Par Walid Tannouri
Que ça soit en Occident ou en Orient, la démocratie est, au-delà de sa définition grecque, étroitement liée aux principes des droits de l’homme et de la liberté. Ce faisant, elle responsabilise les individus. Pourtant, ce qui caractérise la Thaïlande et son régime politique sont à la fois la démocratisation rapide et contrôlée du pays et la modélisation de celle-ci.
Bien que souvent dirigée par un régime militaire et victime de plusieurs coups d’État, la Thaïlande a toujours su montrer un long et fort engagement dans les processus démocratiques (Neher 1995, 195). Ce n’est qu’en 1988, suite à l’élection populaire du Premier ministre Chatichai Choonhavan, que le pays affiche son premier signe de démocratisation. Cependant, ce premier signe est rapidement contrecarré par un autre coup d’État, ce qui met fin au processus de démocratisation de la Thaïlande. Devant le contrôle plus ou moins militarisé du système politique et la crise financière asiatique de 1997, les clivages sociaux entre les riches et les pauvres se creusent. Les Thaïs moins aisés, n’ayant pas intériorisé les valeurs démocratiques prônées sous Chatichai Choonhavan, vont chercher le « man on the white horse » (Neher 1995, 198). Comment Thaksin Shinawatra, l’homme sur le cheval blanc, a-t-il gagné les élections et légitimé son contrôle sur le pouvoir politique ?
Le rôle du parti politique Thais Rak Thais
Suite à la campagne électorale de 2001, grandement endossée par le parti Thais Rak Thais et appuyée par le vote rural, Thaksin gagne les élections et est nommé Premier ministre par le roi Rama IX pour cinq ans (McCargo 2002, 113-16). Relativement jeune, dynamique et charismatique, il se montre concerné par la voix du peuple et contrairement à ses prédécesseurs, il se présente comme un leader de confiance capable de comprendre et de répondre aux demandes du peuple (McCargo 2002, 120). Ainsi, son agenda populiste et influencé par milieu des affaires va, dès son arrivée au pouvoir, altérer le paysage des politiques domestiques thaïes (Ganesan 2004, 30).
Moins d’un an après son élection, Thaksin et le TRT monopolisent le système électoral, marginalisent l’opposition, cooptent et contraignent les médias, prennent le contrôle de l’armée et de la police nationale et s’accaparent des institutions démocratiques (Pongsudhirak 2003, 277). De plus, le système de checks and balances et le principe de transparence sont remis en question, puisque le Sénat est désormais partisan du TRT. Sensible à la critique, Thaksin va peu à peu centraliser le pouvoir, réformer les institutions thaïes, s’allier à la bureaucratie et façonner à sa manière une Thaïlande démocratique. Les réformesinstitutionnelles, institutionnalisées et régies par les règles de l’État, vont amplifier le fait que cette démocratie est procédurale et surtout de façade (McCargo 2002, 113-14). Par conséquent, les citoyens vont se questionner sur la légitimité des élections de 2001, ce qui va pousser le Président à centraliser davantage son pouvoir et à bâillonner les médias ; c’est « The Year of Media Intimidation » (McCargo 2002, 120).
Les deux facteurs principaux de légitimation politique
Suite à la crise asiatique de 1997, lorsque Thaksin arrive au pouvoir, celui-ci représente le sauveur tant attendu et le porteur de changements. Relevant la lassitude des Thaïs vis-à-vis de l’ancien régime, de grandes promesses sont faites et Thaksin se porte garant d’une meilleure économie. Ces promesses, surtout économiques, vont grandement redonner confiance aux citoyens et ainsi légitimer la plupart des décisions politiques du leader. Aussi, dans les faits, la Thaïlande sous Thaksin est gouvernée par la Constitution de 1997 – une constitution démocratique –, ce qui implique que toutes les décisions prises par le dirigeant peuvent être étiquetées comme « démocratiques », qu’elles le soient ou non (Pongsudhirak 2003, 278).
En réalité, le régime autoritaire et très peu démocratique de la Thaïlande sous Thaksin est comparable aux dictatures militaires antérieures, mais se différencie par la personnalisation du régime et par la concentration du pouvoir. En personnalisant le régime politique, le leader s’imbrique dans celui-ci et sa destitution devient compliquée, puisqu’au final le système politique en place et le leader ne font qu’un (Pongsudhirak 2003, 278). En centralisant le pouvoir, les manœuvres décisionnelles entreprises vont initier des politiques qui vont indéniablement changer le visage des politiques du pays et promouvoir la vision nationaliste et populiste du leader au sein de la société. En apposant l’étiquette « démocratique » à ses politiques décisionnelles, en ayant une mainmise dans la législature du pays, en réformant l’armée pour ses propres besoins et en s’alliant avec la bureaucratie, Thaksin Shinawatra s’est accaparé de la totalité des structures nationales, ce qui lui a permis de contrôler efficacement le pays (Pongsudhirak 2003, 288). Ainsi, la Constitution de 1997 et la personnalisation du régime sont les deux facteurs principaux qui permettent à ce leader politique de se maintenir au pouvoir et de légitimer ses décisions peu démocratiques. C’est pourquoi la démocratisation de la Thaïlande sous Thaksin est tout sauf démocratique. Ce pays, guidé par des intérêts personnels, reflète sans équivoque les idéaux peu démocratiques d’un leader désireux de façonner un monde à son image.
Bibliographie
Funston, John. 2002. « THAILAND : Thaksin Fever ». Southeast Asian Affairs : 305-325.
Ganesan, N. 2004. « Thaksin and the Politics of Domestic and Regional Consolidation in Thailand ». Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs 26 (no. 1) : 26-44.
McCargo, Duncan. 2002. « Democracy Under Stress in Thaksin’s Thailand ». Journal of Democracy 13 (no. 4) : 112-126.
Neher, Clark. 1995. « Democratization in Thailand ». Asian Affairs 21 (no. 4) : 195-209.
Pongsudhirak, Thitinan. 2003. « THAILAND : Democratic Authoritarianism ». Southeast Asian Affairs : 277-290.
Iconographie
(A). En ligne : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/2/2e/Thai_rak_thai_logo.gif
(B). En ligne : http://www.zenjournalist.com/2012/03/the-tragedy-of-king-bhumibol-v/