Singapour : entre recherche de crédibilité et de pouvoir politique

Par Antony Masso-Lussier

À Singapour, la question du potentiel de l’éducation sur la croissance économique ne se pose plus. En 2001, Singapour subissait une contraction historique de son économie, ce qui n’a pas empêché le budget alloué à l’éducation de continuer d’augmenter les années suivantes (Lee et coll. 2008).

Ces investissements visent à ce que l’économie du pays puisse « demeurer compétitive et anticiper [les changements économiques futurs] » (Lee et coll. 2008, 61-2). En même temps, pour Koh (2003, 251), cette stratégie économique découle d’une réaction idéologique pour la « survie de la Nation » singapourienne.

Comment expliquer que l’économie de Singapour soit devenue aussi performante ? L’analyse s’attarde sur la période d’après 1997 afin de rester dans l’actualité récente.

Économie basée sur le savoir

À partir de 1997, Singapour se développe sur les bases de l’économie du savoir. Le dictionnaire Oxford définit ce concept comme « la production et la gestion du savoir sont des composantes significatives de la production totale » (Black, Hashimzade et Myles 2017). Powell et Snellman (2004, 199) ajoutent que ce système « accélère la vitesse des avancées techniques et scientifiques, tout comme une rapide obsolescence. »

À priori, cette définition confirme les hypothèses de Koh (2003, 251). L’économie de Singapour « survit » en se mettant à l’avant-garde.

 

Relever de nouveaux défis

De Koninck (2006, 123) constate que, dans ce contexte, la cité-État doit « demeurer sur la brèche, être prête à relever de nouveaux défis. » Par exemple, vers 1997, le développement économique croit concomitamment avec les salaires (De Koninck 2006, 123). Cette nouvelle réalité économique incite les entreprises à se délocaliser vers des pays moins couteux en ressources humaines (De Koninck 2006, 124).

Conséquemment, le gouvernement applique une politique de transition. Partant d’une production manufacturière, l’économie « doit » suivre la nouvelle tendance mondiale (De Koninck 2006, 124). Le pays favorise une production à haute valeur ajoutée (Lee et coll. 2008, 23). Dès lors, « la valeur des échanges économiques extérieurs de l’État, entre 1959 et 2004, centuple » grâce à cette adaptation économique (De Koninck 2006, 128).

« Les multinationales vont continuer à jouer un rôle clé, en continuant à établir ici leurs sièges sociaux régionaux et en investissant dans l’innovation. Elles pourront ainsi faire affaire avec le vaste arrière-pays » (De Koninck 2006, 129). Issue d’un document de planification économique du gouvernement, cette citation semble se contredire par un sentiment d’insécurité et d’optimisme. L’insistance sur les termes « continuer » montre la dépendance économique de l’État envers ces multinationales. En même temps, le rôle économique pour « l’arrière-pays » ne semble pas être mis en doute.

Dans cette logique, le gouvernement incite les universités à « favoriser les activités de recherche et de développement tout en s’associant avec les multinationales » (De Koninck 2006, 128).

En somme, le gouvernement s’appuie sur son capital humain pour accélérer sa croissance. Selon De Koninck (2006, 129), Singapour devrait être le sixième pays avec le plus haut PIB par habitant en 2018.

Valeur nécessaire à l’entrepreneuriat

Paradoxalement, le gouvernement « nuit » à sa politique de diversification économique en raison de sa promotion du concept de « valeurs asiatiques » (Christensen 2012, 41). Mise de l’avant pour contrer l’individualisme occidental, cette politique inflige aux citoyens une soumission à l’autorité (Christensen 2012, 40).

Cette conception des valeurs asiatiques affaiblit la propension des citoyens à prendre des risques. Par conséquent, cette logique s’oppose à l’un des fondements de l’entrepreneuriat (Christensen 2012, 41).

Comment éviter une future « catastrophe » économique et augmenter le gout du risque dans la population ? Par l’apport de « talents » provenant de l’international (Christensen 2012, 41). Ces « étudiants et scientifiques de haute qualité » devraient aider à la commercialisation des découvertes scientifiques.

