Le climat politique thaïlandais est plutôt particulier. À la suite des coups d’État successifs survenus d’abord en 2006, puis en 2014, les forces militaires exercent un contrôle strict sur le pays. Cela offre peu de marge de manœuvre au niveau politique tout en accordant au régime monarchique, que l’on croyait éteint depuis 1932, l’opportunité de reprendre graduellement du poil de la bête. Ce contexte politique particulier donne-t-il lieu à des stratégies différentes, en termes de sécurité, de celles adoptées par les autres pays d’Asie du Sud-est?
Il est évident qu’un gouvernement militaire aura tendance à traiter les problématiques différemment d’un gouvernement civil. Ainsi, l’influence du militaire sur la politique thaïlandaise fait que tout ce qui touche aux droits humains et à la démocratie est sujet à être traité sous les mêmes auspices que les enjeux économiques et sécuritaires.[1] Le fait que les principaux enjeux auquel fait présentement face le pays soient non-traditionnels[2] devient donc source d’inquiétude, non seulement pour ses voisins mais également pour la communauté internationale.
Ainsi, le gouvernement militaire a récemment gonflé le budget de la défense, s’est doté d’un arsenal plus sophistiqué et a augmenté le nombre de ses effectifs. Les droits et libertés civiles, sous la Internal Security Act, se sont retrouvées limitées, sous prétexte d’assurer la sécurité du pays.[3] Il faut ainsi s’attendre à ce que climat politique actuel affecte négativement la politique étrangère de la Thaïlande puisqu’aucune structure institutionnelle régionale ne possède les outils pour rappeler à l’ordre le pays en cas d’excès (l’ASEAN n’est tout simplement pas équipé pour s’ingérer dans les affaires politiques thaïlandaises)[4] et que les seules autres options susceptibles d’avoir un impact (notamment sous la forme de sanctions) proviennent de la communauté internationale.
La Thaïlande se distingue donc ainsi des autres pays de la région tout en faisant partie d’un ens
emble régional caractérisé par des enjeux communs. Le fait que le pays n’ai pas eu à passer par la « décolonisation » contribue, d’une certaine manière, au contexte politique actuel comparativement aux autres nations de l’Asie du Sud-Est qui, elles, ont dû traverser une telle phase.
En ce qui a trait aux disputes frontalières, celles-ci même marquées par une certaine tension entre la Thaïlande et ses voisins, demeurent dans un tout autre ordre de conflictualité comparativement aux conflits avec la Chine et l’Union Soviétique.[5] Du côté de ses frontières avec le Myanmar et le Cambodge, on souligne le risque d’infiltrations liées à la criminalité et aux insurgences.[6] Certaines mesures ont donc ainsi été mises en place par la Thaïlande dans le but de remédier à ces problématiques transfrontalières.[7]
Pour plusieurs des dirigeants d’Asie du Sud-Est, la stabilité politique passe nécessairement par la croissance économique. L’exemple de la crise de 1997 et la manière dont plusieurs dirigeants ont été subséquemment destitués souligne l’importance d’unir le peuple (souvent constitué d’une multitude de sous-groupes ethniques, religieux et culturels) sous une même identité nationale que tend à renforcer une économie forte. Les tumultes politiques qu’a connu la Thaïlande depuis le tournant du millénaire soulignent l’impératif qu’elle a de stabiliser son économie pour éviter l’instabilité politique.[8]
Les changements climatiques représentent un autre défi auquel font face la plupart des États d’Asie du Sud-Est. En effet, cette vulnérabilité face aux phénomènes naturels rend impératif la coopération régionale. La nécessité de se prémunir contre les effets potentiellement dévastateurs des changements climatiques incitent ceux-ci à coopérer et à chercher des moyens de prévenir une nouvelle catastrophe comme le tsunami de 2004. Suite à celui-ci, la Thaïlande a, par exemple, mis en place certaines mesures dans le but de prévenir une nouvelle catastrophe humanitaire en introduisant un système d’alerte et de surveillance offrant une meilleure marge de manœuvre relativement à l’évacuation des résidents des zones menacées.[9]
Sans pour autant négliger ses alliés et ses voisins, la Thaïlande participe activement à des exercices militaires qui lui permet de garder ses troupes actives et prêtes à être déployées : Le 25 avril dernier, par exemple, la marine royale thaïlandaise et la marine américaine ont participé conjointement à un exercice dans la mer d’Andaman. Cet exercice avait pour but de d’affiner leurs capacités mutuelles au combat en mer en plus de parfaire le partage d’information entre leurs forces navales respectives. [10] On voit donc que la coopération entre les États-Unis et la Thaïlande persiste à ce jour malgré la présence au pouvoir d’un gouvernement autocrate.
Les stratégies adoptées par la Thaïlande, en termes de sécurité, ne se distinguent donc pas particulièrement des stratégies respectives mises en œuvre par les autres pays de la région. La Thaïlande semble reconnaitre, tout comme ses voisins, et ce malgré un régime politique non-démocratique, l’importance d’entretenir des liens et de coopérer au sein d’un contexte géopolitique commun, à travers des cadres institutionnels tels que l’ASEAN leur permettant d’assurer une certaine cohésion de leurs intérêts communs selon des principes auxquels ils adhèrent. Reste à voir si la présence d’un gouvernement militaire au pouvoir affectera négativement, au cours des prochaines années, les intérêts du pays.
BIBLIOGRAPHIE
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Martel, Stéphanie. 2018. In Enjeux de Sécurité En Asie Du Sud-Est et Au-Delà, Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 130. https://studium.umontreal.ca/pluginfile.php/3803091/mod_folder/content/0/Martel-Enjeux%20de%20s%C3%A9curit%C3%A9%20%28s%C3%A9ance%203%29.pdf?forcedownload=1.
Parameswaran, Prashanth. 2018. “US-Thailand Anti-Submarine Warfare Exercise Kicks off in Andaman Sea.” The Diplomat. https://thediplomat.com/tag/thailand-maritime-security/.
Parekh, Venessa. 2014. “Assessing the ASEAN Community Project: Constructivism and the Problem of Inflexible Norms.” E-International Relations Students. http://www.e-ir.info/2014/01/08/the-asean-community-project-through-constructivism/.
Pongsudhirak, Thitinan. 2010. “Introduction.” In Thailand’s Security Outlook: External Trends and Internal Crises, Joint Research Series, Japon: National Institute for Defense Studies, 85–94. http://www.nids.mod.go.jp/english/publication/joint_research/series5/pdf/5-6.pdf.
“Thailand – Defense and Security.” 2017. Helping U.S. Companies export. https://www.export.gov/article?id=Thailand-defense-and-security.
[1] (Pongsudhirak 2010, 86)
[2] (Thailand – Defense and Security 2017)
[3] (Pongsudhirak 2010, 93)
[4] (Parekh 2014)
[5] (Pongsudhirak 2010)
[6] (Thailand – Defense and Security 2017)
[7] (Human Security, Today and Tomorrow 2010, 13-15)
[8] (Martel 2018, 130)
[9] (Human Security, Today and Tomorrow 2010, 25)
[10] (Parameswaran 2018)