Par Antony Masso-Lussier
« La République [de Singapour] est la destination la plus populaire des voyageurs musulmans, en dehors des pays membres de l’Organisation musulmane de coopération, pour une troisième année consécutive » (Leow 2017). Étonnant ? En fait, plus ou moins, considérant la présence d’une minorité musulmane à Singapour.
Depuis le moment de son indépendance, Singapour s’est développée par l’entremise d’une structuration des rapports entre les communautés ethniques qui la composent : Chinoises, Indiennes, Malaises et Européennes. Sa croissance économique soutenue s’obtient par ses investissements sur ses avantages comparatifs. Sans oublier que ses efforts visent à insérer Singapour comme une plaque tournante mondiale.
Cette vision, sous ces trois angles, n’échappe pas à l’industrie du tourisme. Pour se démarquer, Singapour mise sur ses forces et développe un tourisme à caractère ethnique.
Maintenant que cette partie du casse-tête est posée, comment expliquer que la promotion du tourisme ethnique affecte la population ?
Édification de la nation
Ooi (2005, 258) souligne que le gouvernement singapourien adapte l’identité des Singapouriens selon les besoins des touristes. Il explique que, « de façon pragmatique, les produits touristiques sont conçus et consommés simultanément par les résidents et les touristes » (Ooi 2005, 258).
L’auteur souligne également que « plusieurs produits initiés pour le tourisme deviennent une part de l’identité collective. » Par exemple, les Singapouriens s’approprient les « fêtes d’illumination » créées pour les besoins touristiques (Ooi 2005, 264). L’auteur estime que ce type de projets s’imprègnent dans la culture locale.
Pour Koh (2010, 287), les touristes et la population bénéficient des importants investissements gouvernementaux dans le patrimoine culturel. De ce fait, il explique que la population s’identifie davantage à ses origines. Concomitamment, l’auteur explique qu’ils développent un sentiment d’appartenance à la Nation.
Ainsi, Ooi (2005, 257) explique que la population intériorise l’image de Singapour présentée aux touristes. De la sorte, les Singapouriens prennent davantage part aux activités culturelles initialement mises en place pour les touristes (Koh 2010, 287).
En somme, les Singapouriens s’approprient les activités touristiques comme une partie de leur culture. Aussi, les investissements pour le tourisme ethnique influencent leur sentiment d’appartenance à la Nation.
Croissance économique locale
Savage, Huang et Chang (2004, 213) expliquent que l’afflux touristique soutient le développement des infrastructures à Singapour. Cette conception découle du principe de « tourisme durable » (Savage, Huang et Chang 2004, 213). D’une part, le gouvernement mise sur des infrastructures touristiques de qualité et, d’autre part, il s’attend à des bénéfices sur les conditions de vie de la population (Savage, Huang et Chang 2004, 213).
Ces auteurs notent aussi que « les lieux auparavant publics deviennent de plus en plus privatisés en raison d’une prolifération de condominiums et de restaurants en face de la rivière. » Ainsi, « l’attrait pour les visiteurs locaux et étrangers doit générer sa propre durabilité économique » (Savage, Huang et Chang 2004, 219).
Aussi, les auteurs Savage, Huang et Chang (2004, 219) présentent cette croissance s’articule sur le long terme et la préservation du caractère traditionnel des quartiers thématiques. Toutefois, Chang (2000, 49) note une diminution du caractère traditionnel de la Petite Inde. Il explique cette résultante par l’augmentation de régulations imposées aux marchands et à l’arrivée de nouveaux commerçants non indiens.
Ooi (2005, 266) présente que la présence de touristes et de fonds gouvernementaux dans les zones contribue à la croissance d’entreprises locale. De plus, l’arrivée de nouveaux marchands dans la Petite Inde pousse les commerçants traditionnels à se moderniser. Ils tentent de garder le caractère traditionnel du quartier (Chang 2004, 219).
En bref, l’élaboration de quartiers propre au tourisme ethnique pousse les habitants hors de leurs quartiers naturels. De la sorte, le caractère traditionnel s’étiole. Toutefois, la présence touristique dynamise l’économie et mène à une compétitivité accrue des commerçants traditionnels.
Capitale mondiale
Le tourisme ethnique différencie Singapour des autres capitales mondiales (Ooi 2005, 285). Ainsi, la cité-État souhaite incarner « le dynamisme et l’avant-gardisme, tout en gardant sa convivialité et son hospitalité asiatique » (Savage, Huang et Chang 2004, 213).
Néanmoins, le réaménagement de quartiers thématiques se bute à l’opposition locale. Par exemple, « les Chinois singapouriens désapprouvent la vision touristique inspirée de leur quartier » (Ooi 2006, 250). Chang (2000, 40) explique que le réaménagement oublie la culture des premiers arrivants chinois pour laisser place à une vision trop touristique et continentale.
Ooi (2005, 266) note également que le « pragmatisme économique [du gouvernement] ouvre des espaces sociaux et civils auparavant fermés. » Plus précisément, le gouvernement « défend que les Singapouriens doivent prendre des décisions et être plus responsables de leurs actions. » Cette attitude découle des exigences pour positionner Singapour comme ville moderne et ouverte. Nathan (1999, 306) explique que cette nouvelle réalité permet aux Singapouriens de critiquer les actions gouvernementales.
En bref, les Singapouriens développent leur propre compréhension de leurs origines hors de l’action gouvernementale (Chang 2000, 42). De plus, en raison des exigences de l’industrie, ils bénéficient de plus de liberté de parole.
En résumé, le tourisme ethnique impacte la société singapourienne par l’entremise de l’édification de la nation, la croissance économique et l’insertion de Singapour comme capitale touristique mondiale. En premier lieu, les individus se redéfinissent au travers de l’image vendue aux touristes de la ville. Ensuite, une nuance s’impose dans les bénéfices économiques pour la population. Au final, les Singapouriens développent une forme d’autonomie face aux politiques.
(Vidéo promotionnel de Singapour en tant que destination multiculturelle, moderne et distincte par VisitSingapore)
BIBLIOGRAPHIE
Chang, T. C. 2000. « Theming Cities, Taming Places: Insights from Singapore ». Geografiska Annaler. Series B, Human Geography. 82 (no. 1) : 35-54.
Koh, Michael. 2010. « Rooting for the Future: Views for the Heritage Sector in Singapore ». Southeast Asian Affairs. 285–299.
Leow, Annabeth. 2017. Singapore remains most popular destination for Muslim tourists outside Organisation of Islamic Cooperation countries: Survey. En ligne. http://www.straitstimes.com/singapore/singapore-remains-most-popular-destination-for-muslim-tourists-outside-organisation-of
Nathan, J. M. 1999. « The culture industry and the future of the arts in Singapore ». Southeast Asian Affairs. 291–—308.
Ooi, Can Seng. 2005. « State-Civil Society Relations and Tourism: Singaporeanizing Tourists, Touristifying Singapore ». Journal of Social Issues in Southeast Asia. 20 (octobre) : 249–272.
Savage, Victor R., Shirlena Huang et T. C. Chang. 2004. « The Singapore River Thematic Zone: Sustainable Tourism in an Urban Context ». The Geographical Journal. 170 (septembre) : 212–225.
VisitSingapore. 2016. Singapore in Time-Lapse Flow Motion. En ligne. https://youtu.be/cYzdrbGBh8k (page consultée le 23 juin 2017).