Le gouvernement crée aussi des infrastructures pour assurer la concrétisation de son projet. Plus concrètement, « [en] 2006, le gouvernement de Singapour annonce l’établissement d’un programme qui crée un campus de 600 millions de dollars en partenariat avec le MIT » (Sidhu, Ho et Yeoh 2011, 32). Ce lien avec une institution étatsunienne renommée permet à la société de côtoyer l’esprit entrepreneurial « caractéristique » aux États-Unis (Sidhu, Ho et Yeoh 2011, 32).

En résumé, la politique d’immigration de talents « renouvèle » le dynamisme entrepreneurial de Singapour. De plus, les liens institutionnels avec le MIT pérennisent ce dynamisme par le partage de connaissances.

Crédibilité régionale : Un petit parmi les géants

La stratégie de survie se prépare sur le long terme. En fait, Singapour s’attaque à deux fronts pour atteindre son objectif : l’international et le régional.

À l’international, Singapour souhaite s’affranchir de sa dépendance aux technologies occidentales. Cette raison pousse à développer une expertise locale (Dent 2017, 8).

Sur le plan régional, l’ile doit compenser son manque de ressources. Coincée entre deux géants territoriaux et démographiques régionaux, sa forte économie lui permet de demeurer pertinente (Dent 2017, 8). L’attractivité économique de la cité-État profite à la Malaisie et à l’Indonésie, notamment par le milieu industriel Johor-Riau (Dent 2017, 8). Corolairement, Singapour leur partage ses connaissances techniques et technologiques (Dent 2017, 8). Selon Dent (2017, 8), cette politique diminue les tensions reliées au drainage de talents de ces pays vers Singapour.

En bref, le besoin de sécurité se transpose dans ses partenariats structurants pour la région. Dans les faits, elle s’assure une stabilité politique nécessaire à sa croissance économique.

En somme, le développement économique important de Singapour se déroule dans la logique de la « culture de survivance ». L’arrimage entre l’éducation et les multinationales assure l’attractivité de son environnement économique. D’une part, les innovations retiennent les investissements des multinationales sur l’ile. D’autre part, la gestion proactive du gouvernement attire de nouveaux talents. Ensemble, ces actions dynamisent l’économie de la cité-État. Toutefois, Christensen (2012, 46) souligne que les natifs se sentent délaissés par le gouvernement au détriment de ces nouveaux venus. Est-ce que ce nouvel enjeu pourrait miner la croissance économique remarquable de la cité-État ?

 

Vidéo (en anglais) expliquant l’essor économique de Singapour du moment de son indépendance, en 1965, jusqu’au 21e siècle.

https://youtu.be/5CUz81Y6LO0

 

 

Bibliographie

Black, John, Nigar Hashimzade et Gareth Myles. 2017. Knowledge economy. En ligne. http://www.oxfordreference.com/view/10.1093/acref/9780198759430.001.0001/acref-9780198759430-e-3731.

Christensen, Søren. 2012. « Higher education and entrepreneurial citizenship in Singapore». Learning and Teaching: The International Journal of higher Education in the Social Sciences. 5 (hiver) : 39–55.

De Koninck, Rodolphe. 2006. Singapour : La cite-État ambitieuse. Paris : Éditions Berlin.

Dent, Christopher M. 2001. « Singapore’s Foreign Economic Policy: The Pursuit of Economic Security ». Contemporary Southeast Asia. 23 (avril) : 1–23.

Koh, Aaron. 2003. « Global Flows of Foreign Talent: Identity Anxieties in Singapore’s Ethnoscope». Journal of Social Issues in Southeast Asia. 18 (octobre) : 230–256.

Lee, et coll. 2008. Toward a Better Future : Education and Training for Economic Development in Singapore since 1965. Singapour : Banque mondiale et National Institute of Education at Nayang Technological University in Singapore.

Powell, Walter W. et Kaisha Snellman. 2004. « The Knowledge Economy ». Revue of Sociology. 30 (février) : 199–220.

Sidhu, Ravinder, K.-C. Ho et Brenda Yeoh. 2011. « Emerging education hubs : the case of Singapore ». Higher Education. 61 (janvier) : 23–40.

The Economist. 2015. Why Singapore became an economic success. https://youtu.be/5CUz81Y6LO0 (page consultée le 23 juin 2017).

 

 

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