la politique étrangère lao pendant le conflit croissant entre le Vietnam et la Chine, perçu alors comme une menace pour la sécurité de la nation vietnamienne (Stuart-Fox 1980, 193).
Bref, après la victoire communiste au Laos, la coopération entre les deux pays n’a pas cessé. En plus des accords de coopération dans plusieurs domaines et du Traité d’amitié les liant, le Vietnam a joué un grand rôle dans le développement des ressources naturelles du Laos en acceptant d’exploiter ses forêts et ses gisements de minerai de fer, entraînant du même coup un débat sur la question de la dépendance toujours plus grande des Laotiens vis-à-vis des Vietnamiens(Laos-Vietnam Relations, Global Security).
Parmi l’un des exemples les plus tangibles des relations étroites entre Hanoï et Vientiane (la capitale du Laos), on retrouve la Joint-Venture Bank Vietnam-Laos, fondée en 1999. Ayant son siège dans la capitale laotienne, elle a ouvert des bureaux à Hanoï et à Champassak en 2001 et un autre à Ho Chi Minh en 2002. La banque vise principalement à fournir un soutien financier aux activités commerciales entre les deux pays et à des projets d’infrastructures (Freeman 2002, 153).
Des relations « spéciales » pour toujours ?
Bien que le Vietnam ait joué un rôle de mentor politique dans la révolution menée par le LPRP et celui d’un partenaire économique non négligeable, le Laos a ouvert la voie à un rapprochement économique avec la Thaïlande et la Chine pour se défaire de sa dépendance vis-à-vis du Vietnam (Laos-Vietnam Relations, Global Security). À présent, le Vietnam est officiellement le quatrième plus grand investisseur du Laos (ses investissements étant discutables).
Le lien entre les deux n’est donc plus vraiment économique. Il est de nature plutôt historique et politique. Régulièrement, la presse lao et vietnamienne publie des nouvelles de coopération bilatérale socio-économique, militaire ou culturelle afin d’entretenir ces relations « spéciales ». Par ailleurs, le signe le plus visible de cette relation durable est probablement la fréquence des visites officielles et informelles qui se comptent par centaine chaque année(Pholsena et Banomyong 2006, 53).
Malgré toute cette frénésie autour de ces relations « spéciales », les liens lao-vietnamiens sont un mariage de convenance, de circonstance. L’idéologie et la politique constituent ses fondations, et non l’économie et la culture qui sont plutôt les bases des relations lao-thaïlandais (Pholsena et Banomyong 2006, 60). Encore combien de temps les dirigeants vietnamiens et laotiens qualifieront les relations entre les deux États comme étant « spéciales » ?
Bibliographie
Freeman, J. Nick. 2002. « LAOS: Sedately Seguing into the Twenty-first Century ». Southeast Asian Affairs, p. 145-156.
« Laos- Vietnam Relations ». Dans Global Security. En ligne. https://www.globalsecurity.org/military/world/laos/forrel-vn.htm (page consultée le 16 mai 2018).
Pholsena, Vatthana et Ruth Banomyong. 2006. « Bilateral Relations with Vietnam and Thailand », Dans Laos: From Buffer State to Crossroads ?, Mekong Press: Chiang Mai, p. 49-70.
Stuart-Fox, Martin. 1980. « Laos : The Vietnamese Connection ». Southeast Asian Affairs, p. 191-209.