Par Samantha Julien
Le nationalisme est une façon pour un peuple de légitimer son existence en tant que groupe uni. Alors que l’appropriation d’un « nous » commun, qui décrirait ledit groupe, relève d’une conception imaginaire, les mouvements nationalistes sont bien réels. Le nationalisme se présente tels les visages de Janus, à la fois orienté vers l’extérieur afin de trouver la place de l’État, mais aussi vers l’intérieur afin de définir ses caractéristiques. De plus, les visages peuvent se modifier au fil des évènements, venant ainsi modifier les traits propres du mouvement. Dans le cas de l’Indonésie, il est possible d’observer des points comparatifs entre le nationalisme mis de l’avant par Sukarno ainsi que celui qui prime de nos jours. Comment peut-on expliquer le changement dans le nationalisme indonésien? Tout d’abord, il est important de faire un retour à l’époque de Sukarno afin de mettre en relief la nostalgie qu’éprouve la société indonésienne actuelle face à cette période. Enfin, les traits territoriaux et économiques, centraux aujourd’hui seront mis de l’avant.
Retour en arrière…
Le nationalisme indonésien suivant l’indépendance fut mis de l’avant par Sukarno dans le but d’unifier le pays. Il décida de construire des structures étatiques pluralistes afin de créer un sentiment d’inclusion à la société. Le nationalisme de l’époque avait une grande charge politique, compte tenu du contexte de l’époque basé sur la lutte anticoloniale. Sukarno une approche plutôt de « gauche », notamment dans l’objectif de pouvoir gérer les conflits politiques internes (Aspinall 2015, 77). Pour ce faire, il conçut en 1940, ce qui sera perçu comme étant l’idéologie propre de l’Indonésie, la pancasila, qui servit de fondation au pays (Gellert 2015, 374). Ces différents principes servaient donc à créer l’image d’une société ouverte. Enfin, il faut également savoir que le développement du pays, selon Sukarno, ne se ferait qu’une fois l’indépendance économique atteinte, lorsque l’Indonésie pourra «se tenir sur ses deux pieds» (Barker 2008, 527). L’économie occupait dès lors une place importance pour l’image du pays. Certains de ses éléments sont toujours d’actualité de nos jours lorsqu’on aborde le nationalisme alors que certains sont disparus.
Le nationalisme de nos jours
De nos jours, l’Indonésie expérimente une nouvelle forme de nationalisme, moins guidé par une idéologie politique que par des insécurités et des intérêts. Plus précisément, il émerge de la démocratisation du pays dans 1998 lors du départ de Suharto. Ainsi, il ne sert plus à gérer des idéologies politiques qui s’opposent comme c’était le cas pour Sukarno qui essayait de concilier militaires et communistes (Aspinall 2015, 79). Toutefois, il est possible est également possible de voir en ce « nouveau » nationalisme des aspects de natures différentes de la politique. En effet, il reflète les insécurités qu’ont les Indonésiens face aux accomplissements et à la place de leur pays dans le monde (Aspinall 2015, 80). L’Indonésie est donc en quête d’une plus grande reconnaissance de son statut. Le nationalisme est alors exacerbé par une crainte des intérêts des pays voisins ainsi que par une attention particulière à l’économie.
L’Indonésie est un pays transcontinental contenant des milliers d’îles, cela le rend donc vulnérable à des conflits liés au territoire. Ainsi, l’intégrité territoriale est un enjeu du nationalisme indonésien qui était fort dans le passé et qui le demeure de nos jours (Aspinall 2015, 74). Ce faisant, il s’Agit d’un élément de continuité dans le nationalisme du pays. L’Indonésie dit faire face à des agressions extérieures, notamment de pays voisins. Certaines de ses tensions ont lieu avec la Malaisie qui possède des frontières communes. En 2002, la Cour Internationale de Justice a donné raison à la Malaisie sur la possession de deux îles que l’Indonésie réclamait. Ce jugement créa une vague de colère, mais aussi un sentiment d’insécurité (Aspinall 2015, 74). Ainsi, les Indonésiens ont développé un nationalisme territorial hostile aux voisins directs ou rapprochés, tels que la Malaisie, Singapour ou l’Australie.
Il est toutefois possible de dire que l’Indonésie pratique principalement un nationalisme économique. Au fil des ans, le pays s’est transformé d’un pays pauvre et peu développé à un pays moderne. Depuis Sukarno, l’objectif des dirigeants est de faire de l’Indonésie un pays qui ne dépend pas autant des autres puissances. Ainsi, le gouvernement mit sur pied des politiques protégeant les producteurs locaux face à la compétition internationale (Aspinall 2015, 75). Ce faisant, le pays se referme sur lui-même. Néanmoins, cela n’est pas perçu comme une mauvaise chose en Indonésie. En effet, plusieurs personnalités publiques affirment que les contacts avec l’étranger et avec la culture occidentale sont les causes des vices que connait le pays. Les étrangers sont également perçus comme voulant seulement exploiter les ressources indonésiennes. Ce faisant, ils se sont mis à se percevoir eux-mêmes comme une nation d’esclave (Aspinall 2015, 80). Ce sentiment minant la dignité de la population, le nationalisme économique se redessine progressivement comme un nationalisme identitaire, orienté par une envie de changer d’image. Toutefois, le succès du développement repose sur un équilibre entre le nationalisme et la globalisation –à laquelle l’Indonésie s’oppose (Kim 2016). En opposition, Jokowi, actuel président, met l’accent sur des politiques économiques nationalistes basées sur l’autosuffisance. De plus, il tente de favoriser un capitalisme d’État, notamment en mettant des entreprises d’État à la tête de projets d’infrastructures (Kim 2016). L’économie reste donc une partie importante du nationalisme indonésien, comme elle l’était sous Sukarno.
En somme, le nationalisme indonésien actuel se caractérise par les différentes insécurités qu’éprouve le pays : territoriales, extérieures, économiques. Il n’est plus aussi politisé qu’il l’était à l’époque de Sukarno, mais certains aspects sont toujours là, comme l’importance d’une bonne économie pour se développer.
Bibliographie
Aspinall, Edward. 2016. « The New Nationalism in Indonesia ». Asia & the Pacific Policy Studies 3 (no1) : 72-82.
Barker, Joshua. 2008. « Beyond Bandung: Developmental Nationalism and (Multi)cultural Nationalism in Indonesia ». Third World Quarterly 29 (no3): 521-540.
Gellert, Paul K. 2015. «Optimism and education: the new ideology of development in Indonesia ». Journal of Contemporary Asia 45 (no3) : 371-393.
Kim, Kyung Hoon. 2016. « Indonesia juggles globalism and nationalism ». The Jarkarta Post. En ligne. http://www.thejakartapost.com/academia/2016/12/08/indonesia-juggles-globalism-and-nationalism.html (page consultée le 30 mai 2017).
Iconographie