Par Samantha Julien
L’Asie du Sud-Est est une région représentée par un vaste spectre de pays qui illustrent une diversité importante de régimes politiques, de cultures, de religions, de systèmes économiques, de langues, etc. Cette grande variété de différences représente un défi pour l’intégration régionale. Ainsi, afin de faciliter cette intégration, l’ASEAN ou l’Association of Southeast Asian Nations, a été mise en place. En fait, l’organisation fut d’abord créée pour pallier à la menace communiste. De nos jours, elle sert à donner une voie commune à la région. L’Indonésie était l’un des pays fondateurs et reste encore perçue comme un possible leader pour l’organisation. Toutefois, au fils des ans, le pays s’est de plus en plus détaché de l’association pour laquelle il s’était dévoué. Comment expliquer le changement dans le rôle que l’Indonésie se donnait au sein de l’ASEAN ? Tout d’abord, il sera question des ambitions passées du pays envers l’organisation. Par la suite, les ambitions actuelles, plus grandes et globales, seront mises de l’avant.
L’Indonésie, promoteur de démocratie
Auparavant, l’Indonésie était considérée comme étant le leader de l’organisation. En effet, ce rôle semblait logique d’une part puisqu’il s’agit du plus grand pays de la région, et d’autre part, car son importance économique était considérable. De plus, il est possible de voir les impacts de la présence indonésienne au sein de l’ASEAN ainsi que ses réalisations. Lors de la fondation de l’organisation, il était important pour l’Indonésie de continuer à mettre de l’avant le mouvement des non-alignés et d’insister sur le retrait des grandes puissances dans la région du Sud-est asiatique (Smith 1999, 241). Dès lors, la préservation de la souveraineté des États devenait l’un des principes importants de l’ASEAN, constituée de pays dont la souveraineté venait d’être acquise.
La chute de Suharto a transformé l’Indonésie en promoteur de démocratie. C’est donc le rôle que s’est donné le pays en plus d’assumer son rôle de leader désigné, mais non officiel. Suite à la démocratisation de l’Indonésie, il est devenu important pour les Indonésiens de promouvoir la démocratie. Il s’agissait d’une façon d’affirmer, voire de consolider, la leur. En tant que leader, le pays a donc mis un point d’honneur à mettre de l’avant des valeurs telles que la démocratie, la bonne gouvernance ou encore les droits humains (Nabbs-Keller 2013, 56). Cette stratégie de promotion de valeurs telles que celles susmentionnées permettait également à l’Indonésie de s’assurer un certain confort comme leader. En effet, en maintenant l’approche par consensus, elle s’assurait de conserver sa position (Moch Faisal 2016,11). L’Indonésie s’est donc servie de son identité de démocratie et l’a transformé en différentes initiatives, dont la promotion des valeurs pour la charte de l’ASEAN, mais aussi par la création de forums, dont le Bali Democracy Forum.
Grand pays, grandes ambitions
Alors que l’Indonésie agissait afin de maintenir sa position de leader au sein de l’ASEAN, ses ambitions se sont agrandies et ont par conséquent changé. Plutôt que de se faire reconnaître comme leader de l’organisation, l’Indonésie souhaite prendre un rôle plus large de leader régional et est animée par un désir de reconnaissance internationale. La nouvelle politique étrangère du pays est donc moins centrée sur l’association et est parfois décrite comme « post-ASEAN », « autonome » ou encore « internationaliste » (Shekhar 2015). Ainsi, le pays s’éloigne de l’organisation à un moment où celle-ci est déjà fragile. Considérant les ambitions de leader régional et de reconnaissance, l’ASEAN semble être, aux yeux des Indonésiens, trop petite et faible quant à la représentation des intérêts nationaux. L’Indonésie souhaite se favoriser et poursuit donc des activités à une échelle globale (Bin Hamad 2012, 161). Certes, l’ASEAN reste toujours l’objet d’une préoccupation, mais à un moindre niveau.
Ensuite, l’autre facteur attribuable à l’éloignement de l’Indonésie repose sur la question de la sécurité. Il est possible de dire que le pays opte pour une vision plus réaliste des relations internationales, puisqu’il mise désormais plus sur l’équilibre et sur les jeux de pouvoir. En effet, la situation en Mer méridionale de Chine devenant de plus en plus tendue, l’Indonésie agit en conséquence. Le gouvernement de Jokowi voit le pays comme une puissance maritime et performe un déploiement de troupes en mer de Chine (Shekhar 2015). Plutôt que de faire confiance à l’ASEAN et choisir une approche commune et régionale, l’Indonésie –comme plusieurs pays- agit dans une logique du chacun pour soi. Il existe toutefois une initiative de la part de l’ASEAN sur la question de la sécurité en Asie-Pacifique : l’ASEAN Regional Forum (ARF). Le forum sert de moyen de discuter des soucis et à mettre en place une diplomatie préventive (Smith 1999, 249). Le problème apparaissant de cela est que la Chine préfère gérer les conflits de façon bilatérale, ce qui ramène à nouveau le problème de chaque État pour lui-même. L’Indonésie, dans cette situation, agit de façon similaire, ce qui l’éloigne encore plus de l’organisation régionale à laquelle elle occupait autrefois un rôle de leader. Ainsi, ses intérêts nationaux et ses ambitions plus grandes ont surpassé ce que pouvait offrir l’ASEAN comme association.
En somme, l’Indonésie s’est placée comme leader lors de son émergence en tant que démocratie. Toutefois, le pays devenant de plus en plus fort et important, ses ambitions se sont modifiées. De plus, les tensions en mer de Chine amènent à une individualisation de la région.
Bibliographie
Bin Ahmad, Zakaria. 2012. « ASEAN Beyond 40 ». East Asia 29 (no2) : 157-166.
Moch Faisal, Karim. 2016. « Role Conflict and the Limits of State Identity: the Case of Indonesia in Democracy Promotion ». The Pacific Review 30 : 1-33.
Nabbs-Keller, Greta. 2013. « Reforming Indonesia’s Foreign Ministry: Ideas, Organization and Leadership ». Contemporary Southeast Asia 35 (no1) : 56-82.
Shekhar, Vibhanshu. 2015. « Realist Indonesia’s Drift away from ASEAN ». Asia Pacific Bulletin 323.
Smith, Antony. 1999. « Indonesia’s Role in ASEAN: The End of Leadership? ». Contemporary Southeast Asia 21 (no2) : 238-260.
Iconographie