Par Rym Limam
Les forêts, un lieu où respire la vie, un lieu de liberté, un mélange de couleur… Ces lieux cesseront-ils d’exister un jour ? On parle souvent de déforestation dans les pays de l’Asie du Sud-Est, et le Cambodge n’en est pas épargné. En effet, depuis les années 1990, la déforestation a pris une tout autre ampleur dans le royaume khmer. En 1994, le nouveau gouvernement cambodgien a mis en place un système de privatisation des concessions, autorisant ainsi certaines compagnies privées à exploiter sa forêt tropicale.[1] Au total, 32 concessions se sont vues accorder le droit d’exploiter 6 464 021 ha de forêt ; équivalent à 35 % de tout le territoire cambodgien.[2] En effet, le Cambodge est aujourd’hui le troisième pays qui connaît un taux de déforestation national le plus élevé au monde, avec une perte de plus de 7 % de sa forêt vierge entre 2002 et 2012. La majorité du bois exploité est exporté vers ses pays voisins, qui en sont fortement dépendants, tels que la Thaïlande, le Laos ou le Vietnam.[3]
L’instabilité économique de certains pays voisins devient une opportunité pour le gouvernement cambodgien d’augmenter ses profits, en accordant énormément de concessions à des entreprises étrangères sans préavis ni consultation préalable, et ce au détriment de la population. En effet, il semble que les entreprises européennes jettent leur dévolu sur ces terres arrachées de force à leurs populations. L’abattage de bois résulte en des conséquences désastreuses sur l’environnement ainsi que pour les habitants locaux ; on en vient même à parler d’un cataclysme écologique.[4]
Cette situation ne semble pas déranger les pays avoisinants, tels que la Thaïlande ou le Vietnam, profiteurs des milliers de kilomètres mis à leur disposition puisqu’ils sont désormais soumis à des contrôles plus stricts sur leur territoire après avoir dévasté leurs propres futaies.[5] Par ailleurs, la firme forestière taïwanaise Hero semble prendre son pied en profitant de couper le bois sans limites grâce à une concession de 25 ans obtenue, en 1998, du gouvernement cambodgien.[6] Les conséquences de leurs actes est sans précédent, animé par le seul désire d’avoir plus de bois, ils ont causé la mort de plusieurs villageois tombés gravement malade suite à la coupure de plusieurs gros arbres de la forêt sacrée de Pnnom Yol. Sara Colm de l’association Human Right Watch explique que « Les montagnards sont animistes : ils considèrent que des esprits habitent certaines forêts, certaines rivières et certaines montagnes. Porter atteinte à ces espaces sacrés revient à insulter leur religion »[7].
De plus, Hero Taiwan n’a pas respecté les zones permises pour abattre les arbres. Par conséquent, cette firme forestière ne déclare que 40 % du bois coupé. Un expert forestier à Ratanakiri explique que le reste du bois, chargé dans des camions, est exporté au Vietnam.[8] Pourtant l’article 7 de la loi sur la gestion forestière de 2002 indique que les autorités cambodgiennes se doivent de prendre toutes les mesures nécessaires afin de contrer toute destruction de la forêt, et de mettre en place un système de surveillance pour contrôler tous véhicules transportant du bois.[9] Ceci n’ayant pas eu lieu, « tout le bois part au Vietnam avant d’être acheminé en Chine » dans le but de servir de stock dans l’industrie du meuble.[10]
Plusieurs complications ralentissent la protection des terres et des forêts. Il est difficile de contrer les coupes illégales et les spoliations foncières quand la corruption joue un rôle dans ses activités. Certes, le gouvernement ne cherche qu’à augmenter ses revenus pour les soi-disant bienfaits de l’économie nationale, mais les moyens utilisés vont causer plus de résultats dévastateurs au pays que de bien. Par ailleurs, bien que les organisations financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale) aient essayé de lutter contre la déforestation illégale au Cambodge, en imposant des conditions pour continuer à leur apporter de l’aide financière, les menaces de suspension de l’assistance suite à la publication d’un rapport par l’organisation non gouvernementale Global Witnes, dénonçant une accélération de déboisement, n’ont nullement fonctionné. Ceci compte tenu du fait que le Premier ministre Hun Sen a trouvé le moyen de les plier à sa volonté en menaçant l’expulsion du Global Witness.[11]
Ainsi, la population du Cambodge se doit d’agir contre ces atrocités qui pourraient coûter cher à la nature et aux habitants. Voulant agir contre le gouvernement, mais pour le bien-être de son pays, un militant écologiste du nom de Chut Wutty se fait assassiner le mois dernier pour avoir osé se dresser contre la complicité du gouvernement envers ces actes infâmes et pour avoir divulgué l’ampleur des désastres causés par la déforestation.[12] Wutty a joué un rôle important en mobilisant la population locale et en attirant l’attention de la communauté internationale, sa mort devrait représenter une rupture et ouvrir les portes aux changements, pour ainsi permettre un arrêt d’une exploitation à l’infini des forêts.
BIBLIOGRAPHIE :
[1] Marc Jennar, Raoul. 2012. « Cambodge : face à la violence, l’émergence d’une société civile » Alternatives sud 19 : 89-95
[2] Chervier, Colas, Alexandre Peresse, Sarah Millet-Amrani et Philippe Méral. 2016. « Changement institutionnel et paiements pour services environnementaux au Cambodge : l’intérêt de l’approche Commonsienne ». Développement durable et territoires 7 (no 1)
[3] Crochet, Soizick.1997. Le Cambodge. Paris : Karthala
[4] Smouts, Marie-Claude. 2001. « Chapitre 3. La déforestation. Un débat sans conclusion ». Dans Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers de l’écopolitique mondiale. Presses de Sciences Po, 137-165.
[5] Crochet, Soizick.1997. Le Cambodge. Paris : Karthala
[6] Dubus, Arnaud. 2001. « Le Cambodge brade sa forêt ». De Libération. En ligne. http://www.liberation.fr/planete/2001/05/23/le-cambodge-brade-sa-foret_365550 (page consultée le 19 mai 2018)
[7] Ibid
[8] Dubus, Arnaud. 2001. « Le Cambodge brade sa forêt ». De Libération. En ligne. http://www.liberation.fr/planete/2001/05/23/le-cambodge-brade-sa-foret_365550 (page consultée le 19 mai 2018)
[9] Marc Jennar, Raoul. 2012. « Cambodge : face à la violence, l’émergence d’une société civile » Alternatives sud 19 : 89-95
[10] Ibid
[11] Dubus, Arnaud. 2001. « Le Cambodge brade sa forêt ». De Libération. En ligne. http://www.liberation.fr/planete/2001/05/23/le-cambodge-brade-sa-foret_365550 (page consultée le 19 mai 2018)
[12] Courrier international. 2012. « Cambodge. Les forêts orphelines d’un écoguerrier ».
En ligne : https://www.courrierinternational.com/article/2012/05/16/les-forets- orphelines-d-un-ecoguerrier (page consultée le 19 mai 2018